Par Rayyan Majed
La localité de Daraya, proche de Damas, a été le théâtre de nombreuses «violences» au cours des cinq jours qui ont précédé le 26 août 2012, une des journées marquées par le plus grand nombre de civils tués par les forces du clan Assad. Les «forces aériennes» du dictateur n’hésitent pas, les 28 et 29 août 2012, à bombarder des quartiers historiques d’Alep, considérés comme réunissant une population soit appuyant le régime, soit neutre par intérêt. Elle s’en détache actuellement.
Selon de nombreuses sources syriennes, 320 corps ont été retrouvés à Daraya, le 26 août, ville de 200’000 habitants, située à sept kilomètres au sud de Damas. Selon un document précis (dates, photos, etc.), du 22.4.2011 au 29.8.2012, 585 personnes ont été tuées dans cette ville. Nous publions ci-dessous un article traduit des témoignages et réactions de Syriens et Syriennes, entre autres exprimés sur la Toile. Leurs termes et leur ton traduisent, mieux que tout, à la fois la dignité et la douleur d’une population soumise à une répression sans rivage d’un clan gangstérisé qui s’accroche au pouvoir et à ses «privilèges». La traduction de l’arabe a été faite par Jihane Al Ali pour le site A l’Encontre. (Rédaction)
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«440 sont tombés aujourd’hui, 25 août 2012. 300 d’entre eux étaient de Daraya, la ville de Ghyath Matar, ville symbole du pacifisme plus que toute autre ville de Syrie. Il n’en est même pas tombé la moitié en un seul des 528 jours que compte la révolution syrienne. 440 noms, 440 visages, 440 histoires… et un seul assassin!» Ainsi s’indigne l’écrivain Yassin Al Haj Saleh sur sa page Facebook à propos du massacre commis par le régime syrien il y a quelques jours.
«L’évocation de Daraya ne va pas sans rappeler aux Syriens la satisfaction qu’ils avaient si souvent ressentie face aux initiatives indépendantes et osées lancées par ses jeunes activistes: notamment leur surprenante lutte pacifiste dès le début de la révolution syrienne» [mars 2011], selon le communiqué émis par les Comités locaux de coordination en Syrie.
«L’image la plus représentative du pacifisme de Daraya est celle d’une manifestation au cours de laquelle les jeunes de la ville ont brandi des roses pour faire face aux balles de la répression. Ghayath Matar, figure de la ville, s’est fait connaître par sa lutte pacifique et son opposition absolue à la violence. C’est pour cette raison que les forces du régime syrien l’ont arrêté le 6 septembre 2011 pour n’être rendu à sa famille que quatre jours plus tard, mort, des traces de tortures évidentes sur son corps.» Voilà un extrait de la page consacrée à ce militant, intitulée: «Nous sommes tous l’activiste libre Ghyath Matar».
Les images des fosses communes de Daraya remplies de cadavres, d’enfants sous les décombres, et même d’une mère morte en protégeant son fils, mort lui aussi, inondent la Toile.
Une image particulièrement glaçante: celle d’une enfant tuée; celle-là même qui avait brandi il y a quelque temps une pancarte sur laquelle on pouvait lire: «Ils ont tué les enfants à Al Houla [1], mais Homs n’est pas si lointaine de Daraya! Que Dieu donne la victoire à la révolution avant que mon tour n’arrive…» Il semble que son tour, et le tour de nombreux enfants de Daraya, soit arrivé…
Le massacre ne s’est pas arrêté à cela. Ne se contentant pas du «silence international et de l’incapacité totale à maîtriser le régime et ses alliés pour empêcher les tueries de civils», comme le déclare le communiqué des Comités locaux de coordination en Syrie, «les médias syriens sont venus achever le sale travail commencé par le régime à Daraya». En effet, après que la tuerie fut terminée, la correspondante de Al Dunia [chaîne de télévision privée syrienne appartenant au clan Assad et outil de propagande principal du régime] est arrivée pour couvrir les événements. «Cette présentatrice est venue remuer le couteau dans la plaie du massacre, avec son sale micro, dans un élan de folie inimaginable.» C’est ainsi que le réalisateur syrien Haytham Hakki a commenté la vidéo qui reprend la couverture des événements de Daraya par la chaîne Al Dunia.
On y voit la correspondante de la chaîne se déplacer parmi les cadavres. Elle déclare à l’antenne: «Là, derrière moi, il y a une femme encore en vie.» Puis elle se tourne vers cette femme blessée à terre parmi les décombres, et lui demande: «Madame, qui vous a fait ça?» La femme n’a, semble-t-il, pas la force de répondre. A ce moment-là de jeunes soldats arrivent à son secours et l’emmènent sur un brancard. Leur arrivée est accompagnée d’une musique imagée.
Un peu plus loin la correspondante poursuit sa mission «en exclusivité». Cette fois-ci elle interroge avec froideur et sadisme deux fillettes visiblement choquées et terrorisées aux côtés du cadavre de leur mère: «Qui est près de toi?» Une des petites filles répond: «Ma mère.» A ce moment-là les jeunes soldats arrivent et emportent les enfants, accompagnés par la même mélodie en fond sonore.
On pouvait lire sur la Toile le commentaire suivant: «SEULEMENT EN SYRIE, les sauveteurs attendent la fin des interviews pour intervenir!»
A propos de cette même scène, l’écrivaine Samar Yazbek a écrit: «Une seule et même couleur rassemble les ongles apprêtés de la présentatrice de Al Dunia et les rues de Daraya, le rouge, mais une différence nous sépare, la morale.» (Traduction de l’arabe par Jihane Al Ali pour le site A l’Encontre)
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[1] Al Houla, localité du gouvernorat de Homs, a été le théâtre, en mai 2012, d’un des plus grands massacres commis ces derniers mois par l’armée et les Chabbiha contre des civils – hommes, femmes, enfants, vieillards – avec des bombardements, puis des tueries à l’arme blanche.
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Article paru, en langue arabe, sur le site de Loubnan Al An le 27 août 2012.
«Quoique vous fassiez, vous ne nous entraînerez pas dans la vengeance, et nous ne dévierons pas de notre objectif: vous serez jugés dans une Syrie libre!»
Signé: les femmes libres de Daraya en ce 26 août 2012
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