On a parlé dans tout le pays du conflit qui a surgi ces dernières semaines [1] entre la General Motors (GM) de São José dos Campos et le Syndicat des Métallurgistes local face à la menace de l’entreprise de licencier plus de 1500 travailleurs et de fermer le secteur de la fabrique dénommé MVA (Montage de Véhicules Automoteurs). Les travailleurs se sont mobilisés à l’appel de leur syndicat, ils ont convoqué des assemblées et organisé des manifestations et des «paralysies de la production» pour exiger le maintien de l’emploi.
Le syndicat, face au refus de l’entreprise de négocier une quelconque alternative permettant de maintenir les postes de travail, a non seulement mobilisé les travailleurs, mais a également exigé une action concrète de la part du gouvernement fédéral, dans le sens d’empêcher les licenciements. En même temps qu’elle réaffirmait sa position de refus de transfert de financements publics vers les entreprises, l’organisation a attiré l’attention du gouvernement sur le fait que l’appui de celui-ci aux entreprises au travers de ressources publiques (exonération de l’impôt fédéral sur les ventes de produits fabriqués ou importés, dit IPI, à hauteur de 10% à 15%) rendait les licenciements encore plus inacceptables. En secourant l’entreprise au travers la réduction d’impôts, le gouvernement était plus qu’obligé de secourir les travailleurs menacés de licenciement.
Face à cette polarisation et à la demande de solidarité lancée par le Syndicat et par la CSP-Conlutas (Centrale Syndicale et Populaire, à laquelle le syndicat local est affilié), des manifestations d’appui à la lutte des ouvriers pour défendre leurs postes de travail sont arrivées de tout le pays. Récemment, les centrales Força Syndical, CTB [Centrale des Travailleurs du Brésil], UGT [Union Générale des Travailleurs], NCST [Nouvelle Centrale Syndicale des Travailleurs] et CGTB [Confédération Générale des Travailleurs du Brésil] ont publié un communiqué dans lequel ils « répudient l’attitude de GM, qui prétend licencier 1’500 travailleurs » et « se solidarisent avec les travailleurs et le Syndicat des Métallurgistes de São José dos Campos. La CTB et Força Syndical ont même envoyé une délégation à São José afin de manifester leur solidarité.
Parmi les appuis reçus, je relève la manifestation de ces centrales pour deux raisons. D’abord, parce que nous (le Syndicat de São José et la CSP-Conlutas) avons avec ces centrales plusieurs différents politiques importants, ce qui valorise encore plus la dimension symbolique et l’importance de la solidarité exprimée, et, ensuite, parce que la position de ces centrales met encore plus fortement en lumière l’absurdité de la position adoptée jusqu’ici par les métallurgistes de la CUT de l’Etat de São Paulo.
La CUT ne s’est pas encore manifestée officiellement sur le conflit en cours à São José dos Campos. Cependant, la direction du Syndicat des Métallurgistes de l’entreprise ABC (SMABC) – le plus important de la centrale – et tout le secteur métallurgique de la CUT de l’Etat de São Paulo se sont eux manifestés. Et ils se sont manifestés contre le Syndicat de São José. Ils n’ont adressé aucune critique à l’entreprise! Ce serait le syndicat, selon eux, qui porterait la responsabilité des licenciements pour n’avoir pas su négocier avec l’entreprise. C’est cela le contenu de toutes les interventions de la direction du Syndicat des Métallurgistes de Taubaté/SP (affilié à la CUT) et c’est cela le contenu de l’article publié dans la Tribuna Metalúrgica, le journal du Syndicat des Métallurgistes d’ABC, dans son édition du 25 juin 2012.
Et ce qu’il y a de plus triste de cette situation, c’est de constater la ressemblance entre les arguments utilisés par ces dirigeants syndicaux de la CUT et ceux utilisés par GM pour critiquer le Syndicat de São José et essayer de justifier les licenciements. Tous ces gens ressemblent plus à des porte-parole de l’entreprise qu’à des syndicalistes qui devraient défendre les travailleurs. Ils soutiennent que cette situation est générée par le « manque de capacité » du syndicat à « négocier avec l’entreprise ».
La subordination du syndicat à l’intérêt des entreprises
Les unités de GM installées au Brésil sont les plus rentables de toute la compagnie dans le monde. Et l’unité de São José est celle qui assure le plus de profits pour la firme GM, ce qui correspond à environ 35% de la facturation de GM dans notre pays. Même ainsi, l’entreprise prétend qu’il est anti-économique de continuer à produire des voitures légères à São José dos Campos, parce que la main-d’œuvre est soi-disant «très chère» et les salaires «très élevés». Elle préfère produire les véhicules dans des unités où la flexibilisation des droits, négociée par les syndicats, rendra la main-d’œuvre «moins chère». Voyez, l’entreprise ne prétend pas qu’elle est en train de subir des pertes (ce qu’elle ne pourrait d’ailleurs pas puisqu’elle fait beaucoup de bénéfice). Ce qu’elle dit, c’est que le profit sera plus important dans un lieu où la main-d’œuvre sera meilleur marché.
C’est incroyable que dans un contexte comme celui-ci, il n’existe pas d’unanimité au sein du mouvement syndical pour repousser la position de l’entreprise. A ce propos, soyez attentifs au fait que ce n’est pas vrai de dire que le syndicat a refusé de négocier, comme l’entreprise le prétend, en se référant au conflit qu’il y a eu en 2008. A ce moment, il y avait en effet eu négociation puis accord. Et cet accord ne fut pas celui que l’entreprise désirait. Ce ne fut pas non plus l’accord que le syndicat désirait, mais celui-ci avait essayé de rester aussi près des intérêts des travailleurs que ce que le rapport de force le permettait à ce moment-là. Et il n’avait pas accepté la flexibilisation voulue par l’entreprise.
En critiquant le «manque de capacité» du syndicat de São José à négocier, la direction de SMABC fait sien le critère de l’entreprise selon lequel une négociation bien faite, ou faite avec «habilité», est celle qui répond aux nécessités de l’entreprise. Il s’agit de la négation complète de ce que fut un jour la CUT, au temps où il était encore clair que dans la négociation collective, le syndicat représente et défend les intérêts des travailleurs. L’intérêt des entreprises devant être représenté et défendu par la Fédération des Industries.
On comprend bien la position de la direction du SMABC, puisqu’il a été l’un des syndicats qui a négocié la flexibilisation des droits de ses affiliés et rendu «meilleur marché» la main-d’œuvre qu’elle organise. De plus, ce syndicat a été le précurseur de cette politique à l’intérieur de la CUT et l’un des précurseurs de cette pratique dans le pays. Cependant, avant de critiquer le syndicat de São José, les camarades de la CUT devraient réfléchir: si les droits des travailleurs n’avaient pas été flexibilisés chez ABC et dans d’autres entreprises, alors GM (ou d’autres entreprises de montage) ne pourrait pas compter sur cette méthode pour s’attaquer aux travailleurs de São José (ou de n’importe quel autre site) et les faire chanter. Et nous serions ainsi, travailleurs et leurs syndicats réunis, plus forts pour affronter la fureur de bénéfices de ces multinationales.
La position de ce secteur de la CUT face à l’offensive de GM pour licencier des travailleurs et pour imposer en tant que norme la flexibilisation des droits de notre classe montre comment, politiquement, ces syndicats sont toujours plus subordonnés à la logique et aux intérêts de ces grandes multinationales, en se transformant de plus en plus en bras armés de ces entreprises dans leur effort de se restructurer en diminuant leurs coûts afin de gagner des marchés et d’augmenter leurs bénéfices.
Le syndicat comme instrument des entreprises pour augmenter leurs bénéfices
Le dossier publié le 31 juillet dernier dans le quotidien financier Valor Económico illustre assez bien cette situation. Selon le journaliste Marli Olmos, les entreprises – et particulièrement celles qui assemblent des véhicules – auraient adopté comme critère permettant de définir le lieu où elles vont faire leurs investissements celui de la présence d’un syndicat docile, disposé à accepter le rôle de collaborateur de l’entreprise, cherchant à assurer à celle-ci des coûts de main-d’œuvre toujours plus bas.
La clarté et le ton direct par lesquels le thème est traité dans l’article montrent combien cette idée à été «naturalisée », cette idée selon laquelle les travailleurs doivent accepter une dégradation toujours plus forte de leurs conditions de vie pour que les entreprises puissent faire de plus en plus de bénéfices. La capacité de «négociation» (mieux vaudrait dire de collaboration) des syndicats est vantée, comme si cela constituait une qualité, alors qu’il s’agit en réalité d’éliminer, de réduire et de flexibiliser les droits des travailleurs afin d’«attirer des investissements».
Rien de cela ne serait possible sans la complicité et l’aide des syndicats, en particulier les syndicats les plus importants du pays. Et de centrales syndicales telles que la CUT (des autres grandes centrales on n’a jamais même espéré qu’elles puissent être un contrepoids à ces idéologies patronales).
Il n’est pas raisonnable de croire que ces dirigeants ne savaient pas qu’ils mettaient la main dans un «trou sans fond». Quand les entreprises auront réussi à rendre les conditions de travail au Brésil égales à celles de la Chine, elles vont alors tenter de rabaisser le niveau en Chine encore plus, ou ailleurs. Tout cela pour pouvoir réduire à nouveau les conditions ici, dans notre pays. Il s’agit d’un cercle vicieux sans fin. Pour augmenter les bénéfices de ces entreprises, le travailleur va revenir à la condition d’esclave qui gagne en échange de son travail à peine de quoi se nourrir et continuer à travailler.
La proposition de changements dans la CLT pour créer l’Accord Collectif Spécial
La proposition présentée par la direction du Syndicat des Métallurgistes de ABC/CUT fait partie (et ce n’est pas un hasard) de ce même contexte, à savoir un changement dans la CLT (Consolidation des Lois sur le Travail) afin de créer le dit Accord Collectif Spécial (ACS). Il s’agit de créer des conditions qui conduisent à une plus grande flexibilisation, diminution, voire suppression des droits des travailleurs,à travers la négociation et les contrats collectifs. Cette proposition ne répond pas à aux intérêts des travailleurs. Non seulement parce que nous sommes contre la flexibilisation, mais aussi parce que la législation actuelle n’empêche pas des accords assurant des conditions meilleures que celles garanties par la loi.
L’intérêt, dans ce type de proposition, c’est celui des entreprises, qui elles ont besoin de faire sauter les barrières (peu nombreuses, il est vrai) qui existent encore dans la législation afin de s’attaquer encore une fois aux droits, précarisant et dégradant ainsi encore plus les conditions de travail de notre classe. Une nécessité qui s’intensifie fortement en raison de la crise que vit l’économie dans le monde entier. Dans quel but? Pour augmenter leur compétitivité ou, dit d’une autre manière, pour préserver et augmenter leurs bénéfices.
Toute cette situation ne fait que mettre en lumière le triste sort que les dirigeants de la CUT ont imposé au Syndicat des Métallurgistes d’ABC qui fut autrefois une référence de lutte pour toute la classe ouvrière brésilienne. D’un autre côté, si nous ajoutons à tout cela le lien toujours plus fort reliant la CUT et tous ces syndicats aux gouvernements du PT, nous avons alors devant nous un tableau qui dit beaucoup sur la nature de l’organisation que la CUT est en train de devenir depuis quelques années. (Traduction A l’Encontre)
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[1] Le 4 août 2012, après 9 heures de négociations, le Syndicat des Métallurgistes de São José dos Campos et la GM a obtenu une suspension du licenciement de 1840 travailleurs. Mais la direction maintient une «proposition» de Programme de départs volontaires ; ce à quoi s’oppose la direction du syndicat. (Réd. A l’Encontre)
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Zé María de Almeida est dirigeant de la Fédération Démocratique des Travailleurs de la Métallurgie de Minas Gerais et membre du Secrétariat Exécutif National de la CSP-Conlutas.
“La position de ce secteur de la CUT face à l’offensive de GM pour licencier des travailleurs et pour imposer en tant que norme la flexibilisation des droits de notre classe montre comment, politiquement, ces syndicats sont toujours plus subordonnés à la logique et aux intérêts de ces grandes multinationales, en se transformant de plus en plus en bras armés de ces entreprises dans leur effort de se restructurer en diminuant leurs coûts afin de gagner des marchés et d’augmenter leurs bénéfices”.
Cela pourrait être rapproché d’un vieux texte écrit en 1940 par L. Trotsky (“Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste”) dans lequel nous pouvons lire :
“Il y a un aspect commun dans le développement ou, plus exactement, dans la dégénérescence des organisations syndicales modernes dans le monde entier : c’est leur rapprochement et leur intégration au pouvoir d’Etat.”
C’était l’époque de la grande dépression mondiale déclenchée en 1929. Mais aujourd’hui je constate qu’un pays émergeant comme le Brésil n’échappe pas non plus à la tendance observée partout à transformer les organisations syndicales en police économique du capital.
Pas plus que dans les années1930, en période de récession mondiale, les aristocraties (ou bureaucraties) syndicales ne peuvent plus masquer leur intégration dans les appareils d’Etat bourgeois aux yeux de la classe ouvrière internationale.