«Panama Papers»: la «boîte noire» des paradis fiscaux et l’histoire de Mossack Fonseca

_89063523_panama_index_draft2Par Maxime Vaudano

C’est sur une véritable mine d’or qu’ont mis la main Le Monde et ses partenaires. Une base de données inédite tant par son ampleur que par son contenu remise par un lanceur d’alerte anonyme au Süddeutsche Zeitung. Le quotidien allemand l’a partagée avec le Consortium international des journalistes d’investigation (International Consortium of Investigative Journalists, ICIJ), organisation et réseau indépendant de Washington, déjà à l’origine des Offshore Leaks, des Lux Leaks et, plus récemment, des Swiss Leaks.

Les « Panama papers » en trois points

  • Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
  • Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.
  • Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.

Pendant un an, 376 journalistes issus de 109 médias dans 76 pays ont travaillé sur les « Panama papers », qui retracent quasi jour par jour le fonctionnement de la firme panaméenne de domiciliation de sociétés offshore Mossack Fonseca. Créé en 1977 au Panama, l’un des plus grands trous noirs de l’économie mondiale, ce cabinet est aujourd’hui l’une des clés de voûte du business mondial et opaque des paradis fiscaux, avec des bureaux dans plus de 35 pays.

Pour presque chacune des 214 488 structures offshore créées ou administrées par Mossack Fonseca au cours de ses quarante années d’existence, la base de données fournit pêle-mêle registres, documents officiels, passeports, contrats et correspondances internes. Des fichiers qui permettent parfois de dévoiler les véritables propriétaires et activités de ces sociétés, inaccessibles au public, et même souvent aux autorités, en raison de l’opacité qui règne dans ces juridictions offshore.

 

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Affaires, banques, grandes fortunes et football

Cette immense caverne d’Ali Baba de l’évasion fiscale, qu’un journaliste mettrait plusieurs décennies à explorer seul en travaillant jour et nuit, récèle des milliers de noms de ressortissants de plus de 200 pays ou territoires. Si la plupart sont inconnus du grand public, on y retrouve aussi des centaines de figures de premier plan, issues des univers politique, économique, sportif, culturel et même criminel, sur lesquels les membres de l’ICIJ ont enquêté en commun pour déterminer quelle utilisation ils ont faite de leurs montages offshore transnationaux. Le Monde a aussi enquêté sur des sociétés-écrans liées aux grandes fortunes françaises, sur des affaires politico-financières, des banques hexagonales et des personnages importants du football français.

Au-delà des innombrables noms et histoires, les « Panama papers » brossent un portrait quasi en temps réel d’un système créé par et pour l’opacité de ses bénéficiaires. Les données, qui s’étendent jusqu’à la fin de l’année 2015, montrent que les avancées récentes de la réglementation des paradis fiscaux sont loin d’avoir facilité la vie des autorités chargées de lutter contre le blanchiment, la corruption et la fraude fiscale. A chaque nouveau tour de vis inspiré par la pression internationale, les artisans méticuleux de l’offshore, comme Mossack Fonseca, trouvent une nouvelle parade pour préserver la discrétion de leurs clients – avec la complicité de plus de 14 000 banques et cabinets d’avocats fiscalistes qui jouent les intermédiaires financiers.

Ce sont toutes ces histoires que Le Monde vous racontera tout au long de la semaine dans son édition papier et sur son site Internet, dans le cadre de l’opération « Panama papers ». (Article publié sur le site du Monde, le 4 avril 2016)

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L’incroyable histoire de Mossack Fonseca

Par Anne Michel

Il faut prononcer son nom pour voir, dans la seconde, se fermer les visages et s’éteindre les voix. Au Panama, Mossack Fonseca est une de ces firmes toutes-puissantes, dont l’activité est intimement liée à l’histoire du pays. Une histoire gangrenée par la corruption et l’argent sale depuis les années de dictature de Manuel Noriega (1984-1990), dont Mossack Fonseca a pris toute sa part.

« Les sombres affaires de Mossack Fonseca sont mises sous le boisseau par le gouvernement. Personne ne vous parlera. Ici, la collusion d’intérêts entre le pouvoir et les grandes compagnies est totale », assure Miguel Antonio Bernal, professeur de droit à l’université du Panama, opposant historique à Noriega et à l’ex-président corrompu Ricardo Martinelli.

La naissance du cabinet conseil, en 1977, sentait déjà le soufre. A cette époque, pour doper son économie et tirer parti de son plus précieux atout – sa position géographique, entre les deux Amériques et les deux plus grands océans – le Panama entreprend de bâtir un centre financier puissant, capable de rivaliser avec les places financières d’Europe et d’Asie.

Il l’assoit sur un secret bancaire inviolable, cadenassé par la loi, et une fiscalité zéro pour les revenus issus de l’étranger. C’est assez pour que tout ce que la finance mondiale compte d’acteurs s’installe dans le pays : grandes institutions financières emmenées par les banques américaines, cabinets d’avocats, administrateurs de biens… « Au Panama, en matière de blanchiment, on fait tout : on lave, on rince et on sèche », sourit Miguel Antonio Bernal.

L’étude d’avocats fiscalistes Mossack Fonseca ne met pas longtemps à comprendre l’intérêt de vendre une garantie de confidentialité absolue aux grandes fortunes et aux investisseurs internationaux. Le business des shell companies, ces sociétés-écrans immatriculées dans des juridictions opaques d’un bout à l’autre de la planète, est lancé.

Des fondateurs au profil peu reluisant

L’histoire ne dit pas précisément comment les deux avocats fondateurs de la firme, Jürgen Mossack et Ramon Fonseca Mora, se sont rencontrés ni le pacte qui les lie. Mais elle met en perspective leurs passés chargés. L’un, Jürgen Mossack, est un Panaméen d’origine allemande, fils d’un ancien officier de la Waffen-SS, selon des documents des services de renseignement de l’armée américaine, obtenus par Le Monde et ICIJ. L’autre, Ramon Fonseca Mora, est panaméen, depuis toujours proche des milieux politiques, y compris sous la dictature. Il est vice-président du Parti panamiste, le parti nationaliste arrivé au pouvoir mi-2014, et lié à l’actuel chef de l’Etat, Juan Carlos Varela.

Mossack Fonseca compte ainsi rapidement parmi ses clients des dirigeants de pays corrompus et de régimes autoritaires, voire des réseaux criminels de haut vol. Le magazine américain Vice, l’un des premiers à avoir identifié le rôle joué par la firme dans le blanchiment d’argent international, écrit le 3 décembre 2014 avoir la preuve que « Mossack Fonseca a servi d’agent d’enregistrement de sociétés-écrans, pour des criminels et des voleurs notoires (…) dont des associés de Mouammar Kadhafi, Robert Mugabe [président du Zimbabwe] (…) et l’oligarque [argentin] Lazaro Baez, soupçonné par la justice américaine d’avoir blanchi des dizaines de millions de dollars ».

Les « Panama papers » viennent compléter le tableau. La firme a travaillé avec 33 personnes ou entités frappées d’un embargo des Etats-Unis. Elle a bâti des sociétés-écrans pour l’entourage du président russe, Vladimir Poutine, ou le cousin du président syrien, Bachar Al-Assad, mais aussi pour des politiques poursuivis pour blanchiment de fraude fiscale.

Au fil des années, Mossack Fonseca a étendu son empire, au point d’être désormais présent dans plus de quarante pays. Le cabinet-conseil a acquis une telle influence que Ramon Fonseca Mora a été nommé conseiller du président de la République et assiste au conseil des ministres. Les Panaméens assurent voir passer chaque semaine au-dessus des gratte-ciel du centre financier l’hélicoptère qui conduit l’homme d’affaires au palais présidentiel.

Depuis le 11 mars, pourtant, l’hélicoptère reste au sol. Ce jour-là, l’influent avocat a été rattrapé par le grand scandale de corruption Petrobras – du nom de l’entreprise publique pétrolière du Brésil, qui déstabilise jusqu’à la présidente du pays, Dilma Rousseff. Mossack Fonseca est soupçonné par la justice brésilienne d’avoir aidé à dissimuler des avoirs, des membres de sa filiale brésilienne ont été interpellés. Ramon Fonseca a démissionné de son poste à la présidence.

Le début des ennuis pour Mossack Fonseca ? Les avocats assurent n’avoir pour seul but que de préserver la confidentialité de ses clients, notamment ceux qui fuient les dictatures. Jusqu’ici, le secret des affaires a protégé la firme panaméenne. Qu’en sera-t-il demain ? En 2006, les douanes panaméennes avaient intercepté un paquet contenant 45 diamants de contrebande en provenance d’Afrique du Sud, destiné à une fondation panaméenne. Un document officiel, sur la marchandise, mentionnait le nom de Mossack Fonseca. Le scandale a fait long feu. (Article publié sur le site du Monde, le 4 avril 2016)

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International Consortium of Investigative Journalists, ICIJ

 

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