Par Harun al-Aswad
Les protestations pacifiques contre le gouvernement syrien se sont poursuivies pour une deuxième journée dans la ville de Sweida, dans le sud du pays [proche de la frontière jordanienne], lundi 8 juin, en raison de la détérioration des conditions économiques et de sécurité dans le pays.
Les manifestants se sont rassemblés devant le bâtiment du gouvernorat, malgré le déploiement de renforts par les autorités de sécurité en réponse à la manifestation de dimanche.
Les protestations dans les régions de Syrie contrôlées par le gouvernement sont rares depuis que les manifestations de 2011 contre le régime du président Bachar al-Assad ont été violemment réprimées, déclenchant une guerre civile.
Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’affrontement à Sweida et les forces de sécurité ne font que surveiller la situation de près, selon Nowara al-Basha, une militante basée dans la ville.
«Les manifestants ont parcouru la plupart des rues principales et le marché populaire de la ville», nous a déclaré Basha. «La manifestation a attiré différentes tranches d’âge, et des dizaines de civils ont commencé à s’y joindre.»
La manifestation de lundi a commencé après les appels publics des militants sur les médias sociaux, sous les thèmes «Nous voulons vivre dans la dignité» et «la révolution pour corriger le tir».
Les revendications des manifestants
Tout en insistant sur le droit à la manifestation pacifique, les manifestants ont condamné la corruption du gouvernement et la détérioration des conditions de sécurité et de l’économie.
«Mais des chants se sont rapidement élevés pour le renversement du régime syrien, citant des slogans de la révolution qui a éclaté en 2011», a déclaré l’un des manifestants, qui a souhaité rester anonyme pour des raisons de sécurité.
Les manifestants ont également appelé l’Iran et la Russie – dont les forces ont contribué à la victoire d’Assad contre l’opposition – à quitter le pays.
Ils ont également loué l’unité du peuple syrien et salué la plupart des provinces du pays, y compris celles de la côte syrienne, de Lattaquié et de Tartous, d’où proviennent la famille d’Assad et sa base de soutien.
«Les pratiques délibérées du régime au cours des neuf dernières années ont conduit à un effondrement économique complet et à des augmentations folles des prix et à la famine des civils», a affirmé un manifestant qui souhaitait être identifié comme étant Rayan.
L’effondrement économique
La livre syrienne s’effondre, son taux de change atteignant un nouveau plancher mardi 9 juin à 3200 par rapport au dollar américain – plus de 60 fois inférieur à ce qu’il était avant 2011.
L’économie syrienne a été laissée en lambeaux par neuf années de guerre et de sanctions occidentales, mais elle a dû faire face à une nouvelle crise due à la pandémie de coronavirus, à la détérioration de la situation économique du Liban voisin et à la loi états-unienne du nom de US Caesar Syra Civilian Protection Act, qui impose des sanctions sévères aux pays qui soutiennent Assad.
Les Syriens ont de plus en plus de mal à acheter des produits de première nécessité, ce qui a mis sous pression les fonctionnaires du gouvernement dont la vie semble divorcée de celle des gens qu’ils gouvernent.
Bouthaina Shaaban, conseillère en communication d’Assad, a suscité une large controverse lorsqu’elle a déclaré vendredi au journal pro-gouvernemental Al-Watan que les Syriens doivent avoir la patience de faire face au US Caesar Act et aux sanctions américaines. En réponse, les médias sociaux ont bourdonné de prétendues photos des fils de fonctionnaires syriens, dont une qui serait la sienne, se prenant en photo devant des voitures de luxe.
L’effondrement de la livre syrienne a fait monter en flèche les prix des denrées alimentaires dans toutes les régions du pays. Le prix du pain a été multiplié par quatre dans la province d’Idlib, tenue par les rebelles, ce qui a entraîné des protestations dimanche soir.
Des témoins ont déclaré que les manifestants d’Idlib ont accusé le Syrian Salvation Government, l’administration contrôlée par le groupe militant Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) qui dirige la province, d’être derrière l’effondrement de l’économie locale. Ils ont exigé la dissolution de l’administration, la destitution du chef du HTS, Abu Mohammed al-Jolani, et la fin de la corruption, selon des témoins.
Une histoire révolutionnaire
«Parce que la monnaie continue de s’effondrer, 40% des magasins de Sweida sont fermés», a affirmé un militant de la page d’information locale As-Suwayda 24, ajoutant que 250 à 300 personnes ont manifesté lundi.
Le sud-ouest de la province de Sweida occupe une place particulière en Syrie, car c’est le lieu de naissance du sultan Pacha al-Atrash, qui a mené la grande révolution syrienne en 1925 contre l’occupation française. Lorsque Atrash est mort en 1982, environ un demi-million de Syriens ont assisté à ses funérailles.
Les habitants de sa ville, qui sont majoritairement druzes, ont participé à la révolution syrienne en 2011, mais comme celle-ci s’est transformée en guerre civile et que l’influence des factions dures s’est étendue, Sweida a préféré rester neutre.
«Nous avons maintenant besoin d’une nouvelle révolution contre la corruption de l’opposition et du gouvernement syriens», a indiqué Safaa al-Sayyid, un habitant de Sweida utilisant un pseudonyme. «De nombreux criminels ont profité de la souffrance des civils au nom de la révolution, et à la fin, après avoir détruit le pays, ils se sont réconciliés avec le régime», a-t-elle ajouté. «Au cours des dernières années, le plus grand perdant a été les civils. Assez c’est assez, nous voulons vivre dans la dignité et c’est notre droit.» (Article publié sur le site Middle East Eye, révisé le 10 juin 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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