Les femmes, particulièrement victimes de la guerre à Gaza

Deir al-Balah, 16 août 2024.

Par Maria João Guimarães

L’expérience des femmes à Gaza reste l’une des histoires les moins racontées de cette guerre, nous a déclaré Juliette Touma, directrice de la communication de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) [1].

Elles sont victimes des bombardements meurtriers, et cela dans un pourcentage élevé. Lorsque le nombre de morts a dépassé les 40 000 la semaine dernière, Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a déclaré que la majorité d’entre eux étaient des femmes et des enfants. Selon les autorités sanitaires de Gaza, sur les 40 139 décès enregistrés (au 18 août), 20 573 étaient des hommes, 11 707 des femmes et dans 7859 cas, la répartition restait inconnue. Chez les adultes, la répartition était la suivante: 12 927 hommes, 5956 femmes, 10 627 enfants (moins de 18 ans) et 277 personnes âgées (là encore, dans 7859 cas, ces données n’étaient pas disponibles).

Elles subissent également, comme avant le 7 octobre, des actes de violence au sein de la famille, dans une société où elles sont subordonnées. «Bien sûr, elles m’ont aussi parlé de la violence de genre – des histoires, des histoires et encore des histoires», a déclaré Muhannad Hadi, relatant une réunion avec des femmes dans le territoire, ce qui l’a bouleversé.

Le fait d’être contraint à se déplacer implique des défis particuliers pour les femmes.

Au cours de la première phase de la guerre, des problèmes spécifiques ont été signalés, tels que l’accouchement en l’absence de maternité, parfois dans les camps de déplacés, ou le simple fait qu’il n’y ait pas de produits hygiéniques pour les menstruations. Ces problèmes continuent de se poser. Selon l’OMS, la bande de Gaza compte actuellement environ 50 000 femmes enceintes, dont 5500 devraient accoucher le mois prochain, 1400 d’entre elles devant subir une césarienne.

Les problèmes d’hygiène des femmes déplacées se poursuivent également. «Une femme m’a dit qu’elle avait eu ses règles cinq fois sans pouvoir se doucher une seule fois», a déclaré Muhannad Hadi dans un entretien diffusé sur le site web des Nations unies. «Imaginez le désespoir. Si une femme raconte une telle chose à un étranger, c’est qu’elle a atteint toutes ses limites», a commenté le fonctionnaire de l’ONU – sans parler même d’un homme, dans une société conservatrice et religieuse comme Gaza.

D’autres femmes lui ont montré leurs mains, où il a pu voir l’effet de la collecte constante de bois pour cuisiner, parce qu’il n’y a pas de combustible (Israël en restreint l’entrée, affirmant qu’il est utilisé par le Hamas).

Pour Muhannad Hadi, le thème récurrent qui revenait dans la conversation qu’il a eue avec un groupe de femmes âgées d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années – «Elles pourraient être ma sœur ou ma femme», a-t-il précisé – était justement la protection de la vie privée. «Une femme m’a expliqué qu’elle avait deux jeunes filles. Pour les baigner, sa sœur les entoure d’un rideau, puis elle attend que la mère des filles revienne avec leurs vêtements propres. Parce que c’est tout ce qu’elles ont», a-t-elle déclaré.

90% de la population est déplacée

Les Nations unies estiment que le conflit a entraîné le déplacement contraint de 1,9 million de personnes, soit 90% de la population. De nombreuses personnes ont été déplacées à plusieurs reprises, emportant à chaque fois ce qu’elles pouvaient, au cours de longs voyages, parfois à pied, ce qui signifie que beaucoup de choses sont laissées derrière elles (et depuis le début de la guerre, il y a eu un automne, un hiver, un printemps et un été).

La journaliste Rita Baroud, qui a écrit un article [le 20 août] sur le site de The New Humanitarian, raconte qu’elle a déjà été obligée de déménager 12 fois. Une note dans le texte ajoute que depuis sa rédaction le 16 août, Rita Baroud a encore dû se déplacer suite aux ordres de l’armée israélienne pour que les civils quittent certaines parties de Deir al-Balah.

Même s’il y a – ou s’il y avait – suffisamment d’eau potable, certaines femmes boivent le minimum pour ne pas avoir à aller aux toilettes, de peur d’être «harcelées, abusées». Cela entraîne une augmentation des infections urinaires et nuit particulièrement aux femmes enceintes.

Dans les familles qui ont la chance d’avoir une tente – la plupart des abris ne sont pas des tentes, explique Muhannad Hadi – les familles trouvent un coin et font un trou dans le sol, qu’elles recouvrent d’une couverture. Les femmes s’en servent comme toilettes. Même si les familles dorment à côté.

Certaines femmes ont dit qu’elles aimeraient pouvoir faire une chose: se peigner. Elles ne le peuvent pas, car elles n’ont pas d’intimité. Dans la bande de Gaza, on estime qu’environ 90% des femmes se couvrent les cheveux. Les raisons ne sont pas seulement religieuses, le hijab sert aussi à éviter les regards indésirable. Les femmes ont l’occasion d’enlever leur foulard et de se coiffer lorsqu’elles se trouvent dans l’intimité de leur «foyer», avec leur famille, ce qui est impossible dans les abris tels que les écoles ou les cours d’hôpitaux.

«Une femme m’a dit qu’elle portait le même hijab depuis neuf mois», raconte Muhannad Hadi. Neuf mois, jour et nuit, le même hijab. Elle ne peut pas l’enlever.

Rita Baroud raconte qu’elle utilise une partie de l’eau qui lui reste après s’être brossé les dents pour s’enduire le visage le matin. Elle n’a pas de miroir, mais elle sait que «j’ai beaucoup changé. Ma peau est pleine d’acné et mes cheveux sont abîmés. J’ai perdu environ 12 kg.»

Shampoing: 29 euros

Le manque d’eau et de produits pour se laver les cheveux (selon le Washington Post, le savon coûte l’équivalent de plus de 11 euros à Deir al-Balah, dans le centre, où vivent de nombreuses personnes déplacées, et une bouteille de shampoing coûte 29 euros) est aggravé par la pénurie de peignes, a déclaré à Reuters [13 août] la pédiatre Lobna al-Azaiza.

Le conseil qu’elle leur donne? Se couper les cheveux. Certaines femmes, comme la vidéaste et journaliste Bisan Owda [ses vidéos ont été partagées par ABC News, Le Monde, la BBC et Al-Jazeera], ont déjà publié des messages sur les réseaux sociaux, expliquant qu’elles ne peuvent pas garder leurs cheveux. De plus, elles craignent les poux, qui se répandent dans les abris surpeuplés, et sont donc nombreuses à se raser les cheveux et à raser ceux de leurs filles.

Muhannad Hadi a également déclaré qu’il avait été fortement impressionné par ce que lui avait dit l’une des femmes: «Je suis sûre d’une chose: je ne suis pas une femme – mais je ne sais pas ce que je suis.» (Article publié dans le quotidien Publico le 22 août 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Laure Stephan, dans Le Monde du 19 août, a consacré un article sur la numérisation des documents administratifs en possession de l’UNRWA «avec l’ambition de retracer les arbres généalogiques de cinq générations de réfugiés». Ce travail pose de suite la question du «sort des réfugiés palestiniens [qui] reste irrésolu: leur droit au retour ou à une compensation, inscrit dans la résolution 194 des Nations unies, votée en décembre 1948, demeure valide». La campagne du gouvernement israélien contre l’UNRWA trouve là une de ses principales explications. Ceux qui se font complices de cette «campagne de propagande» s’associent – sous une forme ou une autre – à la politique des Netanyahou, Smotrich, Ben Gvir… Ils ne sont pas absents des cercles du pouvoir helvétiques. (Réd.)

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