Israël-Palestine. «Fascistes, centristes et Palestiniens: ce qu’il faut observer le jour des élections»

Lapid et Bennett

Par Haggai Matar

Il existe de nombreuses raisons légitimes de ne pas suivre les élections générales israéliennes qui auront lieu ce mardi 1er novembre. D’une part, il s’agira du cinquième scrutin en un peu moins de quatre ans. Et l’on s’attend à ce que les impasses qui ont caractérisé ces compétitions électorales consécutives ne vont guère se modifier. D’autre part, ces élections se dérouleront au milieu de quelques semaines particulièrement mouvementées sur le plan international: l’entrée en fonction d’un nouveau premier ministre britannique [Rishi Sunak], le second tour spectaculaire des élections de dimanche 30 octobre au Brésil, les élections de mi-mandat aux Etats-Unis le 8 novembre et la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP27) à Charm el-Cheikh, du 6 au 18 novembre; le tout sur fond de guerre russe en Ukraine et de crises énergétique et inflationniste.

Même en Israël-Palestine, il y a de nombreuses raisons de ne pas s’enthousiasmer. Au cours de l’année écoulée, le «gouvernement du changement» – qui a inclus le premier parti arabe indépendant (Liste arabe unie, Ra’am, avec Mansour Abbas, chargé des Affaires arabes) à rejoindre une coalition israélienne et a ramené le parti de gauche Meretz au pouvoir pour la première fois en vingt ans – a supervisé plus de meurtres de Palestiniens en Cisjordanie occupée (ainsi que d’Israéliens), plus de détentions administratives et plus de démolitions de maisons que les dernières années du règne de Benyamin Netanyahou. C’est ce même gouvernement qui a fait avancer le nettoyage ethnique de Masafer Yatta [communautés palestiniennes vivant de l’agriculture et de l’élevage «résidant» dans le sud-est du district d’Hébron], et qui a désigné six grandes organisations de la société civile palestinienne comme «terroristes» sans aucune preuve sérieuse [1]. Et, comme toujours, les cinq millions de Palestiniens de la bande de Gaza et de la Cisjordanie occupées ne peuvent pas participer à l’«élection de leurs prochains dirigeants».

Presque tous les sondages de ces derniers mois ont montré que l’impasse dans laquelle se trouve la politique israélienne ne conduit à nulle part: le bloc des partis de droite et religieux dirigé par Netanyahou, qui compte actuellement 59 à 60 sièges à la Knesset sur 120, ne sera probablement pas en mesure de détenir une majorité parlementaire. Le bloc anti-Netanyahou, qui compte 60 à 61 sièges, aura beaucoup plus de mal à combler ses disparités idéologiques internes pour former une coalition. Un sixième round d’élections est donc tout à fait envisageable.

Pourtant, ces élections ont de l’importance et, pour de nombreux Israéliens et Palestiniens, elles pourraient même constituer un moment décisif. Voici trois questions clés qui méritent de retenir l’attention alors que les résultats commencent à tomber demain.

Une droite en mutation

Si Netanyahou maintient une forte emprise sur son bloc politique, il n’est plus le seul en lice pour la droite israélienne. L’ascension fulgurante de l’homme politique kahaniste [2] Itamar Ben Gvir – dont la liste du sionisme religieux pourrait devenir la troisième fraction parlementaire la plus importante de la Knesset avec 14 à 15 sièges – en a fait un héritier possible de la future direction du camp de la droite.

Comme mes collègues Noam Sheizaf et Ben Reiff l’ont récemment écrit sur le site +972, le programme ouvertement raciste et fasciste de Ben Gvir, qui va encore plus loin que ce que Netanyahou a osé promouvoir, séduit un public de plus en plus large, avançant des positions extrêmes face à un statu quo fragile de domination israélienne sur les Palestiniens, des deux côtés de la ligne verte. Un statu quo dont le maintien a été le principal projet politique de Netanyahou pendant plus d’une décennie. Des idées qui étaient considérées comme hors du domaine de la légitimité il y a seulement deux ans (Netanyahou lui-même avait déclaré à l’époque qu’il ne permettrait pas à Ben Gvir de siéger dans son gouvernement) semblent aujourd’hui bénéficier du soutien d’au moins 12 % des électeurs israéliens, avec la bénédiction du chef suprême de la droite!

Si Netanyahou parvient à former une coalition avec Ben Gvir, il est probable que le kahaniste obtiendra le contrôle d’un poste clé au sein du gouvernement. Ses yeux sont particulièrement braqués sur le ministère de la Sécurité publique, qui dirige la police nationale. Ben Gvir fera également pression pour révoquer la citoyenneté des Palestiniens et des Juifs de gauche en Israël, tout en persécutant l’opposition politique et en étouffant le système judiciaire. Il n’est pas étonnant que l’image de monstre de Ben Gvir soit devenue centrale dans presque toutes les campagnes électorales des partis centristes et de gauche. Même si l’extrême droite est écartée du pouvoir, la montée de cette tendance fasciste restera un développement très préoccupant.

Le vote palestinien

La plupart des analystes politiques s’accordent à dire qu’un facteur clé est susceptible de décider du résultat de l’ensemble des élections: le vote des citoyens palestiniens d’Israël. Lors du troisième tour des élections, il y a deux ans, lorsque les quatre partis arabes se sont présentés ensemble sous le nom de Liste commune, 64,8% des citoyens palestiniens se sont rendus aux urnes, ce qui a permis à la Liste de remporter un nombre historique de 15 sièges et de devenir la troisième fraction parlementaire de la Knesset. Aujourd’hui, les partis palestiniens se présentent sur trois plates-formes distinctes et concurrentes, et les sondages estiment que le taux de participation de la communauté palestinienne pourrait descendre jusqu’à 40%. Les sondages prévoient que deux des listes – la liste islamique Ra’am et la liste communiste Hadash-Ta’al – franchiront de justesse le seuil électoral avec quatre sièges chacune, tandis que la liste nationaliste Balad devrait échouer.

Dans une course aussi serrée, la question de savoir combien de citoyens palestiniens iront voter pourrait faire basculer les résultats de façon spectaculaire. De nombreux membres de la communauté – dont la participation politique a longtemps été attaquée et sapée par les partis israéliens de tous bords – sont plus désabusés que jamais par leurs dirigeants et l’ensemble du système politique. Pourtant, si un deuxième parti arabe ne parvient pas à franchir le quorum, la représentation palestinienne à la Knesset tombera à presque rien, faisant pencher la balance électorale encore plus vers la droite et garantissant probablement à Netanyahou la possibilité de bénéficier d’une coalition plus importante et plus stable. C’est pourquoi les acteurs locaux et étrangers de la gauche ont consacré beaucoup d’argent et d’efforts à des campagnes de «mobilisation», tandis que le Likoud et ses alliés locaux et internationaux ont secrètement soutenu des campagnes visant à faire refluer le vote en faisant proliférer des messages de désespoir parmi les citoyens palestiniens.

Le fait qu’un tel potentiel soit désormais entre les mains des citoyens palestiniens est loin d’être une évidence dans une culture politique qui, jusqu’à récemment, rejetait presque entièrement leur participation. La question est de savoir ce que les citoyens palestiniens choisiront de faire de ce levier.

Les trois listes en lice proposent trois réponses très différentes à cette question. Mansour Abbas de Ra’am suggère que les citoyens palestiniens mettent de côté leur identité nationale et leur solidarité avec leur peuple dans les territoires occupés et la diaspora, et qu’ils rejoignent plutôt tout gouvernement qui leur offre des avantages financiers suffisants. Ayman Odeh et Ahmad Tibi, qui mènent la liste Hadash-Ta’al, font campagne sous le slogan «Le changement par l’égalité», rejetant la droite et s’engageant à ne soutenir qu’un gouvernement de centre-gauche qui s’efforcerait de mettre fin à l’occupation, d’abroger la loi de l’Etat-nation juif [adoptée le 19 juillet 2018 et qui fait partie d’une des lois fondamentales de l’Etat], d’éradiquer le crime organisé dans la société palestinienne et d’arrêter les démolitions de maisons dans le Naqab/Negev. Sami Abu Shehadeh de Balad, quant à lui, exclut de soutenir tout gouvernement dirigé par les sionistes, s’engageant plutôt à lutter pour «un Etat de tous ses citoyens» depuis les bancs de l’opposition. Les résultats de mardi 1er novembre révéleront laquelle de ces trois positions la communauté a choisi de soutenir – si elle en soutient une.

La décision cruciale du centre

L’histoire la plus importante de ces élections, qui est sans doute la moins discutée, concerne les Juifs israéliens qui s’identifient au dit centre politique. Ce camp, dirigé par Yair Lapid mais représenté par au moins quatre partis, a averti ses électeurs que Netanyahou et Ben Gvir représentent une menace claire et immédiate pour la démocratie dont jouissent les Juifs dans le pays. Dans le même temps, le centre a été réticent à embrasser la seule véritable alternative à cette menace: un partenariat sérieux avec les partis palestiniens, fondé sur un engagement à instaurer l’égalité pour tous les citoyens et à mettre fin à l’occupation.

Si Yair Lapid avait fait campagne sur ce message, il aurait peut-être incité davantage de citoyens palestiniens à voter, augmentant ainsi les chances d’obtenir une majorité parlementaire claire. Il s’est refusé à le faire, que ce soit en raison de sa propre vision politique ou de sa crainte de représailles de la part des électeurs centristes oscillants, qui prêtent attention à la campagne de peur de Netanyahou mettant en garde contre un autre gouvernement dépendant du soutien arabe.

Si le camp anti-Netanyahou remporte effectivement 61 sièges mardi, Lapid aura une deuxième chance de choisir entre un gouvernement qui promeut l’égalité et la paix, une coalition qui soutient la montée du fascisme ou un sixième round électoral avec les mêmes résultats dans quelques mois. Si le centre israélien a aussi peur qu’il le prétend de la deuxième option, alors il doit poursuivre la première. Tant qu’il ne le fera pas, il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même pour la suite des événements. (Article publié sur le site israélien +972, le 31 octobre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

Haggai Matar est un journaliste et un activiste politique israélien, directeur du site et magazine +972.

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[1] Amnesty International déclarait en août 2022 à propos de l’intervention de l’armée israélienne contre des organisations palestiniennes de la société civile dans les territoires palestiniens occupés: «Les forces armées israéliennes ont effectué une descente avant l’aube à Ramallah dans les locaux d’Addameer, d’al Haq, de Defense for Children International-Palestine (DCIP), de Union of Agricultural Work Committees, de Bisan Center for Research and Development, de Union of Health Work Committees, et de Union of Palestinian Women Committees, et saisi des dossiers et de l’équipement. Elles ont également recouru à des ordonnances militaires pour fermer ces organisations et ont scellé les portes de leurs locaux. «Ces organisations ont énormément contribué à la défense des droits humains dans les TPO et à travers le monde, mais l’armée israélienne piétine leur travail. Amnesty International est solidaire de ses partenaires palestiniens et appelle tous les gouvernements à condamner l’attaque de l’armée israélienne contre la société civile palestinienne», a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.» (Réd. A l’Encontre)

[2] Meir David Kahane (1932-1990) créa en 1971 le parti politique Kach, d’extrême droite, qui entre à la Knesset en 1984 avec 1,2% des suffrages (les élections obéissent à une proportionnelle dite intégrale). Le Kach a été interdit en Israël pour ses «incitations au racisme», en fait une option de «conquête complète de la terre promise». (Réd. A l’Encontre)

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