Cisjordanie. Les milices de colons-soldats sont de plus en plus menaçantes contre les communautés rurales. Elles cherchent à les chasser 

Susiya, 22 juin 2022.(Yotam Ronen/Activestills)

Par Hamdan Mohammed Al-Huraini

Le harcèlement et l’intimidation par les colons israéliens, souvent accompagnés d’une escorte militaire, ne sont pas un phénomène nouveau pour les Palestiniens de Susiya, un petit village de la région de Masafer Yatta [sud-est du district d’Hébron, avec une population vivant de l’agriculture et de l’élevage], en Cisjordanie occupée. Cependant, depuis le début de la guerre, le 7 octobre, nous assistons à une intensification alarmante. Et il est de plus en plus difficile de faire la distinction entre les colons et les soldats.

Au cours des trois dernières semaines, des milices de colons-soldats ont fait irruption dans des communautés rurales de Cisjordanie, agressé des résidents palestiniens et les ont menacés de représailles s’ils ne quittaient pas leurs maisons. Alors que le monde entier observe l’offensive militaire d’Israël sur Gaza, les colons ont choisi d’intensifier leurs attaques dans le but de déplacer systématiquement et par la force des centaines, voire des milliers, de Palestiniens.

Le 16 octobre, les colons israéliens et l’armée ont bloqué toutes les entrées de Susiya avec de gros blocs de pierre, ainsi que les routes menant à la ville voisine de Yatta, où les villageois se rendent pour acheter de la nourriture et des provisions. Quelques jours plus tard, l’administration civile – la branche bureaucratique de l’occupation israélienne – est venue ouvrir la route, mais les colons les en ont empêchés et les ont forcés à quitter les lieux. Les colons ont alors commencé à revêtir des uniformes militaires et à attaquer plus que jamais les habitants de Susiya.

Ahmad Jaber Nawajah vit à Susiya avec sa femme et ses deux filles, âgées de 7 et 8 ans. Le 28 octobre à 20 heures, deux colons masqués, en uniforme militaire, ont fait irruption dans leur maison et ont commencé à détruire leurs biens et à prendre des photos de tout. Lorsque la famille a protesté, les colons l’ont réduite au silence par des insultes et des menaces, ce qui a duré 30 minutes.

A 23 heures, une voiture civile portant une plaque d’immatriculation israélienne jaune est arrivée à l’entrée de la maison, et cinq hommes en uniforme – dont deux étaient masqués – en sont sortis. Ils ont commencé à inspecter les abords de la maison. Ils ont fini par pénétrer à nouveau dans la maison de la famille. La famille s’est levée lorsque les colons ont commencé à balancer des objets et à prendre d’autres photos. Les filles de Nawajah ont commencé à pleurer et à crier. Prises de panique et de peur, l’une d’elles s’est mise à vomir et l’autre a saigné du nez.

Finalement, les hommes ont cessé de prendre des photos et ont empoigné Nawajah et son frère Muhammad, les forçant à quitter la maison et leur ordonnant de s’asseoir sur le sol à quelque 40 mètres de là. Nawajah, qui ne comprend pas l’hébreu, s’est assis sur un rocher au lieu du sol. Alors, l’un des colons a commencé à le frapper, l’attrapant par la nuque et lui enfonçant le visage dans le sol. Lorsque Muhammad a commencé à protester, les colons lui ont donné des coups de pied et de poing sur tout le corps.

L’un des colons a alors menacé les deux frères, leur disant qu’ils avaient 24 heures pour quitter leur maison, sinon ils reviendraient, leur tireraient dessus et détruiraient leur maison.

A ce moment-là, des véhicules militaires israéliens sont arrivés sur les lieux et des soldats ont ordonné à Nawajah de présenter sa carte d’identité. Il est rentré chez lui pour la récupérer, tandis que Muhammad expliquait aux soldats que les colons les avaient battus et menacés de les tuer. Les soldats ont dit à Muhammad de se taire et qu’ils devaient rentrer chez eux. Alors que Nawajah et Muhammad s’exécutaient, les colons ont réitéré leurs menaces, sous les yeux des soldats.

La même nuit, la milice de colons a fait irruption dans plusieurs autres maisons et a proféré ses menaces envers d’autres familles. Les colons ne sont toujours pas revenus depuis cette nuit terrifiante, mais les villageois craignent qu’ils ne fassent à nouveau irruption dans le village à tout moment.

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Depuis que les colons ont bloqué les routes autour de Susiya, les villageois n’ont aucun moyen de se rendre à Yatta pour acheter de la nourriture, du fourrage pour le bétail ou des médicaments pour les personnes âgées. Les personnes âgées souffrant de problèmes médicaux tels que le diabète ne peuvent pas se rendre à l’hôpital. Les habitants vivent dans la crainte de ce qui se passera si quelqu’un a besoin de soins urgents.

L’élevage étant le principal moyen de subsistance du village, l’impossibilité d’acheter de la nourriture pour les troupeaux constitue un danger sérieux. De plus, cette situation survient après la saison des pacages, durant laquelle les colons et les soldats ont travaillé ensemble pendant des mois pour bloquer l’accès à la plupart des pâturages entourant le village. Plus les routes resteront fermées, plus les pertes économiques seront importantes et plus les Palestiniens seront contraints d’abandonner leur mode de vie.

«L’économie du village dépend des moutons», explique Yousef Nawajah, un berger du village. «Lorsque nous ne pouvons pas aller chercher de la nourriture à Yatta, nous perdons notre gagne-pain et sommes contraints de vendre nos troupeaux. Lorsque nous perdons nos moutons, je ne peux pas nourrir ma famille, je n’ai pas de travail. Ma famille ne trouve rien à manger.»

En outre, les colons et l’armée ont systématiquement détruit les puits de la région, qui assurent environ 60% de l’approvisionnement en eau du village. Il s’agit d’une tentative délibérée de forcer les gens à quitter leurs terres. Cela s’ajoute au fait que les habitants ne peuvent pas apporter par les routes de l’eau au village, provoque une grande pénurie d’eau et augmente le risque de propagation des maladies, en particulier chez les enfants.

La même chose se produit dans de nombreux villages de Masafer Yatta depuis le début de la guerre. Au moins 13 communautés palestiniennes ont déjà été déplacées de force depuis le 7 octobre. Lundi soir, des colons ont incendié plusieurs maisons dans le village de Sfai.

Si la coupure des routes, les attaques et les menaces des colons-soldats, le manque d’accès à l’eau et à la nourriture pour les animaux se poursuivent encore longtemps, la situation se transformera en un crime contre l’humanité. (Article publié sur le site israélien +972 le 31 octobre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Hamdan Mohammed Al-Huraini est un militant défenseur des droits de l’homme de Susiya. Il documente les abus de l’occupation contre les Palestiniens à Masafer Yatta. Il est également bénévole en tant qu’enquêteur pour l’ONG israélienne B’Tselem.

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