Par Olmo Dalcò
Matteo Renzi, président du Conseil des ministres italien depuis le 22 février 2014, l’avait annoncé. L’année passée devait être l’année de la reprise économique. Elle devait marquer le tournant de la croissance en Europe grâce au «semestre italien». [Autrement dit, à la présidence Renzi de l’UE du 1er juillet au 31 décembre 2014]. Ce semestre aurait dû être la « démolition» [1] de l’austérité. En effet, le PIB, dans le Document d’économie et finance (DEF) publié en avril 2014 [2], était censé croître du 0,8% l’année 2014 et de 1,3% en 2015; les investissements de 2% en 2014 et de 3% en 2015; l’inflation devait se situer à hauteur de 0,9% en 2014 et à 1,2% en 2015; le taux de chômage devait atteindre les 12,8% en 2014 et 12,5% en 2015. Qu’en est-il?
Nous nous sommes réveillés le Nouvel an 2015 avec une croissance effective négative du PIB de – 0,4%, ce qui se traduit par 13 trimestres consécutifs de croissance négative (c’est la récession la plus longue de l’histoire du pays!); les investissements privés ont chuté de -2,1% en 2014; le taux de chômage a atteint le niveau record de 13,2% (près de trois millions et demi de travailleurs, sans considérer ceux et celles qui sont au chômage technique: cassa integrazione) [3] qui ne rentrent pas dans les calculs de l’Istat). Ces chiffres sont impressionnants si on considère le haut taux d’inactivité présent en Italie par rapport à d’autres pays européens. Il atteint 35,7%. En dépit d’une croissance prévue de 1% la consommation a stagné, y compris en dépit du bonus de 80 euros [4]. Les prix ont diminué de -0,2% en novembre, ce qui représente une situation de déflation, pour se situer autour de la moitié de la croissance prévue au mois avril. Un désastre.
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Cependant, Renzi, qui a placé sous le sapin de Noël des travailleurs et travailleuses le cadeau de la facilitation du licenciement [5] – ce qui constitue le dernier élément d’une précarisation croissante de «notre marché du travail», entre autres grâce à la mise en place d’une «délégation en blanc», c’est-à-dire d’un transfert du pouvoir décisionnel du législatif à l’exécutif, ce qui est clairement anticonstitutionnel [6] – a voulu convaincre les Italiens et Italiennes de se montrer favorable à une loi de stabilité 2015 qui, finalement , aurait un effet de relance et s’opposerait à l’austérité.
On connaît le raisonnement utilisé, car, «le monstre de Florence» [7] l’a propagé partout, depuis le salon] de Maria De Filippi jusqu’à celui de Barbara D’Urso (gloire aux berlusconisme tombant du ciel[8]): il se définit comme flexibilité en échange de réformes. Mais il faut le traduire par: privatisations, libéralisation et précarisation du marché du travail en échange de quelques allégements fiscaux supplémentaires pour les entreprises.
Cette approche est reprise, de manière moins «nationale populaire», dans le Document programmatique de bilan (DPB), tel que le permet le Two Pack (Reg. UE 473/2013 art. 5 p. 2 lett. a). Ce dernier consiste à exploiter les espaces déjà présents dans le Pacte de stabilité (la soi-disant clause de flexibilité prévue par le Pacte dans l’art. 5 Reg. UE 1466/97 tel que reformée par le Six Pack -Reg. UE 1175/2011-) [9]. Soit la référence à l’article qui prévoit la possibilité de s’éloigner temporairement, en cas des événements exceptionnels et de graves récessions, de la convergence vers l’objectif de moyen terme. En Italie, cela coïncide avec l’équilibre budgétaire, en échange d’importantes réformes structurelles (surtout en matière de flexibilité du marché du travail et de la réforme des retraites), et de rester dans les limites [de Maastricht] du 3% d’endettement net par rapport au PIB. A peine dit que c’était fait. Peut-être non. En effet, s’il est vrai que le Jobs Act [10] a été approuvé sous l’effet d’un rouleau compresseur, il est aussi vrai que l’on ne voit pas traces de la «démolition» de l’austérité dans la loi de stabilité 2015. Laissons parler les chiffres.
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La dite flexibilité propre à l’opération d’austérité 2015 s’exprime dans un fait: si l’endettement net tendanciel – compte tenu du non-changement des politiques menées – atteignait 2,2% du PIB, le gouvernement dans le DPB avait prévu un endettement net de – 2,9% du PIB : en tout cas sous le seuil du 3%, mais avec un accroissement du déficit de 0,7%, les fameux 11 milliards de l’opération de relance[11]. L’écart entre endettement net planifié et l’endettement net tendanciel exprimait, de facto, les chiffres de la «démolition» de l’austérité. Même l’endettement net structurel, qui ne prend pas en compte le cycle économique, a passé de – 0,5% tendanciel à – 0,9% programmé auparavant. Cette donnée est loin d’atteindre la valeur prévue en avril, soit – 0,1%, qui aurait permis d’atteindre l’équilibre budgétaire structurel prévu pour avril 2016 et maintenant repoussé en 2017).
Le 22 octobre 2014, le vice-président de la précédente Commission européenne, Jyrki Katainen (Finlande), a rédigé une lettre confidentielle adressée au ministre italien de l’Economie Pier Carlo Padoan (directeur exécutif du FMI de 2001 à 2005 pour la région Italie-Grèce-Portugal-Albanie, puis économiste en chef à l’OCDE). Dans cette lettre, Katainen soulignait la question d’une déviation significative par rapport au plan exigé de convergence de la parité du bilan structurel (ex art. 6 Reg 1466/97 modifiés par le Six Pack), outre le non-respect du critère de la dette publique (ex art. 2 Reg 1467/97 modifié par le Six Pack), soit la valeur de 60% par rapport au PIB.
Nonobstant la grosse voix de Matteo Renzi, qui a rendu publique cette lettre strictement confidentielle, le 27 octobre déjà le gouvernement italien capitulait, sans entamer aucun type de négociation, même pas de circonstance. Le ministre Padoan a écrit une réponse à l’ancien vice-président Kaitainen, dans laquelle exprime l’engagement du gouvernement italien dans l’effort de réduire de 0,3% – soit de 4,53 milliards d’euros – le niveau d’endettement net planifié pour atteindre -2,6%. Concernant la règle de la dette, le gouvernement réaffirme l’engagement en vue de l’ambitieux plan de privatisation impliquant 0,7% en moyenne annuelle du PIB sur la période 2015-2017, ce qui équivaut à 33 milliards d’euros de privatisation (…ce que même pas Margaret Thatcher avait fait dans ces meilleures années!). Pour résumer, après une quinzaine de jours, le DPB est modifié. Mais cela ne s’arrête pas là.
La nouvelle Commission européenne présidée par Jean-Claude Junker (ex-ministre des Finances du Luxembourg) déçoit les attentes de Renzi. Les jugements exprimés le 28 novembre à propos du DPB italien mis à jour par les nouveaux commissaires – le vice-président conservateur de Lettonie, Valdis Dombrovskis, et l’ex-gauchiste converti au social-libéralisme, Pierre Moscovici, commissaire de vigilance aux affaires économiques – sont certainement négatifs. En effet, ils réaffirment la déviation significative du processus italien de convergence en direction de l’objectif de moyen terme ainsi que la violation non seulement de la règle de la dette, mais aussi de la règle de la dépense [règle d’or du budget]. Plus précisément, l’objectif de moyen terme exigerait un nouvel effort de 0,25% sur le déficit structurel (dépassant 0,5% de l’endettement net) ainsi qu’une réduction ultérieure de la dépense publique de 0,2% par rapport au PIB. Pour ce qui a trait compliance (respect) avec le critère de la dette, on observe une déviation de 2,5%. Certains soulignent que dans des conditions de croissance mondiale proche de 0%, cela équivaut à une réduction de la dépense primaire [12] en termes nominaux de 5% sur deux ans. Soit une compression équivalant à 80 milliards, ce qui déstabilise même Carlo Cottarelli [13].
Enfin, le jugement décisif de la Commission européenne sur l’Italie est renvoyé à mars 2015. Il se combinera avec celui de la Prévention et correction des déséquilibres macroéconomiques (prévue par le Six Pack, Reg. 1176/UE). En mars 2014, l’Italie a été jugée comme ayant des déséquilibres excessifs liés au niveau de la dette publique et à la faible compétitivité de son économie. Il en découle des recommandations politiques de la Commission vouées à réduire la dette publique à travers: un important plan de privatisations; une élévation de la productivité à travers la réforme du marché du travail; la réforme de la négociation collective visant à lier les salaires à la productivité; la réduction du coin fiscal [selon l’économie mainstream, il s’agit des effets supposés de l’introduction d’un impôt sur la consommation et la production d’un bien].
On peut affirmer avec certitude que l’Italie sera soumise à la procédure spécifique visant les déficits «excessif» et la correction des déséquilibres macroéconomiques en termes de dette publique. Loin de diminuer, selon les prévisions, le ratio dette/PIB va encore augmenter, passant de 131,7% à 134,3% en 2015. Beaucoup d’efforts pour rien!
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On passe donc d’environ 11 milliards de mesures pour contenir le déficit public, à une Loi de Stabilité 2015 – définitivement approuvée en décembre 2014 – qui impliquera une augmentation de l’endettement net par rapport à son niveau tendanciel de 5,8 milliards. Certainement, ces chiffres sont inférieurs aux prévisions, mais ils représenteraient, à première vue, une inversion de la tendance par rapport à une politique d’austérité. Qu’en est-il?
La première objection est celle concernant l’endettement net qui passe de 49,2 milliards en 2014 (3% du PIB) à 42,8 milliards en 2015 (2,6% PIB). Néanmoins, en termes de variation par rapport à l’année 2014 et non pas par rapport à la tendance 2015, la contraction budgétaire est forte et peu importe que l’austérité soit le fruit des politiques des gouvernements Berlusconi, Mari Monti (Président du Conseil de novembre 2011 à avril 2013) ou de Enrico Letta (Président du Conseil d’avril 2013 à février 2014, membre du PD).
Toutefois, l’objection la plus importante concerne le caractère anticyclique du Plan de stabilité pour ce qui a trait non pas au déficit public, mais au déficit primaire, soit à la situation budgétaire avant le paiement du service de la dette. Seule une partie des dépenses pour paiement des intérêts correspond à des transferts étatiques en faveur des ménages: environ 11% selon les données récentes de la Banque d’Italie, à savoir en peu plus de 200 millions d’euros. En termes analytiques, cela peut être considéré comme anticyclique dans la mesure où le reste est déjà intégré ou ne doit pas être pris en compte. Pourtant, il faut regarder le bilan primaire pour évaluer le caractère expansif ou récessif du Plan de stabilité. Le solde primaire [14] est prévu à hauteur de 1,9% par rapport au PIB. Donc, pour 2015 est prévu un excédent primaire assez important, qui atteint 31,6 milliards: tel est le montant de l’austérité, au-delà de la propagande du gouvernement Renzi.
De plus, on observe qu’en 2014 l’excédent primaire a été de 1,7% par rapport au PIB, à savoir inférieur à ce qui est envisagé pour 2015: donc, l’austérité continue à augmenter plutôt que de diminuer. En effet, les sommes, en termes nominaux, pour les intérêts diminuent d’environ 2,5 milliards. Non seulement il n’y a aucune politique de relance; non seulement l’austérité atteint le seuil de 2% du PIB, en considérant les variations comptables du PIB introduites par l’Institut national de statistique (ISTAT) selon les critères de la comptabilité nationale, mais cette austérité augmentera l’année prochaine par rapport à cette année. Est-ce le tournant annoncé par les «démolisseurs»?
En analysant les 5,8 milliards d’euros d’endettement prévu par le Plan de stabilité 2015, on observe que 5,7 milliards constituent des dépenses plus importantes et que 124 millions représentent une réduction des recettes. Il faut, toutefois, considérer que les 9,5 milliards relatifs à la confirmation des primes de 960 euros annuels – les 80 euros mensuels – sont à cause d’un maquillage comptable liés au caractère transitoire et électoraliste de cette mesure budgétaire qui est enregistrée au plan comptable en tant que transfert, à savoir une ultérieure dépense. Et non pas comme réduction de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (Irpef), à savoir des recettes réduites. En ayant cela à l’esprit, on obtient, finalement, un total de 9,6 milliards propres à une réduction des recettes et 3,8 à une contraction des dépenses. L’option néolibérale reste donc totalement à l’ordre du jour.
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Du côté des recettes, on comptabilise une contraction de 21,3 milliards et 11,7 milliards d’accroissement des recettes. Les entrées réduites les plus importantes, au-delà des bonus électoraux [les 80 euros de Renzi], sont: 3 milliards issus de la clause de sauvegarde Letta-Saccomanni [15]; 2,7 milliards de déductions des «coûts du travail» issus de l’impôt régional sur les activités de production (Irap) et 1,9 milliard de déductions fiscales pour l’embauche via des contrats précaires avec «charges sociales» réduites. C’est donc un ultérieur cadeau d’environ 5 milliards alloué aux entreprises qui s’ajoutent aux faveurs déjà faites avec le Décret bonus Irpef du début d’année, en partant du cadeau de la taxation simplifié sur les profits par le biais du renforcement de l’aide à la croissance économique (Ace) (environ 700 millions) [16]. Les mesures en faveur des entreprises sont surprenantes et iniques, car la déduction du coût du travail de l’Irap favorise principalement les grandes entreprises au détriment des micros et petites entreprises (les plus touchés par la crise économique). Ces dernières ne bénéficieront d’aucun aide, ou ne recevront qu’une aide infime.
On prévoit donc l’exonération du versement des contributions de prévoyance à la charge des entreprises pour trois ans sur les nouvelles embauches avec le contrat introduit par le Jobs Act. Le gouvernement a soutenu qu’ainsi le contrat précaire introduit par le Jobs Act est plus «bon marché» par rapport aux autres. En vérité, une simple simulation faite sur un revenu brut annuel de 24’000 euros suffit pour montrer que le coût pour l’entreprise du faux contrat à temps indéterminé passe de 35,6 à 27’000 euros. De plus, le contrat à durée déterminée permet d’épargner sur les indemnités dues en cas de licenciement. Toutefois, si ces déductions pour l’entreprise ne soident pas déterminantes, il leur reste l’avantage d’exploiter le mécanisme infâme de la spirale continue des embauches et des licenciements, du moment que les 8,6 milliards d’euros annuels de déductions sont supérieurs au coût des infimes indemnités mensuelles en cas de licenciement. Donc, il y a là non seulement des cadeaux supplémentaires pour les patrons, mais aussi le fait que ces cadeaux sont effectués dans le but de stimuler ultérieurement la précarisation du travail. Comme dit le proverbe populaire: douleur partagée est plus facile à supporter!
Enfin, la prime de 80 euros exclut la catégorie des «exonérés» et se présente comme fortement inique envers les «insolvables» [17]. De plus, en vue de son caractère illogique d’un point de vue fiscal, ceci implique une courbe du taux marginal d’imposition qui, dans le créneau compris entre 24’000 et 26’000 euros arrive, atteint quasi le seuil de 80%. Les salariés incités à dépasser le seuil des 26’000 et contraints à accroître les heures supplémentaires afin d’éviter le trou noir du système de Renzi seront plus que nombreux. Ce n’est pas un hasard que le système de prime a été sous-utilisé par rapport à ce qui avait été prévu. On oublie suivant d’analyser la courbe des taux effectifs d’imposition marginale Irpef. Est-ce que vous vous rappelez de la réforme Visco-Prodi [18] qui avait introduit, de facto, deux taux effectifs d’imposition marginale: celui à hauteur de 30% qui 8000 euros annuels et 41% déjà à partir de 20’000? Cela a été une contre-réforme aggravée par celle de Giulio Tremonti [ministre de l’Economie et des Finances de mai 2008 à novembre 2011, membre de Forza Italia puis du Peuple de la liberté, pour créer, en 2012. le Parti des 3L : Lista Lavoro e Liberta], jamais réalisé, qui prévoyait deux taux d’imposition, 23% et 33%. Personne n’en avait eu conscience et le Parti de la refondation communiste (Prc) avait même voté en faveur de cette réforme: étudiez, car on aurait besoin de toute votre intelligence!
En tout cas, on sait que cette mesure est transitoire (80 euros) – car elle aurait autrement été intégrée dans l’Irpef – l’ordonnance fiscale [votée le 27 février 2014] impliquera bientôt d’autres réformes de l’Irpef. Désormais, cet impôt frappe seulement les travailleurs et travailleuses salariés et les retraités (les revenus des capitaux ne sont plus pris en compte par l’Irpef). La contre-réforme introduira des formes plus ou moins édulcorées dans le sens d’une flat tax: taux d’imposition à taux unique. Déjà aujourd’hui l’art. 53 de la Constitution n’est pas respecté en matière de progression du système d’imposition, compte tenu du rôle affaibli de l’Irpef et du caractère régressif par rapport au revenu du deuxième impôt:la TVA. Le but sera atteint. Le montant nécessaire à la prime Renzi de 80 euros sera nécessaire afin de trouver les ressources pour introduire cette flat tax. Pour le scénario du film: merci Mme Thatcher!
Les coupes aux plans communal et régional auront des conséquences importantes. Le gel des taux d’imposition à l’échelle municipale ne permettra pas aux institutions locales de remplacer la baisse des transferts étatiques par le biais d’une augmentation de la pression fiscale. Les coupes des attributions aux régions provoqueront une baisse du financement de la santé publique d’au moins 80%. Quant à celles touchant les provinces, elles impliqueront des licenciements et davantage de « mobilité » pour les salariés [19]. Pour les communes, cela impliquera une coupe linéaire dans les services sociaux.
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Les effets de la réduction de la dépense (spending cut) seront dévastateurs sur le plan social en dépit des slogans propagés concernant les coupes contre les gaspillages et les dépenses improductives. Au contraire, l’augmentation des dépenses concerne surtout les subsides octroyés aux entreprises tandis que les investissements publics augmenteront seulement de 400 millions d’euros, ce qui signifie une stagnation mesurée en pour cent du PIB.
Concrètement, la Loi de stabilité de Renzi s’inscrit dans la même logique d’austérité des gouvernements précédents. Elle partage la même philosophie de dévaluation compétitive du salaire nominal et de la réduction de la dépense publique. Elle maintient d’ailleurs la même logique fiscale qui privilégie des réductions d’impôts pour les entreprises, comme ladite Patent box [20] – système fiscal dénoncé par Mazzucato [21] dans un article paru sur le quotidien La Repubblica du 24 décembre 2014 – au lieu de l’augmentation des investissements publics qui auraient une fonction anticyclique (anti-récessive) et d’amélioration de la productivité sur le long terme.
Pour résumer, cette option implique plusieurs aspects contradictoires par rapport à la propagande gouvernementale. D’abord, la Loi de stabilité ne stimule pas la croissance, mais elle intensifie l’austérité. Ensuite, ses effets se concentrent sur une réduction fiscale sélective et non pas sur l’augmentation des investissements publics qui ont un effet multiplicateur majeur, selon le théorème keynésien. De plus, la contraction fiscale est substantiellement inique, car elle est faite uniquement en faveur des entreprises et elle ne prend pas en compte les « insolvables ». Enfin, la réduction de la dépense publique frappe avant tout les services publics et sociaux de manière socialement injuste. Pour terminer, les investissements publics restent en substance à leur niveau et confirment le refus d’une politique budgétaire expansive et de stimulation de l’innovation ainsi que du développement des forces productives. […]
Renzi accuse ceux et celles qui défendent les acquis de la classe laborieuse en soutenant qu’ils voudraient « insérer un jeton dans un iPhone ». Par le biais de cette métaphore – le conservatisme face à la modernité – Renzi oublie que l’iPhone même est le résultat des investissements publics et non pas de son héros [Steve Jobs], gourou de l’évasion fiscale légalisée plutôt que de l’informatique. Apple était la reine en matière de contournement du fisc avec l’ouverture de ses propres filiales dans des paradis fiscaux afin de réduire le taux d’imposition effectif au-dessous de 10%! Ainsi, Renzi a définitivement supprimé toutes sortes de protections contre le licenciement illégitime. C’est la victoire de la Maine libre des patrons sur les licenciements collectifs ainsi que celle de la bureaucratie d’État sur le personnel de l’Administration publique (AP). En effet, l’amendement qui a exclu l’application du Jobs Act au rapport de travail dépendant de l’AP (art. 51 c. 2 Testo Unico Dlgs 165/2001, dans l’AP reste valable l’art. 18 dans la formulation ante Monti-Fornero) a disparu. […]
La vérité est que le film de Renzi, les travailleurs et travailleuses l’ont déjà vu. Le remake ne les intéresse pas. Le XIXe siècle 2.0 [allusion au film Novecento de Bertolucci] ne peut qu’avoir un final amer pour la classe bourgeoise : la contradiction entre le développement des forces productives et les rapports sociaux de production capitalistes peut déboucher sur la possibilité d’une société socialiste. Au-delà des métaphores concernant les jetons et les iPad, un futur «durable» ne peut que reposer sur la propriété publique et une planification écosocialiste ainsi que sur une propriété libre et gratuite dont le potentiel est indiqué par l’open source et de la coopération digitale. De plus, par rapport à l’argent de poche qui constitue les amortisseurs sociaux mis en place par le gouvernement Renzi – qui représente une vraie et propre méconnaissance du désespoir qui se répand au sein des couches populaires ainsi qu’à un dénigrement cynique de la dignité humaine – il faut un programme social pour garantir à tous et toutes les résidents – Italiens et immigrés – le droit au logement, un salaire social pour mener une existence «libre et digne», une formation et une éducation allant de concert avec le développement de l’intelligence collective et de la productivité sociale du travail. La seule vraie « démolition» est celle du capitalisme et de la classe bourgeoise ; alors que les marionnettes d’État, aujourd’hui plus que jamais au service des « messieurs », retourneront dans la stupidité qui leur est propre : «Des crétins habillés en enfants conduisant des enfants habillés en crétins !» (pour reprendre la formule attribuée à George Bernard Shaw pour caractériser les scouts ; en fait, l’auteur est l’acteur Jack Benny). (Traduction A l’Encontre, article paru sur le site de Sinistra Anticapitalista)
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[1] L’auteur ironise avec un jeu de mots qui rappelle les divisions internes du Parti démocrate (PD) qui ont abouti à la nomination de Matteo Renzi en tant que secrétaire national du parti le 15 décembre 2013. En effet, les «démolisseurs» étaient un courant interne au PD dont les leaders étaient l’actuel premier ministre Matteo Renzi et son compagnon de parti, Giuseppe Civati, député de la circonscription de Lombadie I. Le 5-7 novembre 2010, ces deux jeunes «figures» du PD ont organisé une sorte de «Convention» des démolisseurs à la gare Leopolda de Florence avec plus de 6’000 participants afin de «rénover»» le parti. La cible de l’époque était l’ancienne direction du parti représentée par le secrétaire du parti [2009-2013] de l’époque, Pierluigi Bersani. Ce dernier représentait la «vieille génération» du PD, issu du Parti communiste italien (PCI), puis du PDS–Parti Démocrate de la Gauche (Réd. À l’encontre)
[2] Dans ce document, Renzi a présenté examen global de la dépense publique (Spending Review) prévoyant une réduction du budget d’État de 42 milliards d’euros sur les 3 années à venir. Cela signifie une destruction des services publics et en même temps leur privatisation. Ce plan prévoyait aussi 100’000 licenciements dans le secteur public, la réduction de 10 % des impôts sur les entreprises. La vente de la propriété publique – édifices et autres biens – est censée rapporter de 12 milliards d’euros chaque année. (Réd. À l’encontre)
[3] Au nombre de chômeurs, il faut ajouter presque 3,2 millions des personnes «inactives» mais prêtes à travailler qui échappent aux statistiques du chômage. De plus, quelque 500’000 travailleurs au chômage technique (cassa integrazione) dont le taux d’activité est presque nul et qui bénéficient d’une allocation située entre 700 et 800 euros par mois, ce qui équivaut à une perte salariale importante. La cassa integrazione est un dispositif lié au chômage technique qui fait partie des dits amortisseurs sociaux. Durant les périodes de chômage technique – fréquentes dans les grandes et moyennes entreprises – la cassa integrazione assure une partie salaire. Le terme lui-même d’amortisseur social renvoie à la politique de gouvernements de l’après-guerre visant à amortir les chocs des récessions (en termes de demande et de stabilité sociale), avec un chômage alors relativement limité par rapport à aujourd’hui. La cassa integrazione, mise en place à la sortie de la Seconde Guerre mondiale en Italie, a été renforcée sous l’impact des mobilisations de la fin des années 1960 et des années 1970 (jusqu’en 1984). Ce mécanisme a été attaqué indirectement et directement. Il faut avoir à l’esprit les effets à la baisse de ce chômage technique, sur une période relativement prolongée, sur le montant alloué des retraites. (Réd. À l’Encontre)
[4] C’est l’une des mesures économico-électorale adoptées par Renzi. Il s’agit d’une prime de 80 euros mensuel pour environ 6 millions des salariés dont le revenu brut annuel est compris entre 16’000 et 25’000 euros. Ce bonus atteint le 4 % du revenu total pour ceux qui se situent au-dessous de 16’000 euros. Il est décroissant et proportionnel pour ceux dont le revenu annuel brut dépasse 25’000 euros. Son renouvellement n’est donc pas garanti. (Réd. À l’Encontre)
[5] Le 24 décembre 2014, le parlement italien a adopté la Loi de stabilité et le premier décret législatif du Jobs Act. Parmi les mesures prévues par le Jobs Act, il y a la définitive suppression de l’article 18 du Code du travail qui protège les salariés contre les licenciements dits abusifs. (Réd. À l’Encontre)
[6] Cette loi a été votée par la majeure partie de la soi-disant gauche du PD qui aurait pu la bloquer au moins au Sénat, là où elle disposait du nombre d’élu·e·s pour le faire. (Rédaction A l’Encontre)
[7] L’auteur ironise en surnommant Renzi – ancien maire de Florence – comme le meurtrier connu pour avoir fait beaucoup des victimes entre 1968 et 1985 dans les alentours de la ville de Florence. (Réd. À l’Encontre)
[8] Maria De Filippi et Barbara D’Urso sont deux présentatrices de télévision très populaires en Italie. La première est connue pour animer des «talents-show » très suivis, tandis que la deuxième a conduit pour longtemps un programme télévisé qui est un mélange de ragots et d’ «informations» sur l’actualité. Toutes les deux ont un contrat avec Mediaset, la grande chaîne télévisée italienne dont le patron est l’ancien premier ministre et entrepreneur Silvio Berlusconi. (Réd. À l’Encontre)
[9] A l’instar d’autres pays, les différents gouvernements qui se sont succédé (de droite et de gauche) depuis 2008 ont mis en œuvre des mesures «d’austérité» en concrétisant les dispositions de la Troïka (FMI, UE, BCE). Dans l’ordre, les sections de ces plans d’austérité sont: Six Pack en novembre 2011, Fiscal Compact en mars 2012 et Two Pack en mai 2013. Le Six Pack comporte un ensemble de mesures législatives visant à modifier le Pacte de croissance et stabilité (PCS) signé par les pays de la Zone euro et adopté le 17 juillet 1997 et visant «à coordonner les politiques budgétaires». Ces modifications concernent cinq points: 1° la nouvelle procédure de prise de décision, soit une recommandation de la Commission est réputée adoptée sauf si le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, décide de la rejeter dans un délai donné qui court dès son adoption par la Commission ; 2° La surveillance multilatérale, disposition préventive : les États de la zone euro présentent leurs objectifs budgétaires à moyen terme dans un programme de stabilité actualisé chaque année. Un système d’alerte rapide permet au Conseil Ecofin, réunissant les ministres de l’Économie et des Finances de l’Union, d’adresser une recommandation à un État en cas de dérapage budgétaire; 3° La procédure des déficits excessifs, qui est disposition dissuasive. Elle est enclenchée dès qu’un État dépasse le critère de déficit public fixé à 3% du PIB, sauf circonstances exceptionnelles ; 4° Si c’est le cas, le Conseil Ecofin (ministres des Finances) adresse alors des recommandations pour que l’État mette fin à cette situation; 5° Si l’objectif n’est pas pris en compte (c’est-à-dire le déficit excessif pas comblé), le Conseil peut prendre des sanctions: dépôt auprès de la BCE qui peut devenir une amende allant de 0,2 à 0,5 % PIB de l’Etat en question. (Réd. À l’Encontre)
[10]Voir l’article publié sur ce site résumant le programme de Matteo Renzi en date du 21 mars 2014: http://alencontre.org/europe/italie/italie-le-vrai-programme-de-matteo-renzi.html (Réd. À l’Encontre)
[11] Il s’agit des 11 milliards de dépenses (déficit) prévues par la Loi de stabilité 2015 qui atteignent 36 milliards en total. Ces 11 milliards représentent le volet « expansive » qui caractérise cette « manœuvre » selon les déclarations de Renzi lors de sa présentation le 14 octobre 2014: « C’est une grande, grande, grande nouveauté : c’est une « manœuvre » expansive qui cherche à être anticyclique en respectant les contraintes européennes du rapport déficit/PIB à 3%.» (propos reportés par Rainews24 : http://www.rainews.it/dl/rainews/media/Renzi-manovra-anticiclica-0f30626a-2488-4337-967a-6bdf4275e7f6.html). (Réd. À l’Encontre)
[12] Par dépense primaire, on entend la dépense publique après déduction des intérêts. Elle est calculée par rapport au PIB et elle représente les coûts soutenus par un État en vue de garantir les besoins primaires tels que l’éducation, la santé, les transports, l’état social, etc. aux citoyens et citoyennes. (Réd. À l’Encontre)
[13] Carlo Cottarelli est un économiste mainstream. Après une expérience dans le secteur de recherche de la Banque d’Italie entre 1981 et 1987, il travaille au FMI depuis 1988. Au sein de cet institut, il a assumé plusieurs tâches en occupant le poste de Senior Advisor au sein du département européen où il était responsable pour la supervision des activités du FMI dans nombreux pays. Par ailleurs, de 2008-2013, il a été directeur du département des questions budgétaires du FMI. Aujourd’hui, il est chef de la délégation du FMI en Italie et au Royaume-Uni. Depuis novembre 2013, il est le Comissaire extraordinaire du gouvernement pour la réduction des dépenses publiques. (Réd. À l’Encontre)
[14] C’est le solde du budget étatique avant le paiement du service de la dette (intérêts sur la dette contractée et remboursement). C’est sur la base de cet indicateur qu’on définit l’équilibre budgétaire d’un État. (Réd. À l’Encontre)
[15] Il s’agit d’une clause introduite par le gouvernement d’Enrico Letta [28 avril 2013- 22 février 2014] et du ministre de l’Économie Fabrizio Saccomanni lors de l’adoption du budget 2014. Le premier volet technique, en dernière instance, aboutit à une pression fiscale accrue sur les salarié·e·s. Le deuxième concerne les crédits fiscaux faits aux entreprises. (Réd. À l’Encontre)
[16] Il s’agit de l’augmentation sur la période 2014-2016 de la part Ace (impôt sur les bénéfices) qui donne la possibilité de déduire du revenu net les bénéfices réinvestis dans l’entreprise ainsi que les capitaux investis. (Réd. À l’Encontre)
[17] Ne sont pas concernées par la prime de 80 euros les catégories des salarié·e·s suivantes: celles qui touchent un salaire supérieur à 1500 euros par mois, les chômeurs, les retraités ainsi que les travailleurs et travailleuses dites indépendants. Sont aussi exclus de la distribution de la prime ceux et celles qui touchent un revenu annuel inférieur à 8’000 euros et qui, de facto, ne sont pas contribuables, soit «insolvables». (Réd. À l’Encontre)
[18] Vincenzo Visco, économiste et membre du PD, a été ministre des Finances de 1996 à 2000 dans les gouvernements Prodi I [17 mai 1996-21 octobre 1998], D’Alema I [21 octobre 1998- 22 décembre 1999] et D’Alema II [21 octobre 1998 – 22 décembre 1999]. Romano Prodi, économiste et membre du PD, a été premier ministre du 18 mai 1996 au 21 octobre 1998, gouvernement Prodi I, et du 17 mai 2006 au 7 mai 2008, gouvernement Prodi II. (Réd. À l’Encontre)
[19] Il s’agit du dispositif « gestion de la mobilité » prévu par l’Assurance sociale pour l’emploi » (ASPI). Pour plus d’explications, lire la note 5 de l’article suivant: http://alencontre.org/europe/italie/italie-mobilisation-generale-contre-le-gouvernement-renzi.html. (Réd. À l’Encontre)
[20] Par Patent box on entend un ensemble d’allégements fiscaux appliqués aux revenus tirés de l’exploitation des brevets sur un territoire donné. Les activités qui exploitent les brevets – la propriété intellectuelle – sont donc favorisées. (Réd. À l’Encontre)
[21] Mariana Mazzucato est une économiste italo-américaine. Elle est chercheuse et professeure d’Économie de l’innovation à l’Université de Sussex (U.K). Elle a récemment publié l’ouvrage Lo Stato innovatore, Ed. Laterza, 2014. (Réd. À l’Encontre)
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