Par Richard Milne
Le résultat définitif des élections en Suède [1] n’est peut-être pas encore connu, mais on sait déjà qui sont les grands gagnants: les Démocrates suédois nationalistes.
Longtemps ostracisés par le courant politique dominant en raison de leurs racines dans le mouvement néonazi, les Démocrates suédois, hostiles à l’immigration, sont désormais le principal parti de l’opposition de droite, qui détient une mince avance sur le bloc de gauche au pouvoir, alors que les résultats préliminaires complets ne seront connus que mercredi.
Un mot était sur les lèvres de nombreux députés démocrates suédois qui ont parlé au Financial Times lors d’une fête bruyante dimanche soir dans la banlieue de Stockholm. «C’est une vengeance», a déclaré Henrik Vinge, chef adjoint du parti.
Linus Bylund, son chef de cabinet, a ajouté: «C’est une vengeance parce que les autres partis nous ont maltraités – même les trois partis [de droite] de notre camp. Mais le temps passe et le temps guérit.»
Si le bloc de droite l’emporte, les Démocrates suédois devraient gagner en influence au niveau national pour la première fois dans le pays, laissant seulement l’Allemagne, la France et la Belgique avec un prétendu cordon sanitaire autour de leurs partis d’extrême droite. L’écart actuel avec la coalition de gauche au pouvoir n’est que de 47 000 voix, soit l’équivalent de la taille moyenne d’une circonscription donnant droit à un siège.
Depuis que les Démocrates suédois sont venus du froid ces deux dernières années en s’alliant avec les partis de centre droit sur des questions telles que la criminalité et l’immigration, le bloc principal du centre droit a déclaré qu’il ne voulait pas des nationalistes au gouvernement, mais simplement comme un parti l’appuyant depuis le Parlement.
Mais les Démocrates suédois sont susceptibles d’exprimer des exigences encore plus importantes maintenant qu’ils semblent avoir gagné plus de voix que les Modérés du possible futur Premier ministre Ulf Kristersson pour devenir le deuxième parti le plus important. Environ 95% des votes ont déjà été comptabilisés, les Sociaux-démocrates de centre gauche conservant leur première place à chaque élection depuis 1917.
«Nous aimerions entrer au gouvernement», a déclaré Richard Jomshof, secrétaire des Démocrates suédois [depuis 2015]. «Il y a beaucoup de pression de la part de nos électeurs. Je ne suis pas sûr qu’ils se contenteraient que nous soyons en dehors du gouvernement.» Il a même suggéré que le parti pourrait revendiquer le poste de premier ministre, ce que les trois partis de centre droit [les Modérés, les Chrétiens-démocrates, les Libéraux] d’une coalition potentielle ne sont pas prêts à accepter.
Les Démocrates suédois ont leur base dans le sud de la Suède, point d’entrée de la plupart des immigrant·e·s et tristement célèbre pour les fusillades meurtrières dans la ville de Malmö.
Cela signifie également que le parti connaît bien le sort de sa formation sœur située de l’autre côté du détroit d’Öresund. Le Parti du peuple danois a choqué l’establishment à Copenhague en 2015 en devenant le plus grand groupe de droite, mais a refusé d’entrer au gouvernement. Il a depuis été quasiment effacé dans les sondages d’opinion au Danemark, les électeurs semblant avoir puni le parti pour avoir refusé d’entrer au gouvernement alors que le centre gauche a «volé» nombre de ses propositions politiques.
«La plus grande erreur du Parti du peuple danois a été de ne jamais oser prendre une part active au gouvernement. Nous voulons le faire. Je ne suis pas ici pour le bien-être des Démocrates suédois. Je veux changer les choses en Suède», a déclaré Richard Jomshof.
Les Démocrates suédois ont provoqué une onde de choc lors de leur entrée au Parlement en 2010. Depuis lors, la stabilité politique est de plus en plus difficile à atteindre, les partis traditionnels tentant de leur refuser toute influence.
La première ministre sociale-démocrate Magdalena Andersson a été contrainte de gouverner à deux reprises avec une coalition de droite, a démissionné après seulement sept heures de travail à la fin de l’année dernière [2] et n’a été sauvée en juin 2022 que par une députée suédoise-kurde [Amineh Kakabaveh, sans parti: l’extrême droite et la droite n’ont réuni que 174 suffrages alors que 175 étaient nécessaires pour la motion de censure] qui a ensuite presque fait dérailler la demande d’adhésion du pays à l’OTAN.
Ulf Kristersson, dont le parti des Modérés a perdu du terrain malgré ses promesses de lutte contre la criminalité et l’immigration, a cherché à se présenter comme un premier ministre potentiel, affirmant qu’il essaierait d’unir la nation alors qu’elle se rapproche de l’adhésion à l’OTAN et qu’elle prendra la présidence de l’UE le 1er janvier 2023.
Mais il devra faire face à une véritable lutte pour rassembler une coalition viable si les résultats sont confirmés. Une majorité d’un siège mettrait à l’épreuve sa capacité à réconcilier les Libéraux et les Démocrates suédois.
Anders Borg, un ancien ministre des Finances du parti des Modérés, a déclaré qu’il pensait qu’il y aurait un gouvernement de droite. «Sur les questions cruciales comme la migration, la politique budgétaire, l’énergie et les investissements, je ne pense pas que les différences seront si énormes», a-t-il déclaré.
Anders Borg, dont la femme est d’origine juive, a minimisé les craintes concernant les racines des Démocrates suédois, affirmant qu’ils étaient désormais un «parti de centre droit», ajoutant: «Je ne pense pas que les gens soient si inquiets. La Suède restera la même.»
Les Démocrates suédois rejoindraient d’autres partis anti-immigration dans la région nordique en gagnant en influence, après que le Parti du progrès est entré au gouvernement en Norvège et les Vrais Finlandais en Finlande. Mais ni l’un ni l’autre n’ont eu pour origine un mouvement comme celui de «Keep Sweden Swedish» [les premiers autocollants des Démocrates suédois, fin des années 1980, dans le cadre de leur formation, proclamaient: «Bevara Sverige Svenskt», faisant référence au nationalisme blanc et au courant fasciste suédois].
Les nationalistes affirment qu’ils sont prêts à prendre le pouvoir, en s’appuyant sur leur expérience à Sölvesborg, une petite ville du sud où un membre du parti a été maire et où ils ont augmenté la part de leurs suffrages de 10 points dimanche 11 septembre.
Ils estiment qu’ils récoltent également les fruits d’avoir constamment averti que les politiques d’immigration de la Suède – parmi les plus généreuses d’Europe jusqu’à une répression des arrivées à partir de 2015 – entraîneraient une hausse de la criminalité.
«La cohérence aide. C’est une affaire de confiance. Comme nous sommes des conservateurs, nos électeurs comptent sur le fait que nous sommes solides. Nous sommes le parti qui a le moins changé au cours des 20 dernières années», a déclaré Linus Bylund.
Alors que les rythmes techno de leur parti s’estompaient dimanche, l’euphorie demeurait pour les Démocrates suédois, à l’aube d’une influence nationale pour la première fois. Richard Jomshof a déclaré: «C’est une étape incroyable. Pour la première fois, nous sommes un partenaire légitime dans un nouveau gouvernement. Nous ne sommes plus seuls.» (Article publié sur le site du Financial Times, le 12 septembre 2022 à 17h15; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1]
Les résultats actualisés, donnés par le grand quotidien Dagens Nyheter le 15 septembre à 7h, sont les suivants:
a) Suffrages
Parti de gauche : 6,7% (-1,3)
Parti social-démocrate : 30,3% (+2)
Parti de l’environnement-Les Verts : 5,1% (+0,7)
Le Parti du Centre (agrariens) : 6,7% (-1,9)
Les Modérés : 19,1% (-0,7)
Les Libéraux : 4,6% (-0,9)
Les Chrétien-démocrates : 5,3% (-1)
Les Démocrates suédois : 20,5% (+3)
(Le quorum est fixé à 4% des suffrages)
Parti de gauche : 24
Parti social-démocrate : 107
Parti de l’environnement-Les Verts : 18
Le Parti du Centre (agrariens) : 24
Les Modérés : 68
Les Libéraux : 16
Les Chrétien-démocrates : 19
Les Démocrates suédois : 73
Voir l’article publié sur le site alencontre.org en date du 9 septembre 2022: Quel score les Démocrates suédois obtiendront-ils le 11 septembre ? Le centre droit va-t-il les inclure dans une coalition gouvernementale? (Réd. A l’Encontre)
[2] Le 24 novembre 2021, Magdalena Andersson est élue Première ministre par 117 voix pour, 57 abstentions, 174 contre et une absence. En Suède, un gouvernement est approuvé tant qu’une majorité absolue de 175 députés ne vote pas sa censure. Quelques heures plus tard, son budget est rejeté, celui de la droite est adopté, suite à un accord avec l’extrême droite des Démocrates de Suède. Après cette défaite budgétaire, le parti écologique sort du gouvernement et Magdalena Andersson démissionne. Le 29 novembre, elle est réélue avec 173 voix contre, 101 voix pour et 75 abstentions. En novembre, la députée suédo-kurde Amineh Kakabaveh avait apporté une voix décisive à l’élection de Magdalena Andersson. (Réd. A l’Encontre)
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