Royaume-Uni. Selon le Trade Union Congress, en 2022, les salaires réels ont connu la plus forte baisse depuis 1977

Par Miles Brignall

Alors que les travailleurs et travailleuses du Royaume-Uni se préparent à des actions de grève portant, entre autres, sur les salaires, il est apparu que 2022 a été la pire année pour la situation des salaires réels depuis près d’un demi-siècle.

L’analyse des statistiques officielles par le Trades Union Congress (TUC) a révélé que les salaires réels – le montant que les gens gagnent par rapport au coût de la vie – ont chuté en moyenne de 76 £ [88 euros] par mois en 2022, les salaires n’ayant pas suivi le rythme de l’inflation.

Selon le syndicat, les salarié·e·s clés du secteur public ont maintenant 180 £ [209 euros] de moins par mois en termes réels qu’il y a un an. Cela signifie qu’ils ont connu la plus forte baisse des salaires réels depuis 1977 et la deuxième plus accentuée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cela explique également pourquoi tant de salarié·e·s ont entamé ou sont sur le point d’entamer une grève pour obtenir une augmentation de salaire.

Dans les jours à venir, les grèves des postiers, des conducteurs de train et de bus, du personnel des douanes, des moniteurs d’auto-école, le personnel de santé du NHS (National Health Service), des enseignant·e·s et d’un grand nombre d’autres personnes vont provoquer d’énormes perturbations dans tout le Royaume-Uni.

Selon le TUC, le salaire réel des infirmières a diminué de 1800 £ au cours de l’année dernière, tandis que celui des ambulanciers a baissé de 2400 £. Les infirmières et infirmiers, dont la grève est prévue jeudi 15 décembre, gagnent 5000 £ [5815 euros] de moins par an – en termes réels – qu’en 2010. Et pour les sages-femmes et le personnel paramédical, ce chiffre s’élève à plus de 6000 £ [6978 euros].

La secrétaire générale du TUC, Frances O’Grady, a déclaré que la vague actuelle de grèves en Grande-Bretagne est le résultat de la situation de salarié·e·s «poussés à bout» par des années d’austérité salariale. Elle a également accusé le gouvernement d’être plus intéressé par une intensification des conflits [face auxquels il réponde par le renforcement de la législation antisyndicale et des mesures d’exception] que par leur résolution. «Les budgets des familles ont été mis en pièces par la flambée des factures et plus d’une décennie d’austérité salariale. Les conservateurs ont présidé à la plus longue compression des salaires réels depuis plus de 200 ans», a-t-elle déclaré. «Nous ne pouvons pas être un pays où le personnel du NHS [1] et de l’enseignement doit recourir aux banques alimentaires, alors que les banquiers de la City reçoivent des bonus illimités.»

Dans un contexte de flambée des coûts pour le logement et d’autres biens, les salarié·e·s ont dû faire face à une inflation des prix alimentaires de plus de 12% [ce qui est une estimation basse] et à des factures énergétiques annuelles supérieures de plus de 1000 £ à celles de l’année dernière. Malgré cela, le gouvernement a activement soutenu le blocage des salaires par les employeurs – entre autres dans le conflit du secteur ferroviaire – ou a refusé d’intervenir dans d’autres cas.

Dimanche, le ministre des Affaires étrangères, James Cleverly, a rejeté l’offre des syndicats d’infirmières de suspendre les grèves prévues en échange de négociations sur les salaires [2]. Les infirmières, dont le salaire annuel commence à 27 000 £, ont demandé une augmentation de 17,6%, jugée inacceptable par des ministres qui gagnent eux-mêmes plus de 150 000 £ par an.

L’organisation syndicale a déclaré qu’il était «absurde» de prétendre que l’augmentation des salaires ferait grimper l’inflation et que tout plan sérieux pour améliorer la croissance doit impliquer de remettre plus d’argent dans les poches des travailleurs.

Un porte-parole justifie ainsi la politique du gouvernement de Rishi Sunak: «Nous augmenterons les salaires de millions de salarié·e·s en portant le “salaire national de subsistance” à 10,42 £ [12,12 euros] de l’heure en avril, soit 1600 £ de plus par an pour un travailleur à temps plein. En outre, la garantie des prix de l’énergie permettra à un ménage type d’économiser environ 700 £ cet hiver, tandis que nous avons annulé la hausse des cotisations d’assurance nationale et apporté des modifications au crédit universel [3] pour aider les ménages qui travaillent à conserver une plus grande partie de ce qu’ils gagnent. Il est essentiel de lutter contre l’inflation, qui ronge les salaires, mais nous reconnaissons également la contribution vitale du secteur public à notre pays, c’est pourquoi nous avons offert à 2 millions de travailleurs la plus forte augmentation salariale depuis près de 20 ans.» (Article publié dans The Guardian, le 12 décembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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Martin Wolf – qui n’est pas particulièrement un partisan du syndicalisme – fait le constat suivant dans le Financial Times du 11 décembre 2022: «Le gouvernement britannique est confronté à un “hiver de mécontentement” dans les services publics. En réponse, il insiste sur le fait qu’il ne peut se permettre d’augmenter les salaires et cherche à limiter le droit de grève des fonctionnaires. Cela peut fonctionner politiquement. Mais cela n’a aucun sens sur le plan économique. Les salaires du secteur public doivent être fixés aux niveaux nécessaires pour attirer et motiver le personnel requis. Une poussée de l’inflation ne change pas cette logique. Depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs en mai 2010, le salaire moyen réel global (primes comprises) avait augmenté de 5,5% dans le secteur privé en septembre 2022, mais baissé de 5,9% dans le secteur public. Il est surprenant de constater qu’entre janvier 2021 et septembre 2022, le salaire réel moyen dans le secteur privé a diminué de 1,5%, alors qu’il a baissé de 7,7% dans le secteur public. En fait, toute la baisse des salaires réels du secteur public depuis 2010 s’est produite au cours des deux dernières années.»

Puis Martin Wolf constate que les salarié·e·s du secteur public ont connu une dégradation d’ensemble de leurs revenus, comparé au secteur privé, depuis 2021, avec une accélération en 2022. Il souligne le manque de personnel dans le NHS et l’enseignement, avec la détérioration des prestations. Ce qui implique, selon lui: «Le tissu social du pays s’effiloche. En particulier, la mauvaise situation de la santé publique nuit à l’offre de main-d’œuvre… Laisser l’inflation réduire les salaires réels, tout en s’attendant à ce que les services soient maintenus, voire améliorés, est tout simplement malhonnête.» Le Guardian «de gauche» aurait presque pu citer le Financial Times. (Réd. A l’Encontre)

Le graphique produit par le Financial Times soutient le constat de Martin Wolf: «Le déclin récent des salaires réels dans le secteur public est extrême». Les deux courbes (privé/public) l’explicitent.

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[1] Selon une norme qui se répand dans les pays européens, le manque de facto planifié du personnel hospitalier du secteur public et les bas salaires de ce personnel aboutissent paradoxalement à des dépenses importantes pour payer des médecins et des infirmières intérimaires d’agences privées. C’est ce que souligne Wes Streeting, le secrétaire d’Etat à la Santé du Cabinet fantôme: «Des hôpitaux désespérés sont obligés de payer des honoraires exorbitants à des agences privées, parce que les conservateurs n’ont pas assuré la formation d’un nombre suffisant de médecins et d’infirmières au cours des 12 dernières années. Il est scandaleux de constater que, tandis que les contribuables paient des honoraires exorbitants pour des médecins d’agences privées, le gouvernement a réduit le nombre de places dans les écoles de médecine, refusant ainsi à des milliers d’étudiants excellents de faire leurs études en Angleterre.» – The Independent, 12 décembre 2022 (Réd. A l’Encontre)

[2] Le ministre des Affaires étrangères, James Cleverly, a déclaré à Sophy Ridge, de l’émission dominicale du 11 décembre de Sky News, que le ministre de la Santé serait heureux de discuter avec les syndicats, mais seulement pour améliorer les performances du NHS et les conditions de travail, et non pour ce qui a trait aux salaires. (The Guardian, 11 décembre 2022)

[3] Système qui a remplacé divers types de prestations en une seule. Elle est versée par le gouvernement aux personnes qui n’ont aucun revenu ou un revenu très faible pour les aider à faire face à leurs frais de subsistance. (Réd. A l’Encontre)

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