La Grande-Bretagne devient un Etat policier de manière dérobée. 51 semaines de prison pour avoir manifesté…

Par George Monbiot

C’est une vraie affaire d’Etat policier. Les amendements de dernière minute introduits par le gouvernement Johnson dans le projet de loi sur la police, la criminalité, les peines et les tribunaux constituent une tentative flagrante d’étouffer les protestations, du type des mesures que l’on pourrait attendre des régimes en place en Russie ou en Egypte. Priti Patel, la ministre de l’Intérieur [depuis juillet 2019], a inséré 18 pages supplémentaires dans le projet de loi après son examen aux Communes et après la deuxième lecture à la Chambre des Lords. Cela ressemble à un stratagème délibéré pour éviter un examen parlementaire efficace. Pourtant, dans la plupart des médias britanniques, on observe un silence assourdissant.

Parmi les nouveaux amendements figurent des mesures qui interdiraient aux manifestants de s’attacher à une autre personne, à un objet ou à un élément fiché dans le sol [comme le font, par exemple, des activistes d’Extinction Rebellion]. Non seulement ces mesures rendraient illégal le fait de s’attacher – un moyen décisif utilisé lors des protestations dans le monde entier – mais elles sont rédigées de manière si vague qu’elles pourraient s’appliquer à toute personne s’attachant à quoi que ce soit, avec le risque de subir une peine de 51 semaines d’emprisonnement.

Le fait d’entraver de quelque manière que ce soit la réalisation de grands travaux de transport deviendrait également un délit pénal, avec là encore une peine maximale de 51 semaines. Cela ressemble à une tentative de mettre fin aux manifestations importantes contre la construction de routes et l’expansion des aéroports. D’autres amendements élargiraient considérablement les pouvoirs d’interpellation et de fouille de la police. La police aurait le droit d’interpeller et de fouiller des personnes ou des véhicules si elle soupçonne qu’ils transportent un «outil» susceptible d’être utilisé dans le cadre des manifestations nouvellement interdites, ce qui inclut vraisemblablement les pancartes, les tracts et les banderoles. D’autres nouveaux pouvoirs donneraient à la police le droit d’arrêter et de fouiller des personnes sans soupçon, si elle pense qu’une manifestation aura lieu «dans cette zone». Toute personne qui résiste à la fouille pourrait être emprisonnée pendant – vous l’aurez deviné – jusqu’à 51 semaines.

Les pouvoirs d’interpellation et de fouille existants sont utilisés de manière disproportionnée contre les Noirs et les «basanés, qui ont six fois plus de chances d’être interpellés que les Blancs. Ces nouveaux pouvoirs dissuaderaient encore davantage les personnes de couleur de protester. Les médias pourront alors continuer à reprocher aux mouvements de protestation d’être majoritairement blancs et non représentatifs.

Le plus scandaleux est peut-être que les amendements contiennent de nouveaux pouvoirs permettant d’interdire à certaines personnes de manifester. Les raisons invoquées sont extraordinaires, dans un pays qui se prétend démocratique. Nous pouvons être interdits de manifester si nous avons précédemment commis des «infractions liées à des mouvements de protestation». Grâce aux mesures draconiennes prévues dans le reste du projet de loi – dont beaucoup sont antérieures à ces amendements – il sera désormais difficile de participer à une manifestation sans commettre d’infraction. Nous pouvons également être interdits si nous avons participé ou «contribué» à une manifestation qui était «susceptible de provoquer des perturbations graves». Dans l’état actuel du projet de loi, une «perturbation grave» peut signifier presque tout, y compris être bruyant. Si vous publiez quelque chose dans les médias sociaux qui encourage les gens à participer, vous pourriez vous retrouver sur la liste. Toute personne tombant sous le coup d’un de ces articles de loi – au même titre qu’un prisonnier en liberté conditionnelle – pourrait être tenue de se présenter aux autorités à «certaines heures et certains jours». Il peut également vous être interdit de vous lier à certaines personnes ou «d’utiliser l’internet pour faciliter ou encourager» une «infraction liée à des mouvements de protestation».

Ce sont les pouvoirs de type dictatorial. Les gens devraient déclencher un tollé à ce sujet, mais nous entendons à peine un grincement. Les manifestants de Kill the Bill [manifestations contre le projet de loi accroissant les pouvoirs de la police – The Police, Crime, Sentencing and Courts Bill] ont vaillamment tenté d’attirer notre attention sur le stratagème tyrannique. Ils ont été diabolisés. Sans eux, nous nous rendrions à peine compte de ce qui se passe.

Les protestations sont est un correctif essentiel aux erreurs du gouvernement. Sans ces moyens que Priti Patel cherche maintenant à interdire, le programme inutile et destructeur de construction de routes lancé par le gouvernement au début des années 1990 se serait poursuivi: le gouvernement de John Major [premier ministre de 1990 à 1997] a fini par admettre que c’était une erreur et l’a abandonné. Aujourd’hui, les gouvernements commettent la plus grande erreur de l’histoire de l’humanité – nous conduisant vers un effondrement environnemental systémique – et l’administration de Boris Johnson cherche à faire en sorte que nous ne puissions rien faire pour l’arrêter.

Le gouvernement sait que ces nouveaux pouvoirs sont illégitimes, sinon il n’aurait pas essayé d’éviter le contrôle parlementaire. Ces amendements brutaux s’ajoutent aux autres attaques de Boris Johnson contre la démocratie, telles que l’exigence proposée d’une carte d’identité pour les électeurs [1], qui pourrait dissuader 2 millions d’électeurs potentiels, dont la plupart sont pauvres et marginalisés; la réduction prévue des attributions données à la Commission électorale [2]; l’attaque contre les droits des citoyens à contester juridiquement la politique du gouvernement; et les «ordres civils» proposés qui pourraient voir les journalistes traités comme des espions et interdits de rencontrer certaines personnes et de visiter certains lieux [3].

Alors que font les gens? Pourquoi tout cela ne fait-il pas la une des journaux? Pourquoi ne sommes-nous pas des millions à descendre dans la rue pour protester tant que nous le pouvons encore? Nous utilisons nos libertés ou nous les perdons. Et nous sommes très près de les perdre. (Article publié dans The Guardian, le 1er décembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

George Monbiot est chroniqueur au Guardian et auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Feral: Rewilding the Land, the Sea, and Human Life, Penguin Books, 2014.

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[1] «Au Royaume-Uni, des millions de personnes n’ont pas les formes les plus strictes de carte d’identité avec photo, comme un passeport ou un permis de conduire. Une étude commandée par le gouvernement a révélé que 2% des personnes n’ont aucune forme de carte d’identité avec photo (y compris les cartes expirées ou sans photo) et que 4% n’ont pas de carte d’identité avec photo (soit environ 2,1 millions de personnes) – ce qui fait de la carte d’identité obligatoire un obstacle à l’exercice du droit de vote. L’obtention de cartes d’identité électorales gratuites implique que les électeurs potentiels doivent s’absenter de leur travail et de leurs responsabilités familiales pour se rendre aux bureaux du conseil municipal pendant les heures d’ouverture afin de les demander. Les personnes qui peuvent le plus facilement s’absenter de leur travail ou de leurs responsabilités familiales pour le faire sont généralement celles qui ont déjà une carte d’identité. Ce plan coûteux rend simplement le vote plus difficile pour certaines personnes.» (Electoral Reform Society, https://www.electoral-reform.org.uk/campaigns/upgrading-our-democracy/voter-id/)

[2] «Boris Johnson est confronté à une controverse croissante au sujet d’une proposition de nouvelle loi qui donnera à Michael Gove [nommé en septembre secrétaire d’Etat à l’Egalité des chances, au Logement et aux Communautés] le pouvoir de définir les attributions de l’organisme de surveillance, jusqu’ici indépendant, qui supervise les élections et les finances des partis, y compris les dons.» (The Observer, 13 novembre 2021)

[3] Le ministère de l’Intérieur veut exercer un contrôle administratif sur les journalistes et leurs sources. Une article de The Register souligne que les projets de loi placeraient les fuites et les divulgations (lanceurs d’alerte) dans la même catégorie que l’espionnage pour les puissances étrangères – et que lanceurs d’alerte et les journalistes pourraient être condamnés aux mêmes peines de prison prolongées que les agents de puissances étrangères. (The Guardian, 20 juillet 2021)

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