France. Une fenêtre s’ouvre pour combattre Macron

Capture d’écran de France 2, le 18 mars. Personnel hospitalier, enseignants, cheminots…

Par Léon Crémieux

Le gouvernement Macron avance à marche forcée depuis son élection, appliquant pas à pas un projet de réformes libérales fondamentales, d’un côté, en allégeant les charges fiscales du patronat (suppression d’impôt sur la fortune, flat tax de 30% sur les revenus du capital), de l’autre, en attaquant les salariés dans plusieurs domaines fondamentaux: sur la législation du travail avec les lois et décrets instaurés par un système d’ordonnances gouvernementales (permettant d’éviter tout débat parlementaire et toute procédure d’amendements) prises à l’automne, concernant de nombreuses dispositions contraignantes pour le patronat dans le Code du Travail (suppression de la priorité aux dispositions du Code et des accords de branches sur les accords d’entreprise, suppression de la responsabilité du groupe en cas de fermeture d’un établissement ou d’une entreprise, diminution des montants d’indemnités en cas de licenciements abusifs, possibilité de rupture conventionnelles collectives évitant les procédures et les charges financières des plans sociaux). A cela s’ajoute une attaque frontale contre le droit syndical, par une diminution allant jusqu’à 50% du nombre d’élus du personnel par la fusion des instances actuelles (comité d’entreprise, délégués du personnel, comité d’hygiène et sécurité) en une seule instance: le Comité social et économique (CSE) qui dispose de moins de moyens légaux de droit de regard.

L’offensive se poursuit début 2018 par une attaque de fond contre le salaire socialisé, c’est-à-dire les cotisations sociales assises sur les salaires et finançant la protection sociale (maladie, retraite, chômage) et la formation. Le but est progressivement de faire sortir de la masse salariale l’ensemble de ces dépenses pour les droits sociaux des salarié·e·s et d’en faire des postes budgétaires financés par la fiscalité.

En pratique, c’est la remise en cause fondamentale du salaire socialisé mis en place depuis la fin de la dernière guerre, garantissant collectivement la continuation du salaire en cas de maladie, de chômage ou de formation. Cette remise en cause a commencé depuis les années 1990, par petites touches, avec la création de la contribution sociale généralisée (CSG), impôt assis sur l’ensemble des revenus remplaçant, pas par pas, les cotisations maladie. En 2018, cette CSG augmente de 1,7 point passant à 9,2%. En contrepartie, s’opère la suppression des cotisations chômage et maladie prélevées sur les salaires, dont le taux en 2017 était de 3,15%. Mécaniquement, cela permet de contenir les exigences d’augmentation salariale par une augmentation du salaire net de 1,4%, mais aussi d’opérer une baisse de 1,7% des pensions de retraite soumises à la CSG. De même, à l’automne 2017, avait été instaurée une baisse du financement par l’Etat de l’aide personnalisée au logement (APL), créant une économie de 800 millions d’euros. Ainsi les étudiants, touchant une APL de 60 à 200 euros par mois, voient cette année cette aide baisser de 5 euros.

Par une réforme des règles d’accès aux universités et une refonte des filières menant au baccalauréat, le gouvernement accentue les règles de sélection, accentuant la reproduction sociale, tout en multipliant les fermetures de classes dans le primaire, sous le prétexte de donner plus de moyens aux écoles des zones prioritaires.

Après avoir ainsi attaqué les jeunes, les retraité·e·s et les salarié·e·s du secteur privé régis par le Code du travail, le gouvernement veut attaquer maintenant le statut des fonctionnaires et les moyens des services publics. Les moyens des services de santé sont attaqués et 120’000 suppressions de postes de fonctionnaires sont prévues d’ici la fin du quinquennat, le gouvernement comptant faire sortir des services publics nombre de missions prise en compte aujourd’hui. Là encore le but est d’aligner la France sur les pays européens ayant déjà fait fondre le nombre d’agents publics et le périmètre des services publics.

Parallèlement, une offensive frontale est aussi menée contre le statut des cheminots et le périmètre de la SNCF, en supprimant un grand nombre de petites lignes dans les régions et en ouvrant rapidement la concurrence sur les grandes lignes. Les cheminots bénéficient d’un statut public et d’un régime de retraite spécifiques, auxquels plusieurs gouvernements se sont attaqués sans succès, notamment celui d’Alain Juppé en 1995. Il y aurait donc un aspect emblématique à une défaite sociale des salarié·e·s de ce secteur, un signe envoyé à tout le mouvement ouvrier démontrant que si les cheminots eux-mêmes ont été battus, il est inutile d’espérer avoir la force de résister aux réformes du gouvernement.

Au total, depuis plusieurs semaines, se sont multipliés de façon sporadique des grèves lycéennes et étudiantes, mais aussi une mobilisation croissante des retraité·e·s et des salarié·e·s des établissements hospitaliers des adultes dépendants (EHPAD), parallèlement à un mouvement de coordination des agents hospitaliers organisés en coordination nationale avec le soutien de la fédération Sud et de nombreux syndicats CGT. Les salariés d’Air France, réuni dans une très large intersyndicale, seront en grève les 23 et 30 mars pour exiger des augmentations de salaires de 6% après 6 ans de blocage des salaires.

Sept fédérations de fonctionnaires (toutes sauf la CFDT et l’UNSA), après avoir appelé à la grève le 10 octobre contre le gel de leur point d’indice salarial et contre les attaques visant l’emploi et le statut, seront à nouveau en grève le 22 mars. Les syndicats de la SNCF (CGT, SUD et FO) appellent aussi à manifester le 22 mars avant de lancer un mouvement de grève prolongé à partir du 3 avril.

De nombreuses entreprises du privé en proie à des plans de suppressions d’emplois ou de fermeture ont aussi dans une phase de mobilisation comme chez Carrefour et à Ford Blanquefort, entreprise où travaille Philippe Poutou.

Au total, sur des revendications particulières, mais touchant toutes à l’emploi et aux salaires, et pour beaucoup aux services publics, est en train de se construire un mouvement social d’ampleur.

Rien ne garantit son succès, d’autant plus que le gouvernement a plusieurs atouts. S’il attaque frontalement et sans réellement négocier, il peut compter sur le soutien de la CFDT et l’attitude hésitante de la direction Force Ouvrière. De même, sans tien toucher à ses objectifs, il va mettre en scène une suite de rencontres avec les syndicats pour un simulacre de négociations. La direction CGT, une nouvelle fois, est tiraillée, d’un côté, entre la pression des secteurs combatifs voulant construire un réel rapport de force et un mouvement efficace et, d’un autre côté, la crainte de se retrouver isolée dans un affrontement avec le gouvernement.

Globalement SUD Solidaires est la seule organisation syndicale avançant clairement une perspective de convergence des luttes et de construction d’un tous ensemble contre la politique du gouvernement. Le choix fait par les fédérations SNCF CGT, UNSA et CFDT de faire une suite de journées de grève morcelées à partir du 3 avril est refusé par Sud Rail qui veut construire un mouvement de grève reconductible. Le gouvernement compte s’appuyer sur ces éclatements pour enliser les directions dans un faux dialogue social et éviter la conjonction des luttes.

A cet éclatement syndical et à cet éclatement de secteurs, s’ajoute évidemment le poids de la défaite de 2016 contre la loi Travail et de la défaite sans combat contre les ordonnances de l’automne 2017. Cela pèse sur les épaules de nombreuses équipes syndicales combatives.

Ces éléments négatifs peuvent évidemment être contrés par la dynamique de la mobilisation et l’entrée en mouvement de secteurs importants de la santé, de la fonction publique et bien sûr des cheminots et cheminotes. C’est ce à quoi vont s’employer des dizaines de milliers de militant·e·s combatifs/tives.

De plus, la principale contradiction de la situation du côté du gouvernement Macron-Philippe est qu’il compte dans les semaines à venir sur une absence de solidarité autour des fonctionnaires et des cheminots. Un matraquage médiatique dénonce quotidiennement leurs «privilèges». Il serait faux de dire que cette campagne est sans effet, mais en même temps, elle vient d’un gouvernement qui est apparu ces derniers mois comme le gouvernement des vrais privilégiés, multipliant les cadeaux fiscaux pour les riches et les actionnaires. De plus, la crédibilité du gouvernement Macron tient moins à sa popularité qu’à l’absence d’opposition politique sérieuse. En Marche est une force politique faible, mais Les Républicains comme les socialistes sont paralysés, le Front national est aphone et Jean Luc Mélenchon s’enferme lui-même dans une posture identitaire paralysant les énergies de celles et ceux qui il avait réussi à rassembler. En outre, ses orientations politiques concernant les migrant·e·s et la Syrie ne peuvent que désorienter les couches militantes qui lui sont proches.

Olivier Besancenot appelle à un mouvement unitaire tous ensemble contre les attaques sociales

Au total, une fenêtre sociale s’ouvre, pouvant elle-même changer le climat politique. Le 22 mars va rassembler beaucoup de manifestant·e·s. Mais il va falloir peser au maximum, à la fois pour aider à la convergence des secteurs mobilisés, et surtout à la construction d’un tous ensemble, localement et nationalement, dans les semaines qui viennent.

Olivier Besancenot a rencontré un large écho populaire lors de plusieurs interventions télévisées ces derniers jours en faveur d’une solidarité avec les cheminots et d’un mouvement unitaire tous ensemble contre les attaques sociales. Au-delà de l’investissement de ses militants dans la préparation du 22 mars et de ses suites, le NPA a pris l’initiative d’un appel politique rendu public ce lundi rassemblant de l’Alternative libertaire à Benoît Hamon en passant par la France insoumise en soutien au 22 mars et au mouvement des cheminots (voir appel publié sur ce site le 19 mars: Défendons tous les services publics! Solidarités avec les cheminots et les cheminotes!).

Tout cela ne fait pas encore le printemps des luttes, mais témoigne d’un climat politique qui peut changer par la construction d’un mouvement unitaire contre Macron. (20 mars 2018)

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