Royaume d’Espagne. Grèves et élections

Grève/manifestation devant H&M à Madrid le 26 juin.

Par Miguel Salas

L’importance des élections du 23 juillet ne fait aucun doute, pas plus que l’utilité d’y participer pour empêcher les politiques péjoratives et rétrogrades de la droite de prospérer. La campagne électorale ne peut se limiter à des critiques ou à des slogans de façade, ni même à des débats qui, la plupart du temps, n’apportent guère d’éclaircissements sur les revendications. Il existe d’autres domaines de mobilisation qui font également partie de la lutte contre la droite et qui sont l’expression collective de la mobilisation populaire et sociale. Par exemple, les grèves et mobilisations syndicales pour l’amélioration des salaires et des conditions de travail, les manifestations pour la défense de la santé publique, la résistance quotidienne contre les expulsions de logements, la dénonciation des violences faites aux femmes, les mobilisations massives pour les fiertés LGTBI ou contre les macro-projets anti-écologiques comme le Hard Rock Entertainment World [méga-casino et macro-complexe touristique] que l’on veut installer à Tarragone (Catalogne).

Le vote est un droit et, comme tout droit, il doit être exercé pour le faire vivre. Mais c’est l’expression collective de la mobilisation qui donne du pouvoir aux individus et leur fait prendre conscience de leurs intérêts collectifs face à ceux de la classe qui détient le pouvoir économique ou face aux politiques qui veulent nier les droits. Pour la gauche, il est essentiel d’établir un rapport adéquat entre le vote et le soutien aux mobilisations et aux revendications afin d’offrir une perspective de changement social et une réponse aux besoins réels de la population laborieuse.

Le secteur de la métallurgie est toujours à l’avant-garde

A de nombreuses reprises (entre autres en fin 2021 à Cadiz, Alicante, Tolède), le site Sin Permiso a traité des importantes grèves de la métallurgie dans tout le pays. Aujourd’hui, c’est au tour de la métallurgie à Pontevedra [Communauté autonome de Galice]. Elle touche quelque 3700 entreprises et plus de 33 000 travailleurs, dont la plupart sont concentrés autour de l’estuaire de Vigo. Les travailleurs demandent une augmentation salariale annuelle de 4% et une clause de révision salariale liée à l’IPC (Indice de precios de consumo) réel chaque année – le minimum pour lutter contre l’augmentation du coût de la vie! Ils demandent également une réduction des heures de travail annuelles et, surtout, la subrogation du personnel [la «subrogacion laboral» consiste à un changement d’employeur qui doit prendre en compte le contrat antérieur du salarié] entre entreprises, déjà reconnue dans les accords de la métallurgie dans les autres provinces galiciennes.

Les employeurs proposent une augmentation de 2% pour 2023 et de 3% pour 2024 et 2025. A quoi s’ajoute une clause de révision salariale plafonnée à 1%, sans caractère rétroactif et sans arriérés. Ils ne veulent pas envisager la subrogation du personnel, ce qui pourrait signifier la perte d’emploi pour les travailleurs âgés en cas de changement de sous-traitant.

Pour modifier cette situation, les syndicats du secteur ont appelé à la grève les 15, 20 et 22 juin [une nouvelle journée s’est tenue le 28 juin avec des piquets devant les entreprises et une manifestation au centre de Vigo]. Ces grèves ont été suivies par la majorité des travailleurs et travailleuses. Y compris les employeurs n’ont pas fait semblant de le nier. Le jeudi 22, les syndicats ont appelé à une manifestation devant les portes de la foire industrielle qui se tenait à Vigo ces jours-là. Bien que la manifestation fusse légale, la police a frappé fort, ce qui a entraîné des affrontements et des blocages de la circulation [le 28, le patronat n’a pas manqué de dénoncer «les actes de violence» et a essayé de faire pression sur les salarié·e·s pour freiner la participation]. Plusieurs personnes ont été blessées le 22 juin par des coups de matraque à la tête, dont le secrétaire à l’industrie de CCOO (Commissions ouvrières). Les manifestations se poursuivront avec des grèves appelées pour les 28 et 30 juin et les 6 et 7 juillet.

Ce n’est pas le seul conflit dans la province. Le 23 juin, le secteur du commerce alimentaire des entreprises sans accord spécifique s’est mis en grève. Les employeurs proposent une augmentation salariale de 3% pour 2023 (inférieure à l’augmentation de l’IPC) et de 2% pour les trois années suivantes, avec une révision salariale plafonnée à 1% et sans rétroactivité ni arriérés. Les syndicats demandent 4% et une révision des salaires. Par ailleurs, il n’y a pas d’accord sur la réduction du temps de travail, les employeurs proposant de travailler un samedi de moins par an, tandis que les représentants des travailleurs demandent un week-end de qualité par mois (samedi, dimanche et lundi libres) et de passer de 40 heures à 39 heures d’ici 2024 et 38 en 2025.

La réponse du personnel de H&M

Selon des sources syndicales, 80% des 3700 travailleuses et 400 travailleurs de la transnationale textile suédoise H&M [un des principaux acteurs de la fast fashion en lien avec de multiples marques] se sont mis en grève et ont montré leur détermination à lutter pour leurs revendications. Des arrêts de travail partiels ont été décrétés le 20 juin et une grève de 24 heures le 22 juin. Des centaines de magasins n’ont pas pu ouvrir, à un moment important pour la campagne de vente. Des rassemblements ont eu lieu dans de nombreuses villes d’Espagne. A Madrid, par exemple, 25 magasins sur 26 étaient fermés.

Les revendications du personnel sont concrètes: augmentation du personnel des magasins, qui a été fortement réduit depuis l’ERE réalisée en 2021 [Expediente de Regulación de Empleo: suspension ou fin des relations de travail dans des circonstances déterminées, tout en maintenant formellement les «droits des salariés»]; remplacement des personnes en congé de maladie, augmentation des salaires et fin de la clause de compensation et d’absorption des salaires appliquée par l’entreprise [1].

Ce secteur, traditionnellement sous-payé et surchargé de travail, fait entendre sa voix. Au début de l’année, les travailleurs d’Inditex  [transnationale espagnole dont le chiffre d’affaires avoisine els 40 milliards d’euros et contrôlant de nombreuses marques telles que Zara, Massimo Dutti, Stradivarius, etc.] à Coruña, puis dans toute l’Espagne [voir à ce sujet l’article publié sur ce site le 18 février 2023], ont réussi à améliorer leurs conditions de travail grâce à la mobilisation. C’est maintenant au tour de H&M. Le lundi 26 juin, ils se mettent à nouveau en grève [cette grève a réuni quelque 4000 salarié·e·s dans 120 magasins H&M, COS et OtherStories] et de nouvelles journées ont été convoquées pour le 1er et le 8 juillet.

Ce ne sont là que quelques exemples, et il y en a d’autres, qui devraient encourager la mobilisation à se transformer en aiguillon au cours des semaines qui nous séparent du 23 juillet. Une prétendue paix sociale ne sert à rien si elle n’apporte pas de réponse aux graves problèmes auxquels sont confrontées les familles de travailleurs et travailleuses. Ce qui sert est une organisation des salarié·e·s, une prise de conscience et une solidarité dans la lutte pour faire face aux puissants et aux forces de droite. Et, bien sûr, voter le 23 juillet. (Article publié sur le site Sin Permiso le 24 juin 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Miguel Salas, syndicaliste, est membre du comité de rédaction de Sin Permiso.

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[1] La clause dite compensation et d’absorption est le mécanisme dont dispose l’employeur pour éviter d’avoir à augmenter les salaires des travailleurs et travailleuses lorsque le salaire indiqué dans la convention collective ou le Salaire Minimum Interprofessionnel augmente, tant que le salaire des salarié·e·s est supérieur à celui établi avec l’augmentation. (Réd. A l’Encontre)

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