Espagne. Après les élections, les enjeux sont élevés

Ada Colau a «tiré»la liste à Barcelone lors des élections du 20 décembre 2015
Ada Colau a «tiré»la liste à Barcelone lors des élections
du 20 décembre 2015

Par Manuel Garí

Le premier point à noter est le grand revers électoral subi, le 20 décembre 2015, par le Parti populaire (PP), conservateur [1], et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), social-libéral. Ces deux partis ont été les deux principaux piliers de la Constitution de 1978 convenue entre les «ex»-franquistes et les forces de la gauche réformiste [PSOE, et alors le PCE], suite à la mort de Franco [20 novembre 1975]. Pendant des décennies, ils ont alternativement dirigé le pays.

Le PP, en 2011, a réuni plus de 10’800’000 suffrages (44,62%) et 186 députés. Le PSOE, cette même année, a rassemblé près de 7’000’000 de votes (28,73%).

En décembre 2015, le PP a perdu plus de 3’600’000 votes, car il n’a pu rallier que 28,72% des électeurs et électrices, soit 7’215’000 votes. Il en découle qu’il ne dispose plus de la majorité absolue puisqu’il n’obtient que 123 députés [sur un total de 350; la majorité absolue est donc fixée à 176 députés].

Le PSOE, lui, a perdu plus de 1’440’000 de votes, pour obtenir seulement 5’530’000 (soit 22,01% des suffrages exprimés) et reste avec 90 députés. Dans les deux cas, ce sont les pires résultats jamais obtenus. [2]. Ce déclin du PP est amorti par l’émergence de Ciudadanos (C’S), un nouveau parti de droite – malgré son image de parti du centre – qui a obtenu plus de 3’500’000 votes (13,93%) et 40 députés.

Le bipartisme n’est pas mort, mais il est grièvement blessé. Car c’est la première fois qu’ils (PP et PSOE) n’obtiennent que 50,73% des voix et qu’ensemble ils ont perdu plus de 5’000’000 de votes.

Cela n’implique pas la fin du régime issu de la réforme de 1978, mais il ne peut pas continuer comme avant. Se présente un dilemme politique pour le régime qui s’est formé en 1978: ou il réussit à s’autoréformer pour se régénérer «de l’intérieur», ou les forces de changement réussissent à impulser une rupture politique démocratique et nous initions un processus constituant ayant une dimension nationale, en Catalogne, en Euzkadi (Pays Basque) et en Galice, ainsi que dans le reste de l’Etat espagnol. Les Anticapitalistes [courant de Podemos] parient sur cette option et engagent leus forces dans cette perspective.

Le deuxième thème à mettre en relief réside dans l’esssor des forces de changement se situant à gauche du PSOE ainsi que dans la réorganisation de cette gauche. Podemos a obtenu directement plus de 3’000’000 de votes et 42 députés. Il est intéressant de noter que Podemos a été la force la plus votée en Euzkadi débordant la gauche nationaliste radicale (EH-Bildu) qui a connu un recul inattendu [PNV-Parti Nationaliste Basque – bourgeois: 301’585 suffrages; Podemos: 316’441; EH-Bildu: 183’61; le PSE-EE (Socialistes baques) en a réuni 161’466].

Mais le succès est encore plus grand dans les régions où les candidatures ont regroupé d’autres forces de gauche. Le résultat électoral de En Comú en Catalogne qui place cette formation en première position est spectaculaire: près d’un million de voix et 12 sièges. [En Comú a réuni dans la circonscription de Barcelone: 766’889 suffrages; le PSC-PSOE 463’612; ERC-CATSI: 412’540; C’s 377’563; PP: 321’268]

Notez qu’en Catalogne sont majoritaires les voix qui réclament le droit à l’autodétermination du peuple catalan. Dans le Pays Valencien, Compromis-Podemos a obtenu près de 700’000 votes et 9 députés. En Galice, Marea-Anova-EU a conquis un résultat sans précédent pour la gauche de Galice: plus de 400’000 votes et 6 sièges. Cela signifie que la somme de toutes ces forces de changement a obtenu 69 députés et près de 5’200’000 votes (soit 20,66%), un total de peu inférieur à celui du PSOE. Malheureusement, la Gauche unie (IU dont la fugure publique est Alberto Garzón), malgré l’obtention de 900’000 votes, ne dispose que de deux députés à cause du système électoral, système d’Hondt [voir note 1 et graphique dans l’article publié sur ce site le 21 décembre 2015]. Cela implique une perte de 700’000 votes par rapport à 2011, ce qui se traduit par la «disparition» de 9 députés, même si certains des membres d’IU ont été élus comme candidats sur des listes de «confluence».

Le premier point à éclairer est que ces forces de changement font face à un défi majeur qui ouvre sur plusieurs questions.

  • La première, exprimer une résistance et des perspectives alternatives face aux politiques d’austérité du gouvernement qui seront mises en place, face à celles de la Banque centrale européenne (BCE) come de la Commission européenne, cela en rompant avec la logique du Pacte de Maastricht [Traité sur l’Union européenne signé en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993] et du Pacte de stabilité et de croissance [datant de 1997 et réglant la politique budgétaire dans l’UE]. Or, après la campagne électorale il n’est pas clair quelle orientation sera adoptée et quel sera le degré d’accord entre les différentes composantes.
  • Deuxièmement, ces forces de changement doivent maintenir une position ferme en faveur de la défense du droit à décider des peuples des nationalités. Et, en priorité, une position sans concession – face aux menaces d’ordre juridique [liées à la Constitution de 1978] existantes – pour le droit du peuple catalan à décider de ses relations avec l’Etat espagnol.
  • Troisièmement, ces forces devront décider si elles vont choisir d’entrer dans la logique des petits amendements à la Constitution ou mener un politique de rupture avec le régime de 1978.
  • Enfin, elles devront envisager comment démarrer un processus de réorganisation et de véritable confluence politique afin d’impulser une unité populaire.

Enfin, deux réflexions sont indispensables. Les élections ont changé la configuration politique électorale du pays. Toutefois, les problèmes centraux demeurent: le chômage, la baisse des salaires, la question catalane, les expulsions des logements, etc.

Mais il faut avoir à l’esprit que nous avons une force électorale dont les masses laborieuses ne disposaient pas antérieurement. Ce qui permet de mettre en œuvre des stratégies de luttes, dans la mesure où la majorité des forces de changement s’engage sur le chemin de la lutte et des mobilisations.

A son tour, la nouvelle configuration des partis – prenant en compte que, outre la description générale faite ici, existent des partis nationaux en Catalogne et en Euskadi, à la fois d’orientation conservatrice et progressiste que nous ne pouvons pas analyser dans le cadre de cet article – empêche la formation immédiate et sans prix à payer d’un nouveau gouvernement.

L’instabilité politique sera la tendance générale et il n’est pas à exclure la convocation d’élections anticipées. En ce moment, la discussion dans les cercles de la bourgeoisie et dans ses médias ainsi que les grandes pressions «européennes» [UE], de l’industrie comme de la finance se concentrent sur la stabilité grâce à une coalition PP-PSOE. Mais cela signifierait un fiasco pour le PSOE.

Au lieu de discuter des problèmes du pays, la controverse se concentre sur les termes classiques de la gouvernance institutionnelle.

Est en vue une formule à «la portugaise» [le Bloco et le PCP soutiennent depuis les rangs du parlement le gouvernement social-démocrate de Costa]. Et les nouvelles forces de changement devront faire face, sous l’angle de l’indépendance de classe, à la question clé des alliances et du gouvernement. Un moment passionnant pour les Anticapitalistas. (Ecrit le 21 décembre 2015; traduction A l’Encontre)

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[1] Le PP a été créé par Manuel Fraga en 1989. Fraga a été ministre de Franco, entre autres de «l’information» de 1962 à 1969 et ministre de l’Intérieur durant la période décisive de 1975-1976, après l’accession au trône de Juan Carlos. En 1989, s’appuyant sur l’Alliance populaire, créée par des diriegants franquistes pour la période de transition, il change la dénomination du parti – en Parti populaire – et fait converger diverses forces de droite conservatrice et de droite extrême. José Maria Aznar sera le successeur clé. Il occupe le poste de président de l’Etat espagnol de mai 1996 à avril 2004. (Réd. A l’Encontre)

[2] En 1977, le PSOE réunissait 29,32% des suffrages; en 1979: 30,4%; en 1982: 48,11%; en 1986: 44,06; en 1989 : 39,6%; en 1993: 38,78%; en 1996: 37, 63%; en 2000: 34,16% ; en 2004: 42,59%, en 2008: 43,87; en 2011: 28,76% .

Le PP (ou antérieurement les partis qu’il  va assembler dès 1989): 1977: 8,21% ; 1979: 5,89% ; 1982: 23,36 ; 198 : 29,57; 1989: 25,79; 1993: 34,76; 1996: 38,79% ; 2000: 44,52% ; 2004: 37,71; 2008: 39,94% ; 2011:44,63%. (Réd. A l’Encontre)

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Manuel Gari est militant d’Anticapitalistas et membre de Podemos

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