Allemagne. L’AfD a obtenu une victoire symbolique en Thuringe. Elle peut en faire un levier politique

«L’Est se lève»

Par David Begrich

Le risque que le mot «rupture de digue» soit déjà usé en ce qui concerne l’AfD (Alternative für Deutschland) en Allemagne de l’Est est réel. Le succès – le 25 juin, avec 52,8% des voix contre un candidat de la CDU – de Robert Sesselmann au second tour des élections pour le poste de gouverneur (Landrat) du district de Sonneberg [dans la région de Thuringe] ne fait que perpétuer ce qui a été évité de justesse auparavant dans les districts d’Oder/Spree [le 14 mai] et lors des élections à la mairie de Schwerin, capitale du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale [18 juin]: qu’un homme politique de l’AfD ait accès à au moins une parcelle de pouvoir exécutif par le biais des élections. La question des dernières semaines n’était pas de savoir si, mais quand cela allait se produire. C’est désormais chose faite. Pour la première fois, un parti d’extrême droite occupe le poste de Landrat en République fédérale. Quelles en sont les conséquences?

Un Landrat n’est ni un empereur ni un chancelier fédéral. Ses compétences sont limitées. Il doit appliquer le droit fédéral et régional. Et pourtant, son influence sur les questions de politique sociale dans un Landkreis(district) n’est pas sans importance. Les marges de manœuvre pour la mise en place d’orientations politiques existent bel et bien dans le traitement des réfugié·e·s, dans la politique d’égalité des chances, dans la mise en avant du contenu de la culture et du travail avec les jeunes ou dans les formes de représentation publique du Landkreis. Dans tous ces domaines, le Landrat AfD Robert Sesselmann, fraîchement élu, peut donner des exemples des positions d’extrême droite de l’AfD. Il n’a laissé planer aucun doute sur le fait qu’il le ferait, tout comme le chef du groupe parlementaire de l’AfD au Landtag (parlement) de Thuringe, Björn Höcke.

Dans sa stratégie de communication, l’AfD va maintenant tout mettre en œuvre pour faire du résultat de Sonneberg plus que ce qu’il est. La valeur symbolique de ce succès est au moins aussi importante pour le parti que le résultat des élections en lui-même. Du point de vue de l’AfD, Sonneberg représente la première pierre d’un domino bleu [couleur de l’AfD] qui doit maintenant être mis en marche dans les régions où des élections complémentaires avec participation de l’AfD sont encore prévues cette année. Si les choses se passent comme le parti le souhaite, ce sera le prélude à ce que les autres partis et la société civile démocratique devront craindre l’année prochaine lors des prochaines élections régionales dans le Brandebourg, la Saxe et la Thuringe.

L’AfD est politiquement difficile à contrer, elle s’entoure d’un système communicatif de médias alternatifs et d’offres de réseaux de communication qui, via Telegram et Instagram, ne concurrencent plus seulement le journal télévisé et le journal local chez certains, mais les ont remplacés comme principale source d’information pour se forger une opinion. De plus, l’AfD travaille avec des termes politiques qui se rattachent aux sensibilités politico-émotionnelles d’une partie de la population et à sa conscience de la crise.

Le fait que le succès de l’AfD ne soit pas une loi de la nature peut être illustré par l’exemple de la crise du Covid. Les attentes de la direction du parti et de certains stratèges dans l’entourage du parti à l’époque, à savoir profiter de la critique de la politique officielle ayant trait au Covid, ne se sont pas réalisées. Notamment parce que l’AfD a agi de manière incohérente sur le plan politique. De même, le soi-disant «automne chaud de la colère» [mobilisation concernant la hausse des prix de l’énergie et aussi la politique face à la Russie] envisagé politiquement par l’AfD a fait long feu, sans que le parti en profite durablement.

La raison du succès de l’AfD

En ce qui concerne l’électorat de l’AfD, il convient de faire preuve de précision analytique. En Allemagne de l’Est, le parti dispose d’un potentiel d’électeurs réguliers mobilisables de manière fiable, que l’AfD bombarde avec succès depuis des années avec des campagnes de colère et d’indignation qui renvoient aux modèles d’orientation habituels de la droite et de l’autoritarisme. Le milieu très hétérogène des non-électeurs, dans lequel l’AfD a pu puiser quelques voix lors du second tour des élections à Sonneberg, s’avère également être une étonnante valeur sûre. Ces électeurs ne se situent souvent pas du tout dans un système de références politiques. Mais ils suivent culturellement des modèles d’attitude diffusées par la droite. Le fait que l’AfD colore avec une dimension ethnico-culturelle le vécu propre à l’aliénation sociale et économique est une des raisons pour lesquelles ce parti parvient à atteindre les non-votants. Il n’est pas pertinent de dégager les électeurs de l’AfD de la responsabilité de leur vote en faveur d’un parti d’extrême droite, ni de dénigrer en bloc l’électorat de régions entières, comme cela a été fait dans les médias sociaux après les élections dans le district de Sonneberg.

Les préoccupations politiques actuelles concernant les électeurs de l’AfD et leur milieu ne doivent pas faire perdre de vue ceux qui ne votent pas pour l’AfD pour de très bonnes raisons. Les personnes qui appartiennent à des minorités, qui font l’expérience du racisme, de la discrimination et de l’exclusion sociale subtile en Allemagne de l’Est, parce qu’elles ne correspondent pas aux idées d’homogénéité diffusées par la droite, qu’elles s’écartent d’une manière ou d’une autre des catégories d’appartenance, même si c’est parce qu’elles sont habituellement considérées comme des «Wessis» [terme qui renvoie à des «valeurs» et «comportements» des habitants de l’Allemagne de l’Ouest]. Pour tous ceux-là, l’avancée de l’AfD ne représente pas seulement un problème, mais aussi un danger potentiel. Les associations, les initiatives et les individus qui, dans les régions, s’opposent au virage à droite et refusent de se résigner à la discrimination et au racisme ont besoin de plus que des éloges pour leur engagement souvent bénévole et, dans de nombreux cas, malheureusement pas sans risque. Ils ont besoin d’un soutien concret. Plus l’AfD se renforce, plus ils ont besoin de soutien.

Il ne sera pas facile de trouver un remède magique contre l’AfD. Le début d’un affrontement fructueux serait donné si l’on prenait conscience du fait que l’AfD se renforce en fin de compte lorsque les partis et la société laissent en permanence les discours de droite déterminer leur agenda politique. Lors de la campagne électorale, Robert Sesselmann n’a manifestement pas voulu parler des piscines, des repas scolaires, de la proximité des autorités ou des transports en commun dans le district de Sonneberg. Au lieu de cela, il a consacré sa campagne à des thèmes sur l’organisation politique desquels il n’a aucune influence, qui sont donc décidés à Erfurt, la capitale du Land, à Berlin ou à Bruxelles, mais qui ont résonné auprès de nombreux électeurs et électrices. La repolitisation démocratique de la politique communale et régionale contre la tendance de la politique des simplificateurs chargée de ressentiment est un travail difficile dans les régions où l’enjeu des années à venir n’est rien de moins que notre avenir démocratique. (Article publié sur le site de Der Freitag, le 26 juin 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

David Begrich, théologien, collaborateur du bureau consacré à l’extrémisme de droite chez Miteinander («Travailler ensemble») à Magdebourg.

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