Par Peter Boyle
Au plus fort de la crise induite par l’éclatement des incendies au cours de la nouvelle année, un ancien aborigène, qui avait été évacué de Lakes Entrance près de ville de Bairnsdale dans l’Etat de Victoria [capitale Melbourne], s’est joint aux autres évacués pour s’inscrire aux secours d’urgence. Mais un membre du personnel de la structure d’aide aux déshérités Saint-Vincent de Paul lui a dit que l’agence avait «aidé suffisamment de vos gens aujourd’hui». Il lui a donné un bon d’essence de 20 dollars et lui a dit de ne pas en parler aux autres Aborigènes. L’ancien est sorti, humilié, et a demandé à sa nièce de rendre le bon.
L’incident raciste est apparu pour la première fois dans un message Facebook d’un jeune Aborigène, Philip Stewart. D’autres membres des peuples natifs ont rapporté d’autres expériences de racisme de la part d’organismes d’aide sociale. Saint-Vincent de Paul s’est depuis excusé auprès de la famille de l’ancien.
Les feux de brousse sans précédent qui ont ravagé plusieurs Etats au cours de la période du Nouvel An ont brûlé au moins 8,4 millions d’hectares et beaucoup brûlent encore de manière incontrôlée. Les communautés indigènes ont été durement touchées, perdant leurs maisons et leurs centres de services communautaires.
Les communautés opprimées et marginalisées souffrent toujours de manière disproportionnée de ces catastrophes. Au cours de ces dernières, les communautés des peuples natifs doivent non seulement faire face au racisme en cherchant à obtenir une aide d’urgence, mais elles disposeront de moins de ressources privées pour se récupérer.
Mais ces communautés ont également, et continuent à jouer, un rôle important dans la lutte contre les incendies et l’organisation des secours. La brigade du service d’incendie rural de la localité aborigène Wreck Bay (Rural Fire Service-RFS) sur la côte sud de la Nouvelle-Galles du Sud en est un exemple. Tous les membres de leur brigade de 28 personnes, sauf deux, sont des membres des peuples natifs selon un entretien accordé à ABC (Australian Broadcasting Corporation) par l’officier de brigade Kaylene McLeod.
Les pompiers indigènes ont également été actifs sur les fronts de feu dans les Blue Mountains [à l’ouest de Sidney] et le RFS de la Nouvelle-Galles du Sud a récemment créé deux nouvelles brigades de pompiers entièrement indigènes, basées dans l’ouest de l’Etat.
Dans l’Etat de Victoria, une brigade de la Country Fire Association, composée uniquement de femmes indigènes, a défendu la péninsule du lac Tyers. La brigade est dirigée par Charmaine Sellings, une grand-mère de 52 ans qui a trois enfants. Selon le Women’s Weekly du 7 janvier, les femmes sont également «l’épine dorsale du Lake Tyers Aboriginal Trust, une communauté indigène autonome».
Un autre pompier indigène volontaire, qui lutte contre les incendies depuis des semaines, est l’auteur Bruce Pascoe. Son livre à succès Dark Emu [Magala Books, juin 2018] – qui analyse comment des écrivains coloniaux racistes ont enterré des informations sur des technologies indigènes sophistiquées de gestion des terres, de l’agriculture et de la pêche – a radicalement remodelé notre compréhension des sociétés indigènes précoloniales.
La crise du feu a incité davantage de personnes à se tourner vers les pratiques traditionnelles de gestion des terres indigènes, notamment la pratique traditionnelle du brûlis, pour trouver des indices sur la manière d’améliorer les situations d’urgence à venir en cas d’incendie.
On comprend de plus en plus que les solides traditions des communautés des peuples natifs de travail collaboratif en lien avec la terre montrent la voie à suivre.
Cependant, les commentateurs et idéologues de droite sont déterminés à faire reculer ce développement progressif et ils s’en sont pris à Bruce Pascoe, attaquant vicieusement son livre et l’identité aborigène.
Le chroniqueur de droite Andrew Bolt joue un rôle clé, tout comme l’avocate et femme d’affaires indigène conservatrice Josephine Cashman, membre du groupe consultatif aborigène trié sur le volet du gouvernement libéral-national du Premier ministre Scott Morrison. Josephine Cashman a écrit au ministre de l’Intérieur Peter Dutton en décembre dernier pour demander une enquête sur les «délits de malhonnêteté» de Bruce Pascoe, car elle contestait ses déclarations ayant trait à son ascendance indigène. Peter Dutton a maintenant demandé à la police fédérale australienne (AFP- Australian Federal Police) d’enquêter.
Alors que l’AFP n’a pas encore contacté Bruce Pascoe, l’empire News Corp [contrôlé par la famille Murdoch] a poussé la calomnie contre Bruce Pascoe dans le cadre de sa nouvelle guerre culturelle en matière de climat, autrement dit sur la façon de comprendre et de répondre à la crise provoquée par les incendies.
La guerre des cultures en matière climatique
Derrière cela se cachent de puissants intérêts des grandes firmes qui veulent que l’Australie continue son rôle criminel en tant que troisième exportateur mondial de combustibles fossiles.
Elles essaient désespérément de nous convaincre que la crise des incendies n’est pas due au changement climatique, malgré les preuves scientifiques accablantes du contraire. Elles déploient une campagne sur les médias sociaux – #ArsonEmergency – pour rejeter la responsabilité des incendies sur des «pyromanes» et utilisent le racisme pour propager ce mensonge.
La nouvelle guerre culturelle de la droite vise également à justifier les pressions exercées par les gouvernements des Etats et de la coalition fédérale pour autoriser l’exploitation forestière dans les parcs nationaux et le recul de la réglementation écologique concernant le défrichement des terres.
La chroniqueuse de Murdoch Miranda Devine a estimé que la crise des incendies aurait pu être évitée avec plus de défrichement. «Je suis désolée, mais j’ai vécu en Australie au cours des deux dernières décennies de crises croissantes d’incendies et ce n’est pas le changement climatique qui a causé le désastre présent, mais la négligence criminelle des gouvernements qui ont essayé d’acheter des votes verts en enfermant de vastes étendues de terre dans des parcs nationaux, mais qui n’ont pas réussi à dépenser l’argent nécessaire pour contrôler le combustible accumulé sur le sol et entretenir les pistes coupe-feux.»
Les experts en gestion des incendies des peuples natifs, tels que la Firesticks Alliance, plaident pour une approche différente de la gestion des incendies. «Le brûlis traditionnel peut inclure le brûlis ou le brûlis préventif de terrains pour la préservation de plantes et d’animaux particuliers tels que les herbes utilisées par les indigènes, l’émeu d’Australie [deuxième plus grand oiseau derrière les autruches], la black grevillea, le potoroo [espèce de marsupiaux australiens], la bushfood [aliments utilisés par les Aborigènes], ainsi que des espèces menacées ou de la biodiversité en général. Il peut s’agir de brûler des parcelles pour créer des intervalles de feu différents dans l’étendue d’une région ou le brûlis peut être utilisé pour réduire les combustibles accumulés sur le sol et les risques attenants.»
Le pompier indigène Victor Steffensen a déclaré en novembre 2019 qu’il mettait en garde contre une crise de feux de brousse depuis des années, et que celle-ci était due à une mauvaise gestion des terres sur le long terme.
Oliver Costello, directeur général de l’Alliance Firesticks, a expliqué à Megan Baynes, journaliste de PA Media, que si la gestion traditionnelle des feux par les Aborigènes consiste à allumer des feux à intervalles réguliers, il s’agit de brûlis de surfaces plus petites avec des températures plus contrôlées [et d’autres paramètres] que les pratiques officielles standard de réduction des risques.
«Les nouvelles méthodes de réduction des risques impliquent des brûlis planifiés qui enlèvent autant de végétation que possible. Cependant, bien que cette méthode rappelle la pratique indigène du feu, contrairement aux brûlis de réduction des risques, les brûlis traditionnels sont moins intenses (cooler burns) et se déplacent plus lentement – généralement pas plus haut que la hauteur des genoux. Les canopées des arbres sont laissées intactes et les animaux ont le temps de fuir les flammes.»
Cependant, le «brûlage traditionnel [culturel]» exige également des praticiens qu’ils aient des liens culturels solides avec la terre, notamment en étant sur place, en apprenant par l’observation et en partageant des informations pour mieux comprendre quand est le bon moment pour lancer les brûlis. Cela doit prendre en compte les saisons de reproduction des animaux et les cycles des plantes, et pas seulement le temps qu’il fait.
Cette approche ne correspond pas à la propriété privée des terres, un système qui permet de piller la nature. Du point de vue des puissants intérêts en place, cette approche est inacceptable et c’est pourquoi la nouvelle guerre culturelle de la droite a en ligne de mire la gestion traditionnelle des terres autochtones. (Article publié sur le site de Green Left, le 16 janvier 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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