Myanmar. Un leader rohingya assassiné dans un camp de réfugié·e·s

Par Frontier Fridays

Cette semaine [du 23 au 30 septembre 2021], un éminent dirigeant rohingya a été assassiné dans les camps de réfugiés du Bangladesh; le garde du corps emblématique d’Aung San Suu Kyi, Cherry Htet, a été arrêté; la crise économique s’est aggravée alors que le kyat (unité monétaire) du Myanmar a atteint un nouveau plancher; les militaires ont tenu une nouvelle conférence de presse. (Réd. Frontier Fridays)

Un leader rohingya tué dans des camps

Un éminent militant rohingya, Mohib Ullah, a été tué par balle mercredi soir, 29 septembre, dans un camp de réfugiés au Bangladesh, provoquant une vague de deuil et une nouvelle discussion sur l’augmentation du taux de criminalité dans ces camps tentaculaires.

Un porte-parole de la police bangladaise a déclaré à l’AFP qu’il avait été abattu à bout portant par «quatre ou cinq assaillants non identifiés» et que son décès avait été constaté dans un hôpital des camps géré par Médecins sans frontières.

Mohib Ullah était le responsable de la Société des Rohingyas de l’Arakan pour la paix et les droits de l’homme (Arakan Rohingya Society for Peace and Human Rights), qui recensait les violations des droits des Rohingyas commises par la Tatmadaw (forces armées du régime), telles que les meurtres, les viols et les incendies criminels. Mohib Ullah a également contribué à l’organisation et à la direction d’un rassemblement massif en 2019 de quelque 200 000 réfugié·e·s pour célébrer le deuxième anniversaire de la violente répression à Rakhine.

Il est devenu une figure et une voix pour les réfugié·e·s au Bangladesh, prenant la parole aux Nations unies et rencontrant le président de l’époque, Donald Trump. Mais sa forte médiatisation a également fait de lui une cible. Mohib Ullah avait reçu de nombreuses menaces de mort au fil des ans. Il a même été une fois placé dans une résidence protégée pendant la nuit par les autorités bangladaises. Elles ont affirmé avoir des informations crédibles selon lesquelles il serait tué cette nuit-là.

Aung Kyaw Moe, conseiller rohingya auprès du Gouvernement d’unité nationale (NUG), a déclaré à Reuters que la mort de Mohib Ullah était une «grande perte pour la communauté rohingya» et qu’il accomplissait une tâche que «personne d’autre ne ferait». Le ministre de la Coopération internationale du Gouvernement d’unité nationale, le Dr Sasa, a également exprimé ses «plus profondes condoléances», tout en continuant à faire preuve d’une plus grande solidarité avec la communauté rohingya.

Human Rights Watch (HEW) et Amnesty International ont demandé au Bangladesh d’enquêter sur l’assassinat de Mohib Ullah, qui, selon HRW, est une «démonstration brutale des risques encourus par ceux qui, dans les camps, s’expriment en faveur de la liberté et contre la violence». «Le meurtre de M. Mohib Ullah est une réalité amère de l’échec collectif à fournir une protection et à rendre justice aux survivants du génocide rohingya. Aujourd’hui, personne ne se sent en sécurité dans les camps de réfugiés de Cox Bazar», a tweeté Wai Wai Nu, un militant rohingya qui a reçu cette semaine le Prix de la démocratie de la ville d’Athènes 2021.

Certains, dont le frère de Mohib Ullah, ont émis l’hypothèse qu’il a été tué par l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA- Arakan Rohingya Salvation Army). Ce groupe armé a déclenché la crise des Rohingyas en attaquant des postes de police et des avant-postes militaires en août 2017. La Tatmadaw y a répondu en menant une brutale campagne contre-insurrectionnelle, ciblant des civils et faisant fuir plus de 700 000 Rohingyas vers le Bangladesh. L’ARSA ferait partie de ceux qui ont proféré, par le passé, des menaces de mort envers Mohib Ullah. De nombreux réfugiés ont déclaré que le groupe armé était de plus en plus agressif dans les camps ces derniers mois.

Arrestation de Cherry Htet et d’autres personnes

Les forces de sécurité ont arrêté vendredi 24 septembre la garde du corps d’Aung San Suu Kyi, Cherry Htet, sous prétexte qu’elle était en contact avec le Gouvernement d’unité nationale (NUG) que la junte a qualifié d’«organisation terroriste». Cherry Htet, une sous-lieutenant de police – qui est un visage familier pour beaucoup au Myanmar – était en résidence surveillée depuis le coup d’Etat. Certains éléments indiquent qu’elle a des ennuis en raison de ses publications sur les réseaux sociaux. Apparemment, elle a continué à écrire des messages de soutien à Aung San Suu Kyi. Une source policière a déclaré qu’elle avait été inculpée en vertu de l’article 505-A du Code pénal (punition de toute dénonciation de la légitimité du coup d’Etat). La junte surveille strictement l’utilisation des médias sociaux par les policiers. Une déclaration de la police circulant sur les médias sociaux, que Frontier n’a pas été en mesure de vérifier, accuse Cherry Htet d’avoir diffusé des messages anti-junte sur les médias sociaux, notamment en partageant un message d’une page pro-NLD (Ligue nationale pour la démocratie – LND, le parti politique birman d’Aung San Suu Kyi) intitulé «Tu me manques Amay» (une des cinq mères symboliques du Myanmar) en référence à Aung San Suu Kyi.

Des membres de la Ligue nationale pour la démocratie ont connu des ennuis judiciaires cette semaine, dont trois ont été condamnés à la prison dans le district de Gwa, une ville située à la pointe sud de l’Etat de Rakhine. Ye Khaung Nyunt, qui a été réélu pour siéger à la chambre basse du Parlement lors des élections de 2020, a été condamné à deux ans de prison au titre de l’article 505(b) du Code pénal pour avoir organisé des manifestations contre le coup d’Etat, et à trois mois de prison au titre de l’article 19 de la loi sur la gestion des catastrophes naturelles pour avoir enfreint les restrictions du Covid-19. Lu Ni, ancien administrateur de quartier, a également été condamné à deux ans de prison au titre de la section 505(b) pour avoir organisé des protestations. Le troisième accusé, Aung Soe Moe, membre du parti NLD, a été condamné à cinq mois de prison en vertu de l’article 19 de la loi sur la gestion des catastrophes naturelles.

Plus de moines ont également été arrêtés dans la ville de Mandalay, à la suite d’une manifestation marquant l’anniversaire de la Révolution safran [mobilisations sociales août-septembre 2007 suite à une hausse brutale des prix de l’énergie, mobilisation avec une dimension politique] et exprimant une opposition au régime actuel. Un moine a été arrêté lors d’une descente dans le district de Maha Aung Myay, mais il a été relâché par la suite. Quatre autres moines auraient été arrêtés dans le district de Pyigyitagon, ainsi que deux laïcs. Un autre moine et un novice ont été arrêtés dans le district rural de Myingyan, dans la région de Mandalay, mais il n’est pas certain que cette arrestation soit liée à la manifestation.

Chaos sur le marché des changes

Le kyat du Myanmar a atteint de nouveaux records à la baisse cette semaine, tombant à 2700 kyats pour 1 dollar mercredi 29 septembre et pouvant descendre jusqu’à 3000 kg jeudi, selon Myanmar Now. Si l’on en croit le chiffre de 2700 kyats, cela signifie que la valeur du kyat a diminué de moitié depuis le jour du coup d’Etat, où il s’échangeait à environ 1330 kyats. L’agitation sur les marchés des devises a incité certains commerçants à cesser de vendre des dollars (bien qu’ils en achètent volontiers), et certains bureaux de change ont tout simplement fermé leurs portes. Le kyat s’est également effondré par rapport à d’autres devises, l’agence de presse Shwe Phee Myay de l’Etat de Shan signalant que le taux de change avec le yuan est passé de 20 000 kyata pour 100 yuans à la fin de 2020 à 40 000 kyats pour le même montant. L’or aussi a atteint des sommets, tandis que le prix du pétrole a doublé.

La dernière vente aux enchères de la Banque centrale du Myanmar (CBM) a eu lieu le 27 septembre, durant lequel elle a vendu 15 millions de dollars, portant le total mensuel des ventes de dollars à 63 millions de dollars (et près de 200 millions de dollars depuis le coup d’Etat). La CBM a cependant augmenté son taux de référence de 1,755 à 1,921, ce qui correspond à la moyenne pondérée du taux utilisé par les banques mercredi. Cela ne signifie pas que l’homme ou la femme de la rue peut acheter des dollars à ce taux – seuls 22 millions de dollars ont officiellement changé de mains, la plupart des échanges de devises ayant eu lieu en dehors du système bancaire (ou en dehors des opérations inscrites).

Plus le kyat s’enfonce, plus les maux de tête du régime augmentent, non seulement parce qu’il s’agit d’une mise en cause de sa gestion de l’économie, mais aussi, plus concrètement, parce que les produits importés deviennent plus chers. Mercredi 29 septembre, le gouverneur de la CBM, Than Nyein, et d’autres responsables du régime ont discuté des moyens de «fournir une assistance efficace pour stabiliser les prix et la monnaie», y compris la vente de dollars aux banques privées, en attente des «dispositions pour le retour en temps voulu des recettes d’exportation» et «du calendrier du traitement des recettes d’exportation», ainsi que la stimulation des exportations. Les produits de base importés les plus importants sont le carburant et l’huile de palme. Au cours des deux dernières semaines, les autorités ont essayé de maintenir les prix bas en les subventionnant essentiellement par le biais de la CBM, en coopération avec les industriels.

Au cours d’une conférence de presse vendredi 24 septembre, le porte-parole militaire Zaw Min Tun a fait un rare aveu de culpabilité, déclarant que le «gouvernement actuel devra assumer la responsabilité» de la crise économique au Myanmar. Mais il a également attribué, de manière comique, l’effondrement économique actuel à l’épidémie de Covid-19. Si la pandémie a joué un rôle, le problème sous-jacent est la crise politique. Il a admis que le CBM n’a pas été en mesure de répondre à la demande de dollars.

Conférence de presse militaire

Mais la majeure partie de la conférence de presse a consisté à accuser le NUG d’inspirer des attaques terroristes, notamment en utilisant des enfants mineurs pour assassiner des informateurs militaires. Zaw Min Tun a diffusé quelques clips vidéo d’enfants admettant avoir commis des crimes, notamment une jeune fille de 14 ans qui a affirmé avoir été formée par des résistants à l’utilisation d’un couteau et d’une arme à feu. «Il m’a dit qu’il était temps de tuer les informateurs et les forces de sécurité. Il m’a également dit que nous devions commencer à mener des actes terroristes», a-t-elle déclaré. Ce qui ressemble beaucoup plus à la façon dont la junte présenterait les choses qu’à celle des combattants de la résistance.

Un autre détenu, qui est en seconde, a déclaré qu’il avait servi de vigile lors de multiples tentatives d’assassinat avant de tuer lui-même un informateur présumé. Il a ensuite admis avoir acheté et consommé du cannabis, comme si cela avait une quelconque pertinence. Les confessions semblent plutôt écrites et les vidéos comportent souvent des coupes et raccords. Il est également impossible de prendre au sérieux ce qui a été dit sous la contrainte.

Zaw Min Tun a ensuite raillé les membres du NUG, leur disant que plutôt que d’utiliser des enfants, ils devraient «sortir par eux-mêmes si vous avez du courage». Bien sûr, on pourrait dire la même chose des généraux qui restent en sécurité à Nay Pyi Taw (capitale), tandis que les soldats et les partisans de la Tatmadaw sont abattus dans tout le pays.

Zaw Min Tun a également présenté sa version des faits concernant l’exécution publique présumée de quatre personnes à Sanchaung, samedi dernier 25 septembre. Comme d’habitude, il a dérivé vers des accusations personnelles totalement inutiles et inappropriées. Il a déclaré que le médecin et l’infirmière assassinés avaient une liaison, ce qui, même si c’était vrai, n’aurait aucun rapport avec le fait qu’ils auraient été traînés dans la rue, torturés et abattus.

Zaw Min Tun a également abordé la question du maintien en détention du rédacteur en chef de Frontier, Danny Fenster, qui se trouve dans la prison d’Insein depuis plus de quatre mois. Interrogé par un journaliste de VOA Burmese sur le cas de Danny Fenster, Zaw Min Tun a déclaré que Danny Fenster avait travaillé «au-delà de ce qu’un journaliste fait normalement», sans préciser de quelles transgressions il est accusé. Cependant, comme Frontier l’a déjà signalé, les éléments de son dossier montrent clairement qu’il a été arrêté parce que les autorités pensaient à tort qu’il travaillait toujours pour Myanmar Now. (Lettre d’information de Frontier publiée le 1er octobre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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