Myanmar. Deux ans après le coup d’Etat, suite à la répression, la résistance démocratique a débouché sur une guerre civile. La crise humanitaire est béante

Soldats de l’Armée de libération nationale Ta’ang (TNLA)

Par Oliver Springate-Baginski et Win Myo Thu

Deux ans après le dernier coup d’Etat militaire qui a déposé le gouvernement démocratiquement élu du Myanmar, ce qui a commencé comme une vague de protestation nationale contre la prise de pouvoir de l’armée a débouché sur une véritable guerre civile.

Les militaires du Myanmar sont allés au-delà de l’historique répression ou de la terreur contre des groupes ethniques minoritaires: ils font la guerre à la société dans son ensemble. Il y a peu de chances que la violence cesse, et encore moins que les auteurs soient poursuivis pour une série de crimes contre «leur» population.

Pendant ce temps, la junte continue de voler les richesses du Myanmar. Ce «pays moins avancé», classé ainsi par les Nations unies, est largement pourvu de ressources naturelles qui sont détournées. Il y a une crise humanitaire majeure et une crise environnementale croissante. Pourtant, en dehors du pays, les complexités de la situation sont à peine appréhendées..

Les élections de 2020 au Myanmar se sont soldées par une défaite écrasante du Parti de la solidarité et du développement de l’Union (Union Solidarity and Development Party) – le parti politique supplétif de la Tatmadaw (l’armée du Myanmar) – et par un mandat très important donné à la Ligue nationale pour la démocratie (National League for Democracy) d’Aung San Suu Kyi et aux partis alliés.

Pourtant, le matin du 1er février 2021, le général en chef de l’armée, Min Aung Hlaing, a bloqué l’accès au Parlement, arrêté Aung San Suu Kyi et de nombreux collègues de haut rang. Il a déclaré l’«état d’urgence» et s’est installé à la tête d’un Conseil d’administration de l’Etat.

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Des millions de personnes descendent dans la rue. Un mouvement de désobéissance civile s’est formé, mené principalement par des jeunes qui se voyaient voler leur avenir prometteur. La réaction militaire a été rapide et brutale: les manifestant·e·s ont été abattus par des tireurs d’élite, victimes de tirs sans discernement, arrêtés, torturés et exécutés.

Deux ans plus tard, Aung San Suu Kyi, ainsi que la plupart de ses principaux collègues de parti, sont toujours en détention; Aung San Suu Kyi a récemment été condamnée à 33 ans de prison pour «corruption». Mais plusieurs dirigeants démocratiquement élus ont réussi à s’échapper pour former en exil un «Gouvernement d’unité nationale». Ce gouvernement représente désormais le Myanmar aux Nations unies et a des représentants dans plusieurs pays.

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Pendant ce temps, dans tout le Myanmar, des gens ont pris les armes. Nombre d’entre eux ont reçu une formation de base de l’une ou l’autre des organisations armées ethniques qui se sont formées au cours de décennies de conflits régionaux, et sont repartis combattre sous le nom de Force de défense populaire.

L’ensemble du Myanmar est désormais une «zone de conflit». Le Tatmadaw attaque ou bombarde régulièrement les villages qui résistent ou qui sont soupçonnés d’abriter des membres de la Force de défense populaire. Des milliers de personnes sont mortes et beaucoup d’autres ont été blessées.

Grâce aux revenus importants tirés du pétrole et du gaz, le Tatmadaw a l’avantage militaire, notamment en matière de puissance aérienne. Toutefois, il a du mal à faire face à une opposition unifiée. Il ne dispose pas d’une supériorité numérique par rapport aux démocrates. De nombreux soldats et policiers ont fait défection, plus de 8 000 à ce jour.

Entre-temps, le Tatmadaw éprouve des difficultés à recruter ou même à enrôler de nouvelles troupes, risquant ainsi de devenir à long terme une «armée dépourvue de soldats». Elle a également du mal à payer les salaires et a recours à la planche à billets, ce qui alimente l’inflation qui nourrit le mécontentement de la population.

Mais deux années de combats ont laissé la résistance du Myanmar à bout de souffle, avec des approvisionnements en baisse, en particulier les munitions, et peu de défense contre les attaques aériennes. La «fatigue propre au conflit» en affecte certains.

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Il s’agit d’une crise humanitaire et environnementale majeure. Plus de la moitié du pays vit dans la pauvreté après une décennie d’améliorations rapides sous une quasi-démocratie civile. Les Nations unies ont recensé 4,5 millions de personnes ayant besoin d’une aide d’urgence. Des millions de personnes sont déplacées, l’économie et le commerce international sont perturbés, les denrées alimentaires de base et les médicaments essentiels sont rares.

Mais le conflit offre de nombreuses opportunités commerciales à l’armée (Tatmadaw) et à ses alliés politiques. De nombreux projets à grande échelle précédemment bloqués pour des raisons environnementales ont été réactivés: la construction des nouveaux barrages et l’ouverture de nouvelles mines sont particulièrement inquiétantes.

L’exploitation forestière semble en augmentation et une nouvelle vague d’accaparement de terres par l’armée et ses partenaires commerciaux s’est emparée de terres agricoles pour la production de denrées de base, aggravant souvent la déforestation.

L’exploitation minière non réglementée, qui tire parti de la part importante d’or, de pierres précieuses, de jade et de terres rares du Myanmar, empoisonne les cours d’eau du pays. En 2017, des recherches menées par l’Université d’Oxford sur la qualité de l’eau ont révélé des concentrations d’arsenic et de plomb supérieures aux niveaux dits de tolérance. Et aujourd’hui, les projets miniers se multiplient, augmentant sans doute la pollution.

Pendant ce temps, dans de nombreuses villes, les coupures d’électricité obligent les gens à brûler du charbon et du bois comme combustible, ce qui nuit à la qualité de l’air.

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En dehors la solidarité avec le mouvement de résistance et la position plus délicate de l’armée, il y a des raisons d’être optimiste dans la réponse robuste de nombreux gouvernements étrangers. Le Conseil de sécurité des Nations unies a émis une résolution en décembre 2022 appelant à la cessation immédiate de toutes les formes de violence (la Russie, la Chine et l’Inde se sont abstenues).

Les Etats-Unis ont imposé des sanctions croissantes visant les généraux, les fournisseurs d’armes et les complices des généraux. En décembre 2022, la Loi adoptée par le Sénat des Etats-Unis (National Defense Authorization Act) permet d’apporter un soutien aux groupes démocratiques du Myanmar, notamment en matière de formation et d’assistance non létale.

L’Union européenne a adopté son cinquième train de sanctions contre la junte en novembre 2022, ciblant les exportations d’armes. Cette pression internationale s’est accrue à tel point qu’il semble que même la Chine devienne embarrassée par son association avec la junte.

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La guerre civile va sans aucun doute se poursuivre pendant un certain temps. Lorsqu’elle prendra fin, les cicatrices mettront encore plus de temps à se refermer. Ce qui rendrait la douleur supportable pour beaucoup serait une «paix juste» dans laquelle la menace du Tatmadaw, après plus de 60 ans de violence, serait éliminée et la richesse des généraux, de leurs complices et des sociétés militaires utilisée pour réduire la pauvreté.

En l’absence d’une aide militaire directe, les gouvernements et organisations étrangers devraient envisager de soutenir le Gouvernement d’unité nationale afin d’atténuer les souffrances de la population du Myanmar. En seront les clés, la coordination des services de santé, d’éducation et de crédit, aujourd’hui largement inexistants, ainsi que le travail de terrain pour aider la société civile à rétablir la démocratie le moment venu. (Article publié sur le site The Conversation le 31 janvier 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Oliver Springate-Baginski, professeur à l’University of East Anglia et Win Myo Thu, professeur invité au Christ Church College, University of Oxford

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