Par Frontier Fridays
Cette semaine – du 21 au 28 mai – des combats ont éclaté dans l’Etat de Kayah (à l’est de la Birmanie; aussi appelé Etat Karenni); des signes inquiétants sont apparus quant à une potentielle troisième vague de Covid-19. Chevron et Total ont mis fin à certains paiements au régime et la résistance a intensifié les assassinats d’officiels de la junte, notamment à Yangon. (Rédaction Frontier Fridays)
Affrontements à Kayah
Nous commençons par l’Etat de Kayah, où les combats se sont intensifiés de façon spectaculaire cette semaine, débordant également sur certaines parties du sud de l’Etat de Shan. Les premiers affrontements ont éclaté jeudi matin, lorsque les troupes de la Tatmadaw [armée de la junte] ont tenté de pénétrer sur le territoire de l’armée karenni, où le groupe ethnique armé hébergerait et entraînerait des résistants civils. Une force conjointe de l’Armée karenni et de la Force de défense du peuple karenni, loyale au gouvernement civil d’unité nationale [GUN], a affronté la Tatmadaw à plusieurs reprises au cours de la semaine suivante. Des combats ont été signalés dans les cantons de Demoso, Bawlakhe et Loikaw dans l’Etat de Kayah, ainsi que dans le canton de Pekon dans le sud de l’Etat de Shan [au nord de l’Etat de Kayah]. Selon les résistants, une quarantaine de soldats et de policiers ont été tués au cours du week-end, tandis que quatre autres policiers ont été faits prisonniers.
Dimanche soir 23 mai, la Tatmadaw a envoyé des véhicules blindés de transport de troupes et des hélicoptères dans la région pour mater le soulèvement, faisant plusieurs victimes civiles, dont quatre personnes tuées par une frappe d’artillerie alors qu’elles étaient réfugiées dans une église du canton de Loikaw. Mercredi 26 mai, Radio Free Asia a également rapporté que des tireurs d’élite ont abattu quatre personnes fuyant à moto le conflit dans l’Etat de Kayah, faisant trois morts et un blessé. Mais le renforcement de la présence militaire ne semble pas avoir dissuadé les combattants civils, qui ont lancé une nouvelle attaque contre un poste de police à Demoso mardi matin, le 25 mai, avant de tendre une embuscade à des renforts. Selon RFA Burmese, la Tatmadaw a perdu cinq combattants dans ces affrontements, tandis que deux combattants de la Force de défense du peuple karenni ont été tués et trois sont portés disparus.
Ces combats sont uniques non seulement parce qu’ils représentent les premiers affrontements majeurs dans l’Etat, mais aussi parce qu’il semble que ce soit la première fois qu’un groupe armé ethnique organise ouvertement une attaque avec une Force de défense du peuple. La situation semble avoir touché la junte, puisque le ministre de l’Intérieur, le lieutenant-général Soe Htut, a été envoyé dans la région pour rencontrer, à Loikaw et Pekon, des policiers, des soldats de la Tatmadaw et leurs familles.
Si les forces karenni se sont admirablement battues jusqu’à présent, cela ne doit pas faire oublier la nécessité d’une plus grande coordination entre les forces de résistance si elles espèrent rivaliser, à long terme, avec la Tatmadaw, voire atteindre leur objectif ultime de renverser le gouvernement militaire.
Une troisième vague?
Certains éléments indiquent que le Covid-19 pourrait circuler au Myanmar sans être détecté, ce qui pourrait aggraver la crise à laquelle le pays est déjà confronté.
Tout d’abord, un groupe caritatif a déclaré que 50 à 100 personnes étaient tombées malades d’une maladie respiratoire non identifiée dans la petite ville de Kyikha, à la frontière entre l’Inde et le Myanmar, dans le canton de Tonzang, dans l’Etat Chin. Le groupe a déclaré que les patients souffrent d’une «infection de type Covid-19» qui provoque des «difficultés respiratoires». Bien que le nombre de cas n’ait pas été particulièrement élevé dans les Etats indiens situés à la frontière avec le Myanmar, compte tenu de l’ampleur de l’épidémie de coronavirus en Inde et du caractère limité des tests effectués par ce pays, il est très facile d’imaginer que le virus pourrait être plus répandu dans les zones frontalières que ne le suggèrent les chiffres et qu’il a pu se frayer un chemin jusqu’à l’Etat Chin.
Les tests effectués par le Myanmar restent très insuffisants, mais le nombre de cas recensés hier était alarmant malgré la taille limitée de l’échantillon. Le ministère de la Santé et des Sports de la junte a signalé hier 96 nouveaux cas de Covid-19 sur 1788 tests, soit le nombre le plus élevé depuis le coup d’État. (Sur ces 96 cas, 24 provenaient de Kyikha, ville frontière). Le taux de positivité est de 5,3%, ce qui est suffisamment élevé pour être préoccupant. Au plus fort de la deuxième vague du Myanmar, nous atteignions régulièrement 8 ou 9 pour cent, mais nous n’avons commencé à respirer plus facilement que lorsque nous sommes descendus à 2 ou 3 pour cent. Le gouvernement civil avait tout juste réussi à maîtriser l’épidémie, avec une diminution du nombre de cas et une baisse des taux de positivité peu avant le coup d’État. Depuis que les Forces armées (Tatmadaw) ont pris le pouvoir, les restrictions ont été assouplies et les taux de dépistage se sont effondrés, passant d’environ 20’000 par jour à environ 2000, laissant le pays largement dans l’ignorance.
Chevron et Total font un premier pas
Chevron et Total ont annoncé qu’ils avaient décidé de suspendre les «distributions en espèces» aux actionnaires de la Moattama Gas Transportation Company (MGTC), qui comprend Myanma Oil and Gas Enterprise (MOGE), la plus grande source de devises étrangères de la junte dans l’économie officielle. Mais avant que vous ne soyez trop enthousiastes, les militants ont déclaré que cette mesure était un premier pas bienvenu, mais pas aussi important qu’il n’y paraît à première vue.
Cette déclaration utile de Justice For Myanmar explique que MOGE recevra toujours la «grande majorité des paiements» qu’elle recevait auparavant, provenant «des revenus du gaz, des redevances et du recouvrement des coûts de l’exploitation du champ gazier de Yadana et de l’impôt sur les sociétés de MGTC». L’organisation de défense de l’environnement Earthrights International a estimé que la décision amputera «moins de 10% des revenus que le projet Yadana génère pour le régime».
Pourtant, de nombreux militants ont été encouragés par la nouvelle, non pas parce qu’ils pensent que Chevron et Total en ont fait assez, mais parce qu’ils y voient le signe qu’ils pourraient être contraints d’en faire plus. Earthrights a fait valoir que Total et Chevron ont essentiellement reconnu que fournir des fonds à la junte est une erreur, et qu’ils devraient donc également cesser de percevoir des revenus d’autres sources (comme Yadana). Nous pouvons nous attendre à ce que cette discussion se poursuive – comme beaucoup l’ont souligné, la décision indique que Total et Chevron sont sensibles à la pression publique, ce qui encouragera les activistes à faire encore plus pression sur eux pour qu’ils coupent l’accès de la junte aux fonds. Une partie de cette pression semble également venir de l’intérieur, comme l’ont constaté des groupes de la société civile lors d’entretiens récents avec dix travailleurs du champ gazier de Yadana, qui ont tous déclaré vouloir que Total bloque les paiements même si cela les met en danger ou entraîne des coupures d’électricité au niveau local.
Guérilla à Yangon
Alors que les combats s’intensifient dans certaines régions, les assassinats ciblés de responsables de la junte par le biais d’explosions et de fusillades depuis des voitures ont augmenté dans d’autres.
Yangon a connu une vague de «décès» cette semaine, notamment ce que nous pensons être les premiers meurtres de soldats dans la ville. Un soldat aurait été tué par balle dans le district de Thingangyun vendredi 21 mai, tandis qu’un autre a été tué dans un incident similaire dans le canton de Kyimyindaing hier soir. Dans le district de Sanchaung à Yangon, une explosion aurait tué deux policiers qui assuraient la sécurité d’un bureau de quartier vendredi après-midi. Toujours à Yangon, tôt hier matin, l’administrateur de quartier nommé par la junte dans le district de Thaketa a été abattu par des inconnus, les habitants accusant la victime d’être un «informateur de la junte». Dans un incident particulièrement horrible, une bombe a éclaté lors d’une fête de mariage, tuant quatre personnes, dont la mariée. Selon plusieurs médias locaux, le colis piégé était déguisé en cadeau et a explosé pendant la cérémonie. Si le motif n’est pas confirmé, des rumeurs se sont répandues sur les médias sociaux selon lesquelles le marié pourrait être un informateur de la junte ou un membre d’un groupe pro-militaire.
Par ailleurs, un policier a été tué dans une explosion vendredi après-midi dans la capitale de l’État Shan, Taunggyi, après avoir inspecté un colis déposé sur la route, qui a ensuite explosé. Le président du parti pro-militaire Union Solidarity and Development Party dans le district de Bilin, dans l’État Mon, a été tué dans une fusillade en voiture alors qu’il se rendait à sa ferme jeudi matin, 27 mai. Enfin, un soldat assurant la sécurité de l’hôpital général du canton de Meiktila, dans la région de Mandalay, a été abattu dans un incident similaire dans la nuit de jeudi à vendredi.
Il est difficile de reprocher aux combattants de la résistance de vouloir infliger des pertes aux forces de sécurité tout en évitant les affrontements directs avec une armée nettement plus nombreuse et mieux équipée. Mais ces types d’attaques entraîneront inévitablement des pertes civiles accidentelles et des incidents moralement discutables, comme l’attaque de la cérémonie de mariage. Néanmoins, la Tatmadaw doit assumer la plus grande part de responsabilité dans ces incidents malheureux, car ses répressions brutales des manifestations ont créé la violence et l’instabilité que nous connaissons aujourd’hui. La violence imprévisible contribuera également à donner l’impression que Yangon n’est pas sûre pour le tourisme ou les entreprises étrangères, ce qui entravera les efforts de la junte pour revenir aux affaires courantes. (Article publié par Frontier Friday, le 28 mai 2021 ; traduction rédaction A l’Encontre)
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