Le chômage mis en perspective

Par Charles-André Udry

Le 6 novembre 2009, le Bureau of Labor Statistics des Etats-Unis annonçait une forte hausse du chômage en octobre: la barre des 10,2% était atteinte. Le niveau le plus élevé depuis avril 1983. Quelque 190’000 emplois salariés ont été perdus ce mois d’octobre. Moins que durant les mois précédents.

Toutefois, le déclin de l’emploi se constate depuis 22 mois, sans interruption, ce qui ne s’est jamais produit depuis 70 ans. Depuis le début officiel de la récession, en décembre 2007, ce sont 8,7 millions d’emplois qui ont été perdus. Et cela malgré l’ensemble de mesures prises pour stimuler l’économie, mesures  connues sous le nom de American Recovery and Reinvestment Act (ARRA).

Pour avoir une appréhension plus exacte de la situation de l’emploi, il faut prendre en compte la croissance de la population, plus exactement la part de cette dernière se présentant sur le marché du travail. Diverses études indiquent que pour stabiliser le niveau de l’emploi en relation avec la croissance de la population, chaque mois 127’000 emplois devraient être créés (la qualité de ces emplois n’est pas discutée, ici). Dès lors, si les pertes d’emplois se perpétuent depuis 22 mois, il faut ajouter aux 8,1 millions d’emplois détruits quelque 2,8 millions pas créés. Donc, au total, ce sont 10,9 millions d’emplois qui «manquent» pour simplement revenir au taux d’occupation en vigueur avant le déclenchement de la récession.

Pour atteindre ce niveau en octobre 2011, le nombre d’emplois salariés devrait s’accroître de 582’000 par mois, de novembre 2009 à octobre 2011. C’est-à-dire à un rythme qui n’a jamais été connu sauf durant le boom de 1950-1951, au moment de la Guerre de Corée.

De plus, les statistiques du chômage sont biaisées dans la mesure où elles ne tiennent pas compte de ceux et celles qui ne cherchent plus activement un emploi, même s’ils désirent travailler («attachés de manière marginale au marché du travail», selon la formule officielle). Il faut y ajouter celles et ceux qui voudraient travailler à plein temps – pour disposer d’un salaire permettant de survivre – mais qui ne trouvent pas ce type d’emploi. Ils sont qualifiés de travailleurs «à temps partiels non volontaires». La première catégorie compte dans ses rangs 2,4 millions de personnes; la seconde, 9,3 millions. Dès lors, aux 15,7 millions de chômeurs et chômeuses enregistrés, il faut ajouter ces 11,7 millions, ce qui conduit à un total de 27,4 millions de  travailleuses et travailleurs qui sont soit sans emploi, soit en situation de sous-emploi. Ce qui représente 17,5% des salarié·e·s des Etats-Unis. Le nombre de salarié·e·s au chômage depuis plus de six mois s’élève à 5,6 millions. Le nombre d’heures travaillées par semaine s’élève à 33 heures (avec effet à baissee sur le salaire mensuel), ce qui conduit de suite à cette conclusion: avant d’engager de nouveaux salarié·e·s, en cas de reprise, les entreprises vont simplement accroître le nombre d’heures travaillées.

La répartition géographique du chômage est évidemment différente: elle s’élève à 15,3% dans l’Etat du Michigan, mais à 4,2% dans celui du Dakota. Un Etat comme celui de l’Arizona a perdu 10% de ses emplois au cours de cette récession. Les pertes d’emplois se constatent aussi dans le secteur public et vont continuer sous les effets des coupes drastiques effectuées suite aux déficits budgétaires des collectivités locales et des Etats. La situation de la Californie n’est pas une exception, même si par son ampleur elle a acquis une position fort médiatisée à l’échelle internationale.

Comme dans beaucoup de pays, le chômage frappe fortement les jeunes salarié·e·s (entre 16 et 24 ans): le chômage dans cette tranche d’âge se situe à hauteur de 19,1%. Parmi les Noirs, le taux est à 15,7% et parmi les Hispaniques à 13,1%. La croissance la plus forte, depuis le début de la récession, touche les Hispaniques, avec des effets désastreux sur les envois d’argent au Mexique et dans les pays d’Amérique centrale.

La perte d’emploi accroît le nombre de salarié·e·s ne disposant d’aucune assurance maladie, car, plus d’une fois, avec la perte de leur emploi, ils perdent aussi leur assurance maladie. En 2008, on comptait 46,3 millions de personnes sans assurance maladie; les projections pour 2010 dépassent le chiffre de 50 millions.

En 2008, la part des personnes vivant dans une situation de pauvreté était estimée à 13,2% de la population. Pour ce qui a trait aux enfants le pourcentage s’élevait à 19 et à 34,7 pour les enfants afro-américains. Le chômage, qui va durer, ne fera qu’augmenter le part de la population soumise à toutes les affres de la pauvreté.

Comme le faisait remarquer le 8 novembre 2009 une dépêche de The Associated Press, les chômeurs et chômeuses sont entrés dans cette récession avec un taux d’endettement trois fois plus élevé qu’en 1982. Or, lors de la récession du début des années 1980, le nombre de mois avec un chômage à deux chiffres n’a pas dépassé 10. Cette fois, ce record sera battu. Dès lors, la perte de leurs maisons et les faillites personnelles (qui coupent toutes possibilités à l’accès au crédit) vont encore gonfler le nombre de pauvres et ne vont pas stimuler une «relance par la consommation interne», selon la formule consacrée par la théorie économique standard.

Par contre, la réponse standard des employeurs face à la crise résidera dans la baisse des salaires et par des licenciements, soit en misant sur une croissance de la productivité technique, soit en «exportant» des emplois (délocalisation).

 

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