L’avocat américain Omar Farah témoigne sur Guantanamo

Etats-Unis-GuantanamoPar Florencia Garibaldi

Il y a près d’une décennie, l’avocat Omar Farah visite le camp de Guantanamo deux ou trois fois par an. Voyages depuis les Etats-Unis en direction de la base navale états-unienne se situant dans la baie de Guantanamo, dans le sud-est de Cuba. Omar Farah le fait dans le seul but d’obtenir la libération de ses clients. Entre les détenus et le monde extérieur, il est le seul contact. Cependant, ses réunions sont surveillées et le silence qu’il doit garder sur ces entretiens n’a rien à voir avec le secret professionnel. Tout ce qui arrive à Guantanamo reste à Guantanamo. «Les notes que je prends quand je rencontre mes clients doivent être transmises aux militaires afin d’être examinées. Jusqu’au moment où ces derniers décident ce qui peut être utilisé publiquement, je ne peux émettre aucun commentaire sur ce dont j’ai parlé avec mes clients ou sur ce que j’ai vu.» Dans un entretien avec le quotidien argentin Pagina 12, Omar Farah nous confie qu’en tant que militant des droits de l’homme, son vœu serait de pouvoir rencontrer un jour des prisonniers dont il a obtenu la libération et s’asseoir autour d’une table «comme des hommes libres».

Farah est un avocat du Centre pour les droits constitutionnels, une organisation sans but lucratif basée à New York, dans laquelle il s’est spécialisé sur les détentions illégales à Guantanamo. En outre, il se consacre au thème de la défense contre les pratiques antiterroristes abusives. Il était récemment à Buenos Aires comme intervenant dans le cadre du séminaire «Guantanamo aujourd’hui. Qui est toujours là? Pourquoi? Et ce qui est fait à ce sujet?». Le séminaire était organisé l’Université Torcuato Di Tella [université privée jouissant d’un certain prestige] et le Centre d’études juridiques et sociales (CELS). Le travail de Farah dans la prison située sur l’île a commencé avec la prise en charge «pro bono» [engagement volontaire à titre gracieux] dans la firme privée au sein de laquelle il s’est engagé suite à la fin de ses études universitaires. Toutefois, il souligne qu’avec le temps les litiges sont devenus tellement compliqués qu’il a décidé de s’y consacrer à temps plein et de se battre pour la fermeture de ce camp-prison. Depuis 2008, il a représenté plusieurs détenus dans des litiges en habeas corpus (procédure juridique qui cherche à éviter les arrestations et la détention arbitraires) devant les tribunaux fédéraux [des Etats-Unis] et pour ce qui relève de leur réinstallation [une fois libéré] dans un pays.

La semaine dernière, 15 prisonniers ont été libérés et envoyés dans les Emirats arabes. Cela constitue le plus grand transfert approuvé par le gouvernement du président Barack Obama. Selon Farah, 20 autres prisonniers ont déjà obtenu l’autorisation de sortir de prison. Sur les 61 détenus restants au total, seulement sept ont été accusés d’un crime et trois sont condamnés. «J’étais à Guantanamo avec mes clients de suite après que les 15 détenus ont été transférés. Malheureusement, je ne peux pas révéler ce qu’ils m’ont dit. Mais le désespoir de ceux qui restent emprisonnés augmente de plus en plus. Ils se posent la question de savoir si, un jour, ils pourront ressentir ce soulagement. Une forte anxiété s’exprime car durant des mois il y avait 70 prisonniers et subitement 10 ou 12% s’en vont.» L’avocat blâme sans hésiter le gouvernement états-unien pour ne pas avoir fermé Guantanamo et se demande pourquoi Obama a décidé seulement maintenant de concentrer son attention sur cette question. «C’est un geste politique du président parce que son mandat va se terminer dans quelques mois, mais la chose importante est qu’il libère encore des détenus. Je suis très inquiet que son successeur, quel qu’il soit, ne va pas donner la priorité à Guantanamo. Donald Trump a l’intérêt de repousser l’échéance et Hillary Clinton ne va pas s’engager.»

Pour l’avocat il n’existe aucun moyen de corriger ce qui s’est passé à Guantanamo. Il croit que la seule solution consiste à fermer ce camp de prisonniers et de reconnaître ce qui est arrivé aux hommes qui ont passé un quart de leur vie dans une cage, ne sachant pas si un jour ils en sortiraient. «Cela est un problème qui a créé par les Etats-Unis et qu’ils devraient résoudre eux-mêmes», dit Farah. Toutefois, ils lancent des appels à différents pays pour qu’ils «fassent un effort» et acceptent des prisonniers. «Mes clients sont des gens qui veulent désespérément partir parce qu’ils croient encore qu’ils peuvent reconstruire leur vie, travailler, retrouver leur famille. Ils revendiquent une certaine dignité humaine. Nous avons besoin que des pays leur offrent une chance d’avancer. Il n’y a pas de plus grand geste humanitaire.»

Tariq Ba Odah est l’un des prisonniers que Farah représentait. Il a été arrêté par l’armée pakistanaise en 2001, près de la frontière avec l’Afghanistan. En 2002, il est emprisonné à Guantanamo, accusé de combattre aux côtés des talibans et d’avoir reçu une formation militaire. Il était en grève de la faim depuis 2007 jusqu’à sa libération cette année, pesant 34 kg. Depuis qu’il a refusé d’ingérer des aliments solides, il a été nourri de force par une sonde nasale deux fois par jour. Par son comportement, il a été considéré par les militaires comme indiscipliné et a passé la plupart de ses jours à l’isolement», nous indique Farah. «Ba Odah souffrait énormément, bien que son innocence ait été déclarée en 2009. Il voulait préserver sa dignité et ne pas être à la disposition de la stricte volonté du gouvernement états-unien. Sa réponse a été la grève de la faim. Il y a deux ans, il a commencé à être très malade. Jusqu’à aujourd’hui, le Département de la Défense ne peut pas expliquer la raison pour laquelle Ba Odah était un squelette, si était pratiqué un mode d’alimentation sûr et humain.»

L’avocat affirme qu’il y avait un risque que son client soit la dixième personne à mourir en prison. «Qu’il joue ainsi avec la vie des détenus est une marque noire que le gouvernement états-unien va toujours porter. Neuf hommes sont morts dans leur cellule en attente d’un jugement ou d’une libération. C’est un scandale qui s’ajoute au scandale d’ensemble. Le gouvernement ne parle pas des morts, car il se trouverait alors dans le viseur de toutes les organisations de défense des droits de l’homme et devrait dire ce qui se passe réellement à Guantanamo.» Farah considère important d’expliquer le chemin qui a conduit à cette situation et pourquoi les autorités états-uniennes ont utilisé ce site à Cuba pour y détenir les hommes capturés pendant ladite Guerre contre la Terreur. «Il a été conçu comme un lieu où la loi, la Constitution des Etats-Unis et les principes de la justice ne sont pas applicables. Les autorités l’ont conçu selon des normes juridiques afin de créer un trou noir pour détenir, torturer et interroger les hommes en toute d’impunité. Il y a là une violation infâme des droits de l’homme.» (Article publié dans Pagina 12, le 25 août 2016; traduction A l’Encontre)

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