Etats-Unis. Trump, à la veille des élections, met la main sur «l’administration» de la répartition budgétaire

Russell Vought, directeur de l’OMB

Par Ryan Grim

Dans les derniers mois de son premier mandat, l’administration Trump écarte les employés de carrière (fonctionnaires) du gouvernement dans le processus de répartition des fonds fédéraux, selon un mémo examiné par The Intercept, envoyé au personnel le 12 août par le directeur de l’Office of Management and Budget (OMB), Russell Vought.

L’OMB se trouve au centre du pouvoir exécutif du gouvernement, servant de bureau financier central pour chaque agence et programme fédéral. Ce bureau centenaire examine les lois adoptées par le Congrès qui autorisent et approuvent les dépenses du gouvernement fédéral, puis répartit l’argent entre les agences en fonction de ces lois. Depuis des décennies, le personnel de carrière de l’OMB est responsable de l’approbation de la légalité de l’attribution des fonds aux agences et aux projets. Les personnes nommées pour des raisons politiques, quant à elles, travaillaient dans les limites fixées par ce corps de fonctionnaires.

Sous le nouveau régime, cependant, les directeurs adjoints de programme – les personnes nommées par les autorités politiques, connues sous le nom de PAD (political appointees directors) – approuveront eux-mêmes les décaissements. Le raisonnement qui sous-tend ce changement est que les décisions de répartition sont fondamentalement des décisions politiques et qu’elles devraient donc relever de la responsabilité des assistants politiques qui sont ostensiblement responsables devant les électeurs, plutôt que des bureaucrates du gouvernement à l’abri des ressorts démocratiques.

Le changement n’est pas destiné à permettre une politisation inappropriée des décisions de dépenses, ont déclaré les hauts responsables de l’administration Trump à The Intercept, mais il vise plutôt à mettre la responsabilité là où elle devrait être: c’est-à-dire la donner aux PAD qui sont responsables devant le gouvernement Trump. Lors de la création de l’agence, le pouvoir de signature appartenait au plus haut fonctionnaire de chaque ministère. Une réorganisation en 1970 a ajouté une nouvelle couche d’appointés – les PAD – mais avait laissé leur autorité à un échelon inférieur à celui du personnel de carrière le plus élevé. Les nouvelles délégations actuelles, ont déclaré les fonctionnaires, visent à corriger cela.

Meg Reilly, une personne nommée à l’OMB sous l’administration Obama, a déclaré qu’il était alarmant de penser que des personnes sans formation ni expertise – ou sans la culture de loyauté juridique qui existe parmi les fonctionnaires de carrière de l’OMB – aient un pouvoir sur ces sommes. «Il s’agit d’un changement culturel significatif», a-t-elle déclaré, notant que le personnel de carrière et les personnes nommées pour des raisons politiques au sein de l’OMB travaillent physiquement dans des bâtiments différents, une représentation géographique du fossé entre leurs rôles.

L’administration Trump, par l’intermédiaire de l’OMB, s’est déjà efforcée de contourner ou de passer outre les décisions prises par les fonctionnaires de carrière, notamment en confisquant l’aide militaire américaine à l’Ukraine en 2019, au moment même où le président Donald Trump faisait pression sur l’Ukraine pour qu’elle enquête sur Joe Biden – un scandale qui a abouti à la procédure de destitution de Trump et à son acquittement final. Compte tenu de la manière dont l’administration a géré le recensement et le service postal américain – qu’elle a délibérément mis à mal pour des raisons politiques [voir à ce sujet l’article publié sur ce site le 17 août http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/etats-unis-pour-conserver-le-pouvoir-trump-envisage-de-saboter-les-elections.html] – il y a lieu de penser que les personnes nommées ne se comporteraient pas de manière responsable face à leur nouveau pouvoir. Restreindre les fonds ou retarder leur versement jusqu’à la fin de l’année pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les États en difficulté ou pour des agences comme le Census Bureau [Bureau du recensement, qui a des implications pour le registre des personnes disposant du droit de vote], qui a déjà subi des retards importants en raison de la pandémie et a mis fin prématurément au recensement de 2020, ou le Postal Service (USPS), qui a connu une vague de nouvelles politiques et de retards sous la direction du nouveau Postmaster General [responsable de l’USPS] Louis DeJoy, qui est un méga-donateur de la campagne de Trump.

Le mémo de Russell Vought lui donne également la possibilité d’exercer lui-même le pouvoir de décision. «La délégation remplace toute délégation antérieure de ce pouvoir et restera en place jusqu’à ce qu’elle soit révisée ou révoquée», peut-on lire dans la note. «Les directeurs adjoints de programme peuvent redéléguer par écrit ce pouvoir si nécessaire. La délégation ne limite pas le pouvoir du directeur d’exercer l’autorité déléguée.»

Russell Vought est un conservateur de longue date et a été un assistant principal du Comité d’étude républicain, une coalition de républicains de droite qui est l’opposé, en miroir, du Congressional Progressive Caucus. Il est également un vétéran de Heritage Action, la branche explicitement politique de la Heritage Foundation, un groupe de réflexion conservateur. Il a été confirmé comme directeur adjoint de l’OMB en 2018 grâce à un vote décisif du vice-président Mike Pence. Il est devenu directeur par intérim en janvier 2019, lorsque Trump a engagé Mick Mulvaney, alors directeur de l’OMB, comme chef de cabinet. Il a finalement été confirmé dans ses fonctions de directeur le mois dernier (juillet) – faisant de cette note l’une de ses premières démarches en sa qualité officielle de directeur.

Lors de son audience de confirmation, les démocrates ont contesté la position de Russell Vought sur la rétention des fonds fédéraux des États qui adoptent le vote par correspondance, ainsi que d’autres décisions de dépenses politisées. Le sénateur Ron Wyden, démocrate de l’Oregon, a demandé ce qu’il ferait s’il recevait l’ordre de Trump de punir les États qui encouragent le vote par correspondance. «J’examinerais les programmes et le pouvoir discrétionnaire dont nous disposons, mais je le ferais dans les limites de la loi», a déclaré Russell Vought, en donnant peu de raisons.

Russell Vought est un personnage controversé au Capitole, ayant défié une citation à comparaître des démocrates du Congrès, refusant de répondre aux questions sur la rétention de fonds en provenance d’Ukraine. Le Government Accountability Office [GAO, organisme d’audit, d’évaluation et d’investigation du Congrès] a publié un rapport disant que l’OMB, sous Vought, a enfreint la loi en retenant les fonds. Russell Vought a rejeté cette qualification, ce que le GAO a tout aussi rapidement rejeté. Le GAO a indiqué: «Les affirmations de l’OMB n’ont aucun fondement juridique.»

Selon Meg Reilly, le changement ne concerne pas seulement la politisation des décisions de décaissement. «Les fonctionnaires de carrière de l’OMB sont des experts dans leurs domaines très spécifiques, dont beaucoup ont des diplômes de haut niveau et des dizaines d’années d’expérience», a-t-elle déclaré. «Les personnes nommées pour des raisons politiques sont là pour faire avancer les objectifs idéologiques d’une présidence. Historiquement, ces décisions prises par les fonctionnaires de carrière s’effectuent dans le cadre des recommandations apolitiques et pragmatiques d’experts. Les personnes nommées pour des raisons politiques n’ont presque jamais les connaissances approfondies ou les données historiques nécessaires pour prendre une décision éclairée sur une répartition budgétaire spécifique. L’idée que de telles décisions passeront des experts non partisans aux escrocs bien accointés de la Maison Blanche est alarmante.» (Article publié par The Intercept, le 20 août 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Ryan Grim est le chef de bureau de The Intercept à Washington.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*