Etats-Unis. «Marche pour nos vies»: des centaines de milliers dans la rue contre le lobby pro-NRA

Par Oliver Laughland

Des milliers de personnes se sont rassemblées à Washington DC et dans d’autres villes américaines samedi, exprimant clairement les grandes lignes d’action sur la réforme des armes à feu.

Pendant six minutes et 25 secondes, Emma Gonzalez [d’origine cubaine], 18 ans, a tenu une foule de centaines de milliers de personnes dans la capitale nationale dans un silence quasi total. Des larmes coulent sur ses joues, fermant les yeux par intermittence, l’immobilité de l’adolescente raconte sa propre histoire.

Dans les moments précédents, elle avait prononcé le nom de chacun de ses camarades de classe et des enseignants abattus il y a cinq semaines. Au moment où elle a rompu le silence, Gonzalez était sur scène depuis six minutes et 20 secondes, le même temps qu’il a fallu à un homme armé pour supprimer 17 vies dans son école, Marjory Stoneman Douglas High, à Parkland, en Floride.

«Personne ne pouvait comprendre les conséquences dévastatrices, ni jusqu’où cela irait, ni jusqu’où conduirait», a-t-elle dit. «Pour ceux qui ne peuvent toujours pas comprendre parce qu’ils refusent, je vous dirai où cela a conduit: dans le sol, à six pieds sous terre.»

Le fait qu’une adolescente inconnue du pays jusqu’à il y a un peu plus d’un mois puisse commander un respect aussi silencieux et une introspection aussi profonde parmi un rassemblement de cette taille illustre à quel point le mouvement dirigé par les étudiant·e·s pour se relever du massacre de Parkland est devenu puissant.

Des marcheurs venus de tous les Etats-Unis avaient rempli Pennsylvania Avenue sur toute sa longueur [l’avenue qui relie la Maison Blanche au Congrès], débordant dans les allées et tenant des pancartes qui dénonçaient la violence armée endémique, les politiciens inaptes et le mouvement extrémiste de défense des droits des armes à feu qui les tient comme des captifs [craignant la réaction d’une partie de leur base électorale].

Des élèves de Parkland, un par un, sont montés sur scène pour faire une série de discours combatifs, directs et émotionnellement directs adressés à la foule rassemblée dans la rue.

«Quand les politiciens envoient des pensées et des prières, nous ne disons ça suffit!» a déclaré David Hogg, 17 ans. «Je dis aux politiciens: Préparez vos CV [qu’ils fassent la preuve de leur position et de leur vote] !»

«Bienvenue à la révolution», a déclaré Cameron Kasky, lui aussi âgé de 17 ans. «Soit vous représentez le peuple, soit vous sortez.»

«Nous avons fini de nous cacher», a dit Ryan Deitsch, 18 ans. «Nous ne sommes plus emplis par la peur. C’est le début de la fin. Depuis ici et maintenant, on se bat.»

La foule a répondu par des chants intermittents de «Dégagez-les!» et à un moment donné, elle a chanté «joyeux anniversaire» à Nicholas Dworet, l’un des étudiants assassinés le 14 février et qui aurait eu 18 ans ce samedi 24 mars.

Des dizaines de milliers d’autres personnes se sont rassemblées dans les villes et les municipalités des Etats-Unis, y compris New York, Phoenix, Atlanta, Oakland et Parkland elle-même, avec plus de 800 événements organisés dans des lieux couvrant tous les continents du monde.

Mais les organisateurs à Washington ont tenu à faire de ce rassemblement un événement inclusif, avec plusieurs discours passionnés prononcés par de jeunes victimes de la violence armée d’autres régions des Etats-Unis [1].

Edna Chavez quitte la scène avec le poing levé

Edna Chavez, 17 ans, de Manual Arts High dans le sud de Los Angeles, est montée sur scène avec son bras droit dressé, avec le poing serré au-dessus de sa tête. Avec assurance et indignation, elle a raconté [en anglais et avec des formules en espagnol] comment son frère aîné a été abattu alors qu’elle était une jeune enfant.

«J’ai vécu toute ma vie dans le sud de Los Angeles et j’ai perdu beaucoup d’êtres chers à cause de la violence armée. C’est normal. C’est normal au point que j’ai appris à esquiver les balles avant d’apprendre à lire,» dit-elle, demandant à la foule de chanter le nom de son frère: Ricardo.

«C’était un jour comme les autres. Le soleil se couchait sur le centre-sud. On entend des détonations pensant que c’était des feux d’artifice. Ce n’était pas des pétards. Tu vois la mélanine sur la peau de ton frère devenir grise.»

Naomi Wadler, [jeunes élève noire] d’Alexandria, en Virginie, a parlé avec une aisance et une éloquence qui semblaient aller au-delà de ses 11 ans. Wadler a dit aux manifestants qu’elle était présente pour «reconnaître les filles afro-américaines dont les histoires ne font pas la une de tous les journaux nationaux, dont les histoires ne font pas la une des journaux du soir. Les femmes afro-américaines qui sont réduites à de simples statistiques au lieu de belles et vibrantes filles pleines de potentiel.»

Des adolescents de Chicago, New York, ainsi que des victimes des massacres de Sandy Hook, se sont également adressés au rassemblement.

«Je suis ici pour parler au nom des jeunes de Chicago qui ont l’impression que leur voix a été étouffée depuis trop longtemps», a déclaré Trevon Bosley, 19 ans. «Et je suis ici pour parler au nom de tous ceux qui croient qu’un enfant tué par balle à Chicago ou dans n’importe quelle autre ville est toujours une norme inacceptable.»

Ce n’est pas seulement Emma Gonzalez qui a observé le silence le jour où des centaines de milliers de personnes sont descendues sur Washington. Donald Trump, qui a passé la fin de semaine dans son club de Mar a Lago dans le sud de la Floride, n’a fait aucun commentaire ou tweet sur les marcheurs.

Au lieu de cela, la Maison Blanche a publié une courte déclaration avant que le rassemblement ne commence, se limitant à applaudir les «jeunes Américains courageux exerçant leurs droits du premier amendement», le droit à la liberté d’expression.

Trump, qui semblait autrefois prêt à répondre à certaines des demandes de contrôle des armes à feu découlant de la tragédie de Parkland, a depuis lors reculé sous la pression de la NRA. Le président a plutôt poussé les enseignants à s’armer d’armes à feu pour repousser les agresseurs.

Cette proposition a été huée à plusieurs reprises par les personnes réunies à Washington.

«Armer les enseignants ne marchera pas», a affirmé Edna Chavez, 17 ans. «Plus de sécurité dans nos écoles ne fonctionne pas. La politique de tolérance zéro ne fonctionne pas. Ils nous font nous sentir comme des criminels. Nous devrions nous sentir soutenus et responsabilisés dans nos écoles.»

Alors que le rassemblement se terminait, les manifestant·e·s se sont dispersés dans les rues du centre-ville de Washington, chantant toujours ce qui était devenu l’un des thèmes majeurs du rassemblement, un thème qui semble susceptible de mettre sur les nerfs [les élus ayant un siège], à une courte distance, sur la colline du Capitole: «Dégagez-les». (Article publié dans The Guardian, le 24 mars 2018; traduction A l’Encontre)

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[1] Le Washington Post du vendredi 23 mars indiquait que 187’000 enfants et adolescents ont été exposés à la violence des armes à feu depuis la tragédie de Columbine en 1999, qui avait fait 13 morts. Le quotidien indique que 11 attaques ont endeuillé 2018, faisant d’ores et déjà de cette année la pire de toutes, face à une moyenne annuelle de 10 tueries dans les établissements scolaires depuis 1999. (Réd. A l’Encontre)

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