Par Jane Slaughter
Depuis 1979, les travailleurs et travailleuses syndiqués de l’automobile ont subi des compromis, les uns après les autres. Cette époque est révolue. Mercredi, au 41e jour de la «grève debout» (Stand-Up Strike) du syndicat contre les Big Three, le président de l’United Auto Workers (UAW), Shawn Fain, a annoncé la conclusion d’un accord avec Ford. Les gains en termes de contrat sont substantiels.
Le syndicat a ajouté la goutte d’eau qui a fait déborder le vase cette semaine en frappant lundi et mardi les deux principales sources de revenus de General Motors et de Stellantis, les usines d’assemblage de SUV et de camions du Texas et du Michigan [voir les articles publiés sur ce site les 13 et 24 octobre]. Les travailleurs de la principale vache à lait de Ford, Kentucky Truck, avaient déjà débrayé le 11 octobre.
Ford a cédé mercredi 25 octobre plutôt que de voir tomber le prochain domino: la grande entreprise Ford River Rouge, située à Dearborn, dans le Michigan, qui fabrique les modèles F-150, les plus vendus aux Etats-Unis.
La stratégie du syndicat a toujours consisté à monter les trois grands constructeurs automobiles les uns contre les autres. La grève a débuté le 15 septembre avec un appel à débrayer dans une seule usine au sein des trois grands groupes (Ford, GM. Stellantis). Le syndicat a procédé à une montée hebdomadaire de la mobilisation, les négociateurs «récompensant» les firmes qui avaient accepté des concessions au syndicat, en leur évitant d’autres grèves, et en sanctionnant les entreprises réticentes.
Regagner le terrain perdu
En 1979, l’UAW a donné le coup d’envoi de l’ère moderne des contrats syndicaux accommodants en révisant son contrat avec Chrysler et en acceptant des concessions à mi-parcours (des quatre ans contractuels). Les employeurs, enhardis, se sont empressés d’en obtenir davantage, et les contrats syndicaux de l’ensemble du mouvement ouvrier n’ont cessé de se détériorer depuis lors.
A quelques exceptions près, l’histoire de l’UAW depuis 1979, et plus particulièrement depuis 2007, est faite de concessions successives, même lorsque la conjoncture était relativement favorable. Cette année, sous une nouvelle direction (Shawn Fain, élu en mars 2023), le syndicat a enfin commencé à regagner le terrain perdu.
Les revendications du syndicat étaient ambitieuses, telles qu’une augmentation de salaire de 40% correspondant aux augmentations de salaire des PDG. Il a même avancé une demande de 32 heures de travail pour un salaire de 40 heures. Shawn Fain apparaissait souvent avec un tee-shirt «End Tiers» – quand il ne chantait pas «Eat the Rich» – soit la revendication désormais radicale d’un salaire égal pour un travail égal.
Bien qu’il s’agisse d’un «sujet de négociation non contraignant», ce qui signifie que les firmes ne peuvent être contraintes, en vertu du droit du travail, de l’aborder, Shawn Fain a proposé d’intégrer les nouvelles usines de véhicules électriques (EV) des Big 3 dans les accords contractuels cadres, ce qui est essentiel pour l’avenir du syndicat. Le syndicat semble avoir obtenu gain de cause sur cet aspect chez GM.
Combler un profond trou
Pourtant, même si les revendications salariales du syndicat semblaient importantes, il ne faisait en réalité que rattraper le temps perdu. A maintes reprises, sur les piquets de grève, les travailleurs et travailleuses de l’automobile ont expliqué: «Nous essayons simplement de récupérer ce que nous avons sacrifié.» Il s’agit de combler un trou très profond.
Tous les détails de l’accord de principe seront communiqués dimanche 29 octobre au Conseil Ford du syndicat, composé de représentants locaux qui voteront probablement pour l’approuver, puis sur Facebook Live avec les membres, qui en discuteront et voteront lors de réunions locales qui se dérouleront sur plusieurs semaines. Une version des «points forts» renverra au texte de l’accord de principe. Il est certain qu’il contiendra à la fois de grandes victoires et des déceptions.
Chuck Browning, vice-président de l’UAW, a déclaré que les usines Ford en grève reprendraient le travail dans l’attente du vote de ratification, tandis que les grévistes de GM et de Stellantis resteraient en grève. Poursuivant la stratégie consistant à dresser les entreprises les unes contre les autres, l’idée est de permettre à Ford de renouer avec les bénéfices tandis que ses rivaux continuent de «se vider de leur sang». «La dernière chose qu’ils veulent, c’est que Ford retrouve sa pleine capacité de production alors qu’ils sont en panne», a déclaré Chuck Browning.
Quelle que soit la forme de l’accord de principe, nous savons, grâce aux rapports hebdomadaires de Shawn Fain aux membres, via Facebook Live, que les grèves ont déjà permis de gagner beaucoup. Avant la mobilisation de cette semaine, au 20 octobre, au moins l’un des trois grands constructeurs automobiles avait accepté de:
- d’intégrer les usines de batteries et de véhicules électriques dans l’accord-cadre (chez GM)
- ramener à une durée de trois ans (au lieu de huit) le temps pour l’obtention d’un salaire plein pour les nouveaux embauchés
- d’augmenter les salaires de 23% d’ici au 1er mai 2028
- d’attribuer un statut de travailleur permanent (CDI) aux actuels intérimaires (mais avec la possibilité d’en embaucher d’autres)
- de rétablir l’indexation du salaire au coût de la vie
- d’augmenter le salaire de départ des intérimaires à 21 dollars de l’heure, au lieu de 16 à 17 dollars.
- d’éliminer l’échelon inférieur salarial pour les usines qui ne sont pas des usines d’assemblage, et d’augmenter leur salaire à taux plein
- d’accorder deux semaines de congé parental rémunéré
- d’autoriser le droit de grève en cas de fermeture d’usine
- d’augmenter la contribution de l’entreprise au plan 401(k) [système de retraite par capitalisation] à 9,5% majorée de 1,25 $/heure.
- d’augmenter les retraites de 3 dollars par mois en fonction du nombre d’années de service pour les futurs retraités (ceux qui ont été embauchés avant 2007 et qui sont toujours en poste).
L’accord chez Ford, encore à ratifier
Hier soir 25 octobre, Shawn Fain a annoncé une augmentation salariale de 25% sur les quatre ans et demi de la convention collective de Ford (dont 11% immédiatement), ainsi qu’une indemnité de vie chère, une participation aux bénéfices et une prime de ratification. L’accord prévoit une augmentation de 68% du salaire de départ pour un travailleur permanent, qui passerait ainsi à plus de 28 dollars de l’heure. Ford a promis des améliorations pour les retraités, qu’ils bénéficient d’une pension ou d’un plan 401(k), mais les détails ne seront pas révélés avant dimanche.
Chuck Browning a précisé qu’au cours de la durée du contrat, le salaire des intérimaires actuels augmenterait de 150% (sur la durée de l’accord), au fur et à mesure qu’ils deviendraient des travailleurs permanents. Les travailleurs de deux usines d’essieux, qui ont récemment été rétrogradés à un niveau inférieur, bénéficieront d’une augmentation immédiate de 85%, car leur échelon salarial a été supprimé.
Un travailleur ayant trois ans d’ancienneté chez Ford a expliqué qu’il est actuellement à moins de la moitié d’un salaire complet, selon la progression actuelle qui est étalée sur huit ans. Lorsqu’il reprendra le travail après la grève, il passera immédiatement à un salaire complet d’environ 32 dollars de l’heure, auquel s’ajoutera l’augmentation de salaire de 11%.
Il reste encore à obtenir des informations sur les prestations des retraité·e·s, sur les usines de véhicules électriques, sur les gains pour les futurs intérimaires et sur les restrictions éventuelles concernant l’engagement futur d’intérimaires, sur le calendrier des augmentations et sur les conditions de travail, telles que les heures supplémentaires obligatoires.
Entre-temps, le rythme des négociations chez GM et Stellantis devrait s’accélérer, d’autant plus que leurs usines les plus lucratives sont en grève. (Article publié par Labor Notes, le 26 octobre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
Soyez le premier à commenter