Etats-Unis. Le drame du plafond de la dette: mise en scène, négociations et risques… sans parler de l’austérité budgétaire 

Le président de la Chambre des représentants Kevin McCarthy (à droite) et le chef de la minorité du Sénat Mitch McConnell (à gauche) s’adressent à la presse après une réunion avec l’administration Biden sur le plafond de la dette, le 16 mai.

Par James K. Galbraith

Comme si la planète ne brûlait pas ou n’était pas au bord de la guerre nucléaire, la Maison Blanche, le Trésor, le Congrès et la presse ont déclenché une nouvelle manche du jeu de société favori de Washington:  Debt Disaster!™ Sur Vox, Dylan Matthews a expliqué la politique à moitié occulte qui se cache derrière ce «jeu». Les deux camps (démocrates et républicains) ont besoin d’une victoire, explique Dylan Matthews. Aucun des deux ne dispose des votes nécessaires. La recherche d’un résultat acceptable pour les deux parties est donc en cours. La demande non négociable du président Biden est un relèvement pur et simple du plafond de la dette [1]. Le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, quant à lui exige de fortes réductions des dépenses fédérales, ce à quoi Biden n’a aucune objection de principe. Ces objectifs ne sont pas incompatibles, ce qui signifie qu’ils seront tous deux atteints. Le reste n’est qu’une question de mise en scène, de timing, d’optique et d’image.

Avec la récession qui s’annonce, une année de réduction des dépenses dans les domaines de la santé, des bons alimentaires, de l’assurance chômage, de l’aide aux Etats et aux villes, est exactement ce qu’il faut pour rendre le Sénat à Mitch McConnell [chef actuel de la minorité républicaine au Sénat] et la présidence à Donald Trump. Kevin McCarthy le sait. Et Biden? Probablement. Mais avec sa cote de popularité (taux d’approbation) à peine supérieure à celle de Gerald Ford ou de Jimmy Carter [40% le 10 mai 2023], certains membres clés de son équipe sont peut-être moins concentrés sur l’élection que sur la recherche de leur prochain emploi.

Dylan Matthews a peut-être raison sur ce point, mais il n’est pas à la hauteur sur d’autres questions, comme nous l’avons déjà expliqué. Reprenons quelques points essentiels. Premièrement, en droit, le Trésor américain est tenu d’effectuer des paiements. Le plafond de la dette n’annule pas cette obligation. La secrétaire d’Etat au Trésor, Janet Yellen, n’a pas le pouvoir légal d’interrompre les paiements ou de choisir ceux qui doivent être effectués et ceux qui doivent être reportés. Si les paiements cessent, elle enfreindra la loi et sa prestation de serment. Pour cela, elle pourrait et devrait être mise en accusation.

Le plafond de la dette est également une loi. Il ordonne au Trésor de ne pas cesser d’effectuer des paiements, mais d’arrêter d’émettre des titres au-delà de la limite (plafond) de 31 400 milliards de dollars. Janet Yellen pourrait également être destituée pour avoir ignoré cette limite et émis davantage de titres [entre autres des T-Bills, titres de dette à court terme de 1 mois à 1 an], ce qui constituerait une violation de la Constitution, alors que la poursuite des paiements n’en serait pas une. Mais aucun jury américain ne la condamnerait, et certainement pas le Sénat américain.

Il n’est pas non plus nécessaire de dépasser le plafond. Frapper une pièce de monnaie en platine d’une valeur de mille milliards de dollars résoudrait le problème, sans emprunt supplémentaire ni dépassement du plafond de la dette. Dans le cas contraire, comment la Réserve fédérale honorerait-elle les bons du Trésor si aucun titre n’était émis et si le compte général du Trésor n’était pas suffisamment approvisionné? Les bons du Trésor seraient-ils annulés?

C’est possible! Dans ce cas, les bons du Trésor sans provision seraient renvoyés aux banques, qui sauraient parfaitement que l’émetteur est le gouvernement souverain des Etats-Unis. Refuseraient-elles de créditer ces bons? J’en doute. Ces bons en suspens seraient des actifs, comme tous les autres, et d’excellentes garanties pour les prêts à court terme [des banques].

Mais supposons que les banquiers, peut-être en application d’une réglementation, refusent de créditer les bons du Trésor qui, en raison du plafond de la dette, ne sont temporairement pas compensés. Et supposons que cela dure plus de quelques jours. La conséquence serait une vague de défauts de paiement réels – des défauts de paiement de la dette dans le secteur privé. Pas dans le secteur public! Mais les prêts aux entreprises, les prêts hypothécaires, les prêts automobiles et les prêts étudiants ne seraient pas remboursés. Qui, dans un premier temps, serait touché par cette situation? Evidemment, les banques. Même en l’absence d’une explosion du plafond de la dette fédérale, les Etats-Unis ne sont pas à l’abri d’une crise financière [2]. Le secteur bancaire américain n’est pas vraiment solide en ce moment. A l’exception de quelques cas qui font la une des journaux, il faudrait que les banquiers soient encore plus suicidaires que d’habitude pour refuser de créditer ces «mauvais» bons du Trésor.

En résumé, Biden et Yellen jouent sur le drame de la dette, non pas parce que nous sommes confrontés à un Armageddon financier, mais pour donner l’impression d’une victoire inespérée à la dernière minute. Lorsque cela se produira, toutes les personnes concernées pousseront un grand soupir de soulagement. Debt Disaster!™ sera remballé et rangé sur l’étagère, jusqu’à ce que les petits-enfants impressionnables viennent à nouveau nous rendre visite.

Pour le secteur économique, ce qui compte, c’est ce qu’ils offrent à Kevin McCarthy, dans les processus de négociation de budget et de crédits, afin qu’il obtienne son petit succès. Pour les élections, ce qui compte, c’est l’ampleur des coupes budgétaires, les personnes qui en souffriront et comment celles qui seront concernées vont réagir au plan électoral. C’est la pomme empoisonnée d’un autre conte pour enfants. Quelques bouchées pourraient endormir les démocrates pour l’échéance 2024 et effacer ce qu’il reste du programme annoncé de Biden. (Article publié sur le site The Nation le 11 mai 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

James K. Galbraith est professeur à l’Université du Texas à Austin. Il a été directeur exécutif de la commission économique mixte du Congrès.

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[1] Le plafond de la dette désigne formellement le niveau maximum que peut représenter l’endettement fédéral des Etats-Unis. Quand ce niveau d’endettement (plafond) est atteint, le Trésor ne peut plus émettre d’obligations sur les marchés. Privé de ce financement, le gouvernement «court le risque» de ne pas pouvoir payer ses créanciers, ses fonctionnaires et ses fournisseurs. Le Trésor peut utiliser, ce qu’il fait actuellement, des emprunts auprès des fonds de retraite. Mais cela a des limites. (Réd. A l’Encontre)

[2] «En coulisses et publiquement, les dirigeants des plus grandes banques du pays pressent les politiques de trouver un compromis. Le patron de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, qui milite depuis longtemps en faveur de la suppression de ce plafond [de la dette], a souligné le coût d’une telle gestion des risques et expliqué que plus les jours passaient, plus la “panique” risquait de gagner les marchés. “Cela affecte les contrats, le colatéral, les chambres de compensation, les clients, d’une façon différente à travers le monde”, a-t-il déclaré.» Les Echos, 17 mai 2023. (Réd. A l’Encontre)

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