Etats-Unis. La bataille pour 15 dollars de l’heure: une bataille vitale… et pourtant difficile

Par Bryce Covert

Takara Gilbert travaille depuis longtemps dans le Connecticut avec un salaire minimum qui est de 10,10 dollars l’heure depuis le début de 2017. Elle travaille actuellement chez McDonald’s, mais elle a aussi travaillé dans la grande distribution comme Home Goods et Marshall’s.

Dans chaque emploi, elle a mis son «sang, sa sueur et ses larmes», a-t-elle dit, mais elle a toutefois obtenu le même salaire. «Chaque travail est différent et unique, mais vous faites toujours le même.» Et cela a rendu la vie très difficile pour elle et sa famille.

«C’est une catastrophe», a dit Takara Gilbert. Elle aide actuellement à payer les factures de son père parce qu’il y a quelques mois, il a eu un accident vasculaire cérébral et qu’il est dans une situation d’invalidité, mais ses chèques n’étaient pas suffisants. Et son salaire minimum de même est insuffisant. «Il est difficile de payer les factures à temps», a-t-elle dit, notant que sa famille est «extrêmement en retard» concernant la facture d’électricité. Elle achète le minimum d’alimentation pour passer chaque semaine. «Ma famille, nous ne sommes jamais allés au restaurant, nous n’avons jamais eu ce qu’il y a de plus luxueux», dit Takara Gilbert.

«C’est si triste, honnêtement, il m’arrive parfois de pleurer lorsque je m’endors parce que j’ai l’impression de ne pas faire assez pour subvenir aux besoins de ma famille», a-t-elle ajouté. «Ça me tue littéralement à l’intérieur.»

• Mais Takara Gilbert est l’une des plus de 330’000 salarié·e·s du Connecticut qui obtiendront bientôt une augmentation. Après l’adoption par l’Assemblée législative de l’Etat d’un projet de loi visant à augmenter le salaire minimum à 15 dollars de l’heure d’ici à 2023, le gouverneur Ned Lamont l’a promulguée le mardi 28 mai 2019.

La pression pour augmenter le salaire minimum du Connecticut à 15 dollars l’heure a commencé il y a cinq ans, avec le début du mouvement Fight for 15 qui a déclenché une série de grèves de plus en plus importantes à travers le pays pour exiger ce salaire plancher. Mais dans le Connecticut, le mouvement a connu «de nombreuses années de déception», a déclaré Juan Hernandez, vice-président de la section syndicale 32BJ SEIU (Service Employees International Union) du Connecticut, parce que «la politique était un obstacle». Les élu·e·s s’y sont opposés et le lobby des entreprises s’est battu contre les augmentations, faisant même valoir que le fait de porter le salaire minimum à 10,10 dollars l’heure ferait fuir les entreprises de l’Etat.

Cette fois, cela ne s’est pas passé ainsi. Bien avant les élections de l’an dernier, le campagne Fight for 15, le SEIU et d’autres organisations alliées ont clairement fait savoir aux candidats à l’Assemblée législative de l’Etat que le relèvement du salaire minimum de l’Etat à 15 dollars l’heure devait être une priorité s’ils voulaient leur appui.

Ça a marché. Les candidats à l’élection ont fait campagne sur cette question. Avant les élections, le Sénat de l’Etat était divisé sur la question de savoir s’il fallait augmenter le salaire, mais les partisans ont obtenu six sièges. Le soutien a également augmenté dans la chambre basse. Et maintenant «ils l’ont adopté», nous affirme Hernandez. «C’est comme ça que fonctionne la démocratie.»

Grâce à sa participation à ce mouvement et à la lutte pour les 15$, Takara Gilbert était dans la capitale de l’Etat pour voir les élu·e·s de la Chambre et du Sénat voter en faveur de la loi. «Les voir voter était un miracle», a-t-elle dit. Quand ils ont finalement voté oui, elle a sauté de son siège et «a souri si fort, je n’ai jamais souri si fort» dit-elle. «J’ai pleuré… J’étais complètement sous le choc.»

«Ils nous ont entendus comme une seule voix puissante», a-t-elle ajouté. «Nous sommes devenus si forts que nous avons touché le cœur des élus.»

• Avec le vote et la signature du gouverneur, le Connecticut se joint à un groupe rare: six autres Etats – la Californie, l’Illinois, le New Jersey, le Maryland, le Massachusetts et New York – ont adopté une loi visant à porter leur salaire minimum à 15 dollars l’heure. Avec le Connecticut, près d’un tiers de la main-d’œuvre du pays vit maintenant dans un Etat ayant ce salaire plancher, selon le National Employment Law Project.

Une fois que le salaire minimum de 15 dollars entrera en vigueur, Takara Gilbert croit que cela fera une énorme différence dans sa vie. «Notre loyer serait payé et nous n’aurions pas à nous inquiéter; nous aurions plus de nourriture», dit-elle. Elle espère qu’elle pourra s’acheter des vêtements (à l’heure actuelle, tout l’argent qu’elle a en réserve sert à payer ses factures), sortir son père pour manger et même acheter une voiture. «Je n’aurai pas à m’inquiéter et j’aurai moins de difficultés», dit-elle. «Mon père n’aurait pas à me voir pleurer autant.»

Le Connecticut est déjà le quatrième Etat à prendre cette mesure cette année, après le New Jersey, l’Illinois et le Maryland.

«C’est un mouvement qui ne cesse de grandir», a déclaré Juan Hernandez.

• Ces victoires législatives peuvent être reliées à l’influence de la campagne Fight for $15 lorsque les travailleurs de la restauration rapide de New York se sont mis en grève en 2012 pour exiger un salaire minimum de 15 dollars et le droit de former un syndicat. Depuis lors, ces Etats et un certain nombre de villes ont fait de leur demande une réalité. Depuis sa création, le mouvement avait obtenu au total 68 milliards de dollars en augmentations pour 22 millions de travailleurs à bas salaires l’an dernier (2018), grâce à des augmentations du salaire minimum.

Quand Takara Gilbert s’est impliquée dans le mouvement, «ils m’ont rassurée en comprenant que je n’avais pas disposé du temps et du courage pour me battre pour cela». Mais au travers de cette action: «Ils m’ont donné une voix quand je n’en avais pas et que je ne pensais pas pouvoir en avoir une.»

• La revendication d’un salaire de 15 dollars a même fait son chemin jusqu’au Congrès, où cette année, la Chambre a tenu la toute première audience sur un projet de loi qui porterait le salaire minimum à 15 dollars l’heure à l’échelle nationale. Juan Hernandez espère en faire un thème central dans la campagne pour la présidence: «Nous veillons à ce que les candidats à la présidence sachent que s’ils veulent notre appui, ils doivent appuyer nos objectifs, et les 15 $ représentent l’un de nos objectifs», a-t-il dit. «Nous espérons que l’année prochaine, nous retrouverons la présidence et que le nouveau président s’engagera à faire la même chose qu’ici dans le Connecticut.»

Takara Gilbert veut qu’un plus grand nombre de salarié·e·s obtiennent le salaire minimum de 15 dollars. «J’ai l’impression que tout le monde devrait avoir 15 dollars de l’heure», dit-elle. «Tout l’effort que nous mettons dans notre travail… mérite cela.»

«Nous sommes les Robin des Bois de cette époque», a ajouté Juan Hernandez. «Les riches en ont plus, et ils pourraient partager cet argent supplémentaire avec les gens d’en bas.» (Article publié sur le site Truthout.org, en date du 28 mai 2019; traduction A l’Encontre)

Bryce Covert est une journaliste indépendante qui écrit sur l’économie. Elle rédige des tribunes dans le New York Times et The Nation.

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