Par Juan Miranda
Ils lançaient des slogans, portaient des pancartes et chantaient des comptines mexicaines. Parfois, ils criaient aussi fort qu’ils le pouvaient: ¡Niños, no estan solos! (Les enfants, vous n’êtes pas seuls!), espérant que dans le dépôt transformé en prison ils pourraient les entendre.
Voici la scène qui s’est déroulée le jour de la fête des pères. Cent personnes se sont rassemblées d’urgence devant l’Ursula Immigration Processing Center de McAllen, au Texas, sur la frontière du Mexique, à environ une heure de route du golfe du Mexique.
Témoignant d’un élan enthousiasmant, des dizaines d’activistes venant d’endroits aussi éloignés que New York et la Caroline du Nord ont fait le trajet jusqu’à la vallée du Rio Grande et ont rejoint les animateurs et les membres des communautés locales, alors que des familles continuaient à être séparées à la frontière.
Au cours des derniers jours, l’indignation face à la politique de «tolérance zéro» de l’administration Trump s’est cristallisée en une série de protestations qui se sont répandues bien au-delà du lieu du cauchemar à la frontière.
Mercredi [20 juin] soir, des centaines de personnes se sont déplacées vers l’aéroport LaGuardia de New York en quelques heures afin d’accueillir des enfants séparés de force de leurs familles à mesure que les vols orchestrés par les autorités fédérales arrivaient. Ces vols effectuaient le transfert de jeunes détenus loin des installations situées à la frontière.
Des organisations de défense des migrants ont diffusé l’appel dans la soirée de mercredi pour accueillir les vols. Les gens ont répondu immédiatement, arrivant à l’aéroport avec des pancartes confectionnées à la main écrites en espagnol. On pouvait y lire: «No están solos» (Vous n’êtes pas seuls), «Ustedes son importantes» («Vous êtes importants») et «Los queremos y lucharemos por ustedes» («Nous vous voulons et nous nous battrons pour vous»). Les slogans se faisaient entendre dans le terminal plein à craquer alors que les gens tentaient de trouver chaque avion.
Le fait que les enfants arrivaient dans une ville située à plusieurs milliers de kilomètres de leurs parents mercredi soir est une preuve que l’ordre exécutif de Donald Trump – signé le matin du même jour supposément pour mettre un terme aux séparations – n’est pas même le début de la fin de ce cauchemar.
Même si les familles nouvellement détenues restent ensemble, l’ordre de Trump démontre que l’administration veut détenir indéfiniment autant les parents que les enfants; en violation des jugements des tribunaux. Personne au sein de cette administration qui déchire d’une manière aussi impitoyable des familles entières ne semble avoir la moindre idée de comment des enfants déjà séparés retrouveront leurs parents.
Les mobilisations doivent se poursuivre. Il n’y a aucun doute que cela sera le cas, de manière plus forte qu’auparavant, maintenant que les yeux de millions de personnes se sont ouverts sur la réalité du cauchemar à la frontière.
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La manifestation de McAllen a été organisée le jour de la fête des pères de façon à souligner l’atrocité de séparer des enfants de leurs parents. Il s’agissait aussi de rendre hommage à la mémoire de Marco Antonio Muñoz, un père hondurien de 39 ans qui s’est suicidé [le 13 mai] après avoir été séparé de son épouse et de son enfant.
«Nous devons nous battre pour Marco, pour son épouse et pour l’enfant de 3 ans qu’il a laissé derrière lui», déclare Tanya, une organisatrice de La Unión del Pueblo Entero (LUPE). «Pour tous les enfants qui sont à l’intérieur [du lieu de détention] et qui ne sont pas aujourd’hui avec leur père, pour tous les parents qui sont ailleurs sans même savoir où se trouvent leurs enfants. Nous devons être conscients que le combat ne se termine pas aujourd’hui.»
Tanya a été suivie par Léa, une jeune fille de 12 ans venant de Miami. Des larmes coulaient le long de son visage, rappelant à la foule rassemblée que des familles étaient séparées dans tout le pays, pas seulement à la frontière:
«Je crains en permanence de perdre mon papa [parce qu’arrêté] par [les agents] de l’immigration, mais Trump veut me séparer de lui. Je n’arrive pas à dormir. Je ne peux pas même faire mes devoirs. Je suis en état de stress. J’ai peur qu’il soit emmené alors qu’il se trouve à son travail. J’aimerais dire aux enfants de la frontière et de tout le pays de ne pas abandonner, de continuer à se battre pour leurs parents. Je n’abandonnerai pas la lutte pour le droit de rester avec ma famille.»
A la suite de son discours, Lea et d’autres enfants ont marché vers les portes du centre de détention pour y laisser des présents aux enfants qu’y sont détenus.
A travers l’interphone, un agent a annoncé qu’il les laisserait entrer, mais après près de 20 minutes d’attente sous une température de 36 degrés, les portes n’ont jamais été ouvertes. Les enfants ont finalement fait demi-tour, laissant les cartes qu’ils avaient écrites et des peluches devant la porte.
Le rassemblement était organisé par la coalition Keep Families Together, composée de groupes locaux tels que LUPE et Fuerza Del Valle Workers Center ainsi que des organisations nationales telles que la National Domestic Workers Alliance, People’s Action et Moms Rising, entre autres.
Plusieurs orateurs ont témoigné de la dévastation ressentie dans la vallée du Rio Grande, ainsi que du fait que – les gens étant actuellement alertés – la séparation des familles se déroule depuis des années.
«Nous avons assisté pendant des années à la déshumanisation systématique des travailleurs migrants ainsi que de leurs enfants», a déclaré Sonny Garcia de l’Illinois People’s Action, bien qu’elle soit originaire de Brownsville, au Texas [ville à la frontière, au bord du Golfe du Mexique, où des mobilisations se sont déroulées devant un supermarché Wal-Mart désaffecté, transformé en centre de détention d’enfants].
«Nous voyons aujourd’hui comment des bébés sont littéralement arrachés aux mamans qui les allaitent et jeter dans des cages à chien. Nous laissons un appel à tous les pères, à toutes les mères, à tous les Américains de se dresser et de résister ce mal qui a pour nom Donal Trump, de résister à ce mal qui a pour nom Jeff Sessions [le «ministre de la justice»] , de résister à ce mal qui a pour nom ICE [Agence fédérale de police aux frontières].»
Rion Thompson, un membre de Down Home North Carolina, a affirmé que ce n’est que récemment qu’il a commencé à suivre la question de l’immigration, à la suite d’actions locales dans sa localité. Il a expliqué à la foule la raison qui l’avait amené à traverser la moitié du pays dans un délai aussi bref:
«En tant qu’homme noir en Amérique, je comprends ce que signifie la séparation familiale. Je connais la longue histoire de séparation des pères noirs de leurs communautés et de leur enfermement dans des cages. Ils sont tenus pour responsables pour ne pas prendre soin de leurs enfants, de la même façon que l’on accuse les pères immigrés de ne pas tenter d’assurer à leurs enfants la sécurité et un avenir meilleur. La réalité est que c’est ce système et ces politiques racistes qui empêchent les parents de subvenir aux besoins de leurs enfants.»
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Au cours des deux dernières semaines, le flot d’histoires horribles, d’images d’enfants détenus dans des cages et même les enregistrements d’enfants en bas âge pleurant en détention a révélé la monstruosité de l’ICE et des politiques du gouvernement. Des millions de personnes sont contraintes de prendre position.
Au cours des derniers jours seulement, au moins huit gouverneurs d’Etat, dont deux d’entre eux sont républicains, ont annoncé qu’ils rappelleraient leurs unités de la garde nationale déployées à la frontière et certains dirigeants conservateurs condamnent publiquement la politique de Trump.
L’église même du procureur général [ministre de la justice], Jeff Sessions, a pris des mesures contre lui. Plus de 600 membres de l’United Methodist Church ont publié une plainte formelle contre Sessions en tant que membre de la même église. Ils dénoncent le fait que la politique de «tolérance zéro» qu’il mène viole les règles de l’église et peut tomber sous le coup de la maltraitance envers des enfants.
Plus important encore, des groupes de travailleurs agissent. Des membres de la National Nurses United [syndicat d’infirmières et infirmiers] ont rejoint d’autres syndicats en défilant contre les séparations familiales. Au sein de Microsoft, plus de 100 travailleurs ont posté une lettre exigeant de leur entreprise d’annuler les contrats qui la lient à l’ICE.
Le traitement barbare de l’administration Trump des enfants est l’enjeu principal qui nourrit l’indignation. Cela ne signifie pas pour autant que les mobilisations s’arrêteront une fois passé la crise immédiate. Il est indispensable de se pencher plus profondément sur ce problème. Ainsi que l’a écrit Jacinta González sur le site Truthout:
«On a prêté une attention moindre au fait que les parents sont poursuivis pénalement, ils risquent jusqu’à 20 ans de prison simplement pour émigrer. C’est cette procédure pénale ouverte par le Département fédéral de justice au motif d’une “entrée illégale” ou d’une “nouvelle entrée” qui permet au gouvernement de séparer les enfants de leurs parents, de les mettre dans des cages ou de les envoyer vivre avec de parfaits inconnus alors que leurs parents sont détenus dans des prisons privées.»
Ce qui se déroule à la frontière est atroce, mais cela n’est pas nouveau. Ces pratiques sont liées à l’ensemble de l’histoire de ce pays, tout comme à son présent.
Si nous voulons un avenir différent, nous devons bâtir un mouvement qui ne sélectionne pas l’étendue de notre compassion mais qui, au contraire, mette au centre un amour et une solidarité inébranlables envers toutes les familles broyées par ce système vicieux.
Les socialistes sont profondément convaincus que nous pouvons nous battre pour et gagner un monde sans prisons ni frontières. Un monde où les gens peuvent se déplacer librement et vivre en sécurité. Nous ne pouvons renoncer à personne si nous voulons aller dans cette direction. (Article publié le 22 juin 2018 par le site SocialistWorker.org; traduction A l’Encontre)
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