Black Friday pour les travailleurs et travailleuses d’Amazon. Journée de mobilisation internationale et description des conditions effectives de travail

Le vendredi 26 novembre, dans 20 pays, les travailleurs et travailleuses d’Amazon ont organisé des grèves ou des manifestations dans le but d’améliorer les conditions de travail. Cette mobilisation était placée sous le slogan «Make Amazon Pay». Quelque 70 organisations – dont Greenpeace, Oxfam et Amazon Workers International – ont appuyé cette campagne qui intervient dans une conjoncture de contestation croissante des salarié·e·s d’Amazon concernant leurs conditions de travail et l’offensive de la direction contre les syndicats (quand ils existent) ou contre leur établissement.

La campagne Make Amazon Pay – formée en 2020 – déclarait: «La pandémie a révélé comment Amazon place les profits avant les travailleurs, la société et notre planète.» A propos des conditions de travail, les revendications portaient en priorité sur les longues heures de travail, les bas salaires, les systèmes d’évaluation des performances, la précarité de l’emploi. Make Amazon Pay exigeait «la suspension du régime de productivité et de surveillance sévère qu’Amazon a utilisé pour mettre sous pression les travailleurs et travailleuses».

Make Amazon Pay souligne sur son site internet que pendant la pandémie de Covid-19, Amazon est devenue une firme dont capitalisation boursière s’élève à quelque 1800 milliards de dollars. Alors que Jeff Bezos a accumulé une fortune estimée à environ 202 milliards. Or, selon un rapport de ProPublica publié en juin 2021, Jeff Bezos n’a payé aucun impôt sur le revenu entre 2006 et 2018.

L’étude que nous publions ci-dessous – effectuée par le groupe de recherche Work Futures (Nottingham Trent University) – établit un bilan des conditions de travail, dans un style d’analyse sociologique. (Réd. A l’Encontre)

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Par Tom Vicker

A l’approche des fêtes de fin d’année, nombreux sont ceux qui profiteront des prix bas et de la rapidité de livraison promis par Amazon. Le géant de la vente au détail en ligne est plus populaire que jamais, et il embauche des milliers de personnes supplémentaires pour répondre à la demande.

Mais les preuves disponibles suggèrent que les procédés par lesquels Amazon exécute nos commandes peuvent nuire à ses travailleurs et travailleuses. Il semble également que ce problème s’aggrave, voire qu’il soit exacerbé par l’introduction de l’automatisation et des robots dans le processus d’exécution des commandes.

Notre équipe du groupe de recherche Work Futures (Nottingham Trent University) a examiné plus de 500 sources d’information sur Amazon. Nous avons examiné les rapports des médias, les publications universitaires, les documents publiés par Amazon et les articles de blog des employés d’Amazon. Nous avons également parlé aux syndicats qui organisent les travailleurs d’Amazon au Royaume-Uni.

Nous avons tenté de parler à Amazon pour obtenir leur réponse à nos conclusions, mais ils n’ont pas répondu.

Nos conclusions dressent un tableau possible des pratiques de travail nuisibles à l’intérieur des centres de traitement des commandes ou des entrepôts d’Amazon. Pendant les périodes de forte demande – le Black Friday, le Cyber Monday, le Prime Day et Noël – Amazon fait appel à des milliers de personnes supplémentaires. Cette année, l’entreprise offre des primes à l’embauche pouvant aller jusqu’à 3000 £ pour attirer les travailleurs et travailleuses saisonniers.

Pendant ces périodes de pointe, la durée de la semaine de travail peut augmenter jusqu’à 60 heures, et le taux moyen d’appels aux ambulances aurait augmenté, a rapporté Business Insider en 2019 (19 février 2019). Cependant, une porte-parole d’Amazon a déclaré à Business Insider qu’ils savaient «de source sûre que les incidents enregistrables n’augmentent pas pendant les périodes» de pointe, bien qu’ils n’aient pas fourni de dossiers. L’entreprise a également déclaré que l’utilisation des taux d’appel des ambulances pour évaluer la sécurité sur le lieu de travail est «tout simplement erronée car elle ne tient pas compte des heures travaillées, de la taille de l’effectif et du fait que les appels soient liés au travail ou non».

Les preuves des préjudices physiques que peuvent subir les travailleurs des entrepôts d’Amazon sont alarmantes. Le Comité de New York pour la sécurité et la santé au travail (NYCOSH) une organisation regroupant des travailleurs, des syndicats, des militants et des professionnels de la santé et de la sécurité, a interrogé 142 des 2500 travailleurs et travailleuses de l’entrepôt d’Amazon à Staten Island.

Parmi les personnes interrogées, 66% ont déclaré «avoir ressenti des douleurs physiques lors de l’exécution de leurs tâches professionnelles habituelles», et 42% «ont continué à ressentir des douleurs même lorsqu’elles n’étaient pas au travail». Les chercheurs ont conclu que ces rapports constituaient des preuves de «troubles musculo-squelettiques liés au travail».

Une enquête similaire menée par le syndicat britannique GMB [qui organise plus 600’000] a révélé que 87% des personnes interrogées faisaient état de douleurs constantes et occasionnelles. Dix pour cent n’ont ressenti que des douleurs occasionnelles et seulement 3% n’ont ressenti aucune douleur.

Le GMB a également obtenu des autorités locales britanniques des informations sur les accidents que les entrepôts d’Amazon avaient signalés aux autorités de santé et de sécurité. Le total annuel est passé de 152 en 2016-17 à 240 en 2018-19.

Automatisation et accidents

Amazon affirme que l’introduction de la numérisation et de l’automatisation dans le processus de travail améliore la sécurité des travailleurs et travailleuses. Mais il existe des preuves qui suggèrent que ces innovations peuvent en fait contribuer aux accidents et blessures dans les entrepôts.

Au niveau mondial, Amazon a déployé des centaines de milliers d’unités robotisées dans ses entrepôts au cours des dernières années. Cela a augmenté la vitesse à laquelle Amazon répond aux commandes, mais cela signifie également que les travailleurs humains doivent suivre le rythme des machines. Amazon utilise également des programmes informatiques pour suivre les mouvements des travailleurs, dans le but de synchroniser les éléments humains et robotiques afin de maximiser la productivité et l’efficacité.

Un ancien responsable des opérations chez Amazon a déclaré à Reveal, une association de journalisme d’investigation que, lorsque les robots ont été introduits, «les attentes en matière de productivité des travailleurs ont plus que doublé». Les préparateurs de commandes, les travailleurs et travailleuses chargés de saisir et de scanner les articles, ont vu leur objectif passer d’environ 100 articles à 400 articles par heure. Dans le cadre d’une enquête incluant des documents internes d’Amazon, Reveal a découvert que:

  • Le taux de blessures graves a augmenté de 33% entre 2016 et 2019;
  • Au cours de chacune de ces années, les taux les plus élevés d’accidents graves ont eu lieu pendant les semaines du Prime Day [deux jours réservés aux membres d’Amazon Prime, avec des «ventes flash» exceptionnelles] et du Cyber Monday [le lundi suivant le Black Friday];
  • En 2019, le taux d’accidents graves était de 7,7 pour 100 employés – près du double du taux moyen pour l’entreposage et le stockage aux Etats-Unis;
  • Le taux d’accidents graves dans les entrepôts fonctionnant avec la robotique de 2016 à 2019 était plus de 50% plus élevé que dans les entrepôts plus anciens fonctionnant sans robotique.

En 2019, un porte-parole d’Amazon a déclaré à Reveal que pendant le Prime Day et la période des fêtes, l’augmentation des accidents est due à l’augmentation du nombre de salarié·e·s, mais que le taux moyen de blessures «a historiquement diminué ou est resté stable» pendant ces périodes. Un an plus tard, un porte-parole de l’entreprise a déclaré à Reveal qu’en 2020, Amazon a dépensé plus d’un milliard de dollars en mesures de sécurité liées à la technologie et à la sécurité Covid-19. Il a déclaré: «Les investissements [d’Amazon] dans les programmes de formation et d’éducation à la sécurité, dans la technologie et les nouvelles infrastructures de sécurité fonctionnent.»

On a constaté qu’un rythme de travail plus rapide entraîne généralement un risque accru de troubles musculo-squelettiques et de stress, en particulier lorsque les travailleurs et travailleuses ont un contrôle limité sur leur rythme de travail. Cette constatation remet en question l’idée selon laquelle la robotique et l’automatisation réduisent les exigences physiques des travailleurs.

En mai 2021, Amazon a introduit un programme de «mieux-être» axé sur l’amélioration de la résilience individuelle des travailleurs par le biais de mesures telles qu’une alimentation saine et une «mécanique corporelle». Nous n’avons vu aucune preuve que les dirigeants d’Amazon aient envisagé de diminuer le rythme de travail comme moyen d’améliorer le bien-être des travailleurs.

Il existe moins de preuves de l’impact du travail chez Amazon sur la santé mentale. Des rapports journalistiques ont trouvé des exemples d’anxiété, de troubles de l’humeur et de stress.

Organise, un réseau étatsunien dirigé par des travailleurs et comptant plus d’un million de membres, a mené une enquête auprès des salarié·e·s des centres de traitement des commandes basés au Royaume-Uni et a constaté que 57% des personnes interrogées ont déclaré être devenues «beaucoup plus anxieuses» depuis qu’elles ont commencé à travailler chez Amazon. De nombreux rapports ont cité des témoignages de travailleurs sur le stress lié à la réalisation des objectifs.

Atteindre les objectifs

Cette pression est systématiquement renforcée par un système automatisé qui menacerait de mesures disciplinaires les 10% de travailleurs les moins performants, classés en fonction de leur productivité par rapport aux objectifs. Ces informations ont été corroborées par les responsables syndicaux que nous avons interrogés au sein de la Bakers, Food and Allied Workers Union [BFAWU], qui a représenté les travailleurs de nombreux entrepôts Amazon au Royaume-Uni.

Des allégations similaires ont été faites, déjà en 2016, par d’autres publications et par des témoignages directs de travailleurs – se référant parfois aux 5% les moins performants, parfois aux 10%. Les travailleurs peuvent être sanctionnés s’ils prennent trop de «temps libre» ou s’ils ne travaillent pas à leur «vitesse assignée».

The Verge [publication qui couvre entre autres les liens entre technologie et science] rapporte que des documents juridiques qu’il a obtenus montrent qu’Amazon aux Etats-Unis a licencié des centaines de travailleurs en un an dans un seul entrepôt pour des motifs liés à leur productivité. Un porte-parole d’Amazon a déclaré à The Verge: «En général, le nombre de licenciements d’employés a diminué au cours des deux dernières années dans cet établissement ainsi que dans toute l’Amérique du Nord.»

The Verge cite également Amazon qui affirme que lorsque plus de 75% des travailleurs et travailleuses atteignent leur objectif, les objectifs sont augmentés. Ainsi, si les travailleurs travaillent trop lentement, ils risquent de perdre leur emploi – mais s’ils travaillent assez rapidement, ils risquent d’être amenés à travailler encore plus vite.

L’un des documents obtenus par The Verge était une lettre signée par un avocat de l’entreprise, confirmant qu’un système automatisé suit les taux de productivité individuelle et génère des avertissements ou des licenciements «sans intervention des superviseurs».

En juin 2021, Amazon aux Etats-Unis a annoncé qu’elle affinait sa politique en matière de temps de pause, qui, selon l’entreprise, peut être «facilement mal comprise». La société a déclaré que le système est destiné principalement à comprendre les problèmes des systèmes opérationnels, et «seulement secondairement à identifier les employés sous-performants». Amazon a déclaré qu’elle calculerait la moyenne des temps morts sur une plus longue période, un changement qui l’aiderait à atteindre son objectif d’être «l’endroit le plus sûr de la planète pour travailler».

Participation locale

Au Royaume-Uni, de nombreux entrepôts d’Amazon sont situés dans de petites communes, comme dans le district de Cannock Chase [région rurale], où se trouve le centre de traitement des commandes d’Amazon à Rugeley [dans la ville de Staffordshire]. Certains considèrent que les «accords de partenariat» impliquent que les autorités locales agissent, en fait, en tant qu’agent d’Amazon, vis-à-vis des tiers qui font des requêtes en vertu de la loi Freedom of Information [1]. Etant donné qu’Amazon est l’un des principaux fournisseurs d’emplois dans la zone de l’autorité locale, et qu’elle pourrait également payer des droits à cette autorité pour la fourniture de conseils, il existe des risques que leur rôle dans la réglementation soit affaibli.

Le conseil de district de Cannock Chase a déclaré que l’accord de partenariat ne compromet en aucune façon sa capacité à contrôler Amazon. Par conséquent, le conseil de Cannock Chase n’agit pas en tant qu’agent pour Amazon. Il a déclaré que si des demandes découlant de la loi Freedom of Information lui sont adressées, il est légalement tenu d’y répondre – et cela ne fait pas partie de l’accord avec Amazon.

Le risque croissant pour le bien-être des travailleurs des centres de distribution d’Amazon appelle à l’action, mais la résolution de ce problème est loin d’être simple. Les initiatives des travailleurs, des syndicats et des militants d’Amazon visant à demander des comptes à l’entreprise doivent faire partie de la solution. (Article publié sur le site The Conversation, le 26 novembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Tom Vickers Maître de conférences en sociologie et responsable du groupe de recherche Work Futures, Université de Nottingham Trent.

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[1] La Freedom of Information Act 2000 (loi de 2000 sur la liberté d’information) permet au public d’accéder aux informations détenues par les autorités publiques. Elle le fait de deux manières: les autorités publiques sont obligées de publier certaines informations sur leurs activités; et les membres du public ont le droit de réclamer des informations aux autorités publiques. (Réd.)

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