Pérou. Le peuple toujours dans les rues. Le Congrès ne réagit pas. L’autoritarisme  s’affirme

Par Carlos Noriega (Lima)

Les organisations de défense des droits de l’homme accusent le gouvernement de commettre des crimes contre l’humanité avec l’autoritarisme et la militarisation croissants qu’il a mis en place.

Le Congrès, à majorité de droite, continue de tourner le dos au pays. Au milieu de manifestations massives exigeant la démission de la présidente Dina Boluarte et la tenue d’élections cette année, qui ont fait plus de cinquante morts en deux mois, le Parlement a refusé d’avancer les élections présidentielles et parlementaires.

Quatre projets de loi de ce type ont été bloqués par une majorité de législateurs. Le dernier d’entre eux a été rejeté vendredi. Une décision qui clôt la possibilité de faire baisser la tension sociale. L’indignation populaire grandit. Sans élections anticipées, l’exécutif et le Congrès devront rester au pouvoir jusqu’en 2026.

Il existe un consensus sur le fait que cette situation n’est pas tenable. Ou bien, seulement viable avec la prolongation et le durcissement d’une répression que les organisations des droits de l’homme accusent de commettre des crimes contre l’humanité ainsi qu’avec la consolidation de l’autoritarisme et de la militarisation que le gouvernement a mis en place.

Dina Boluarte refuse de démissionner

Dans ce scénario, les revendications se multiplient pour la démission de Boluarte, pas seulement dans les rues, ou encore sa révocation par le Congrès.. Cela obligerait à des élections cette année. Jusqu’à présent, la présidente a refusé de démissionner. Elle ne s’est pas exprimée après que le Congrès ait rejeté sa proposition d’avancer les élections. La gauche a déposé une motion au Congrès visant à mettre en examen de Dina Boluarte pour «incompétence morale» en raison des morts dues à la répression. Avec le soutien de la droite au gouvernement, il est difficile d’obtenir les 87 voix – deux tiers du parlement monocaméral – pour la faire passer. Mais la pression de la rue pourrait changer ce scénario.

Après l’abandon des élections anticipées au Congrès, des manifestations ont eu lieu ce samedi 4 février à Lima et dans d’autres villes du pays. Des milliers d’habitants venus de l’intérieur du pays pour faire entendre leur voix dans la capitale après des semaines de protestations dans les différentes régions, notamment dans les Andes, ont joué un rôle de premier plan dans les manifestations de Lima,. Elles se déroulent quotidiennement depuis plus de deux semaines. Les blocages de routes se poursuivent, notamment dans le sud du pays, où les manifestations ont commencé en décembre 2022, après la destitution de Pedro Castillo et son remplacement par Dina Boluarte, désormais alliée de la droite. Une grève nationale a été «convoquée» pour le 9 février. Dans les régions du sud, comme la région andine de Puno, une grève illimitée est en cours depuis plusieurs semaines.

«Dina, assassine, démissionne», «Congrès corrompu, dégage», sont des revendications qui se font entendre bruyamment dans les rues du pays. Les protestations ont été durement réprimées. Plus de 50 personnes ont été tuées au cours des manifestations, dont 46 par des tirs de la police et de l’armée, et une personne a eu le crâne brisé par une grenade lacrymogène tirée à bout portant par un policier. Boluarte a justifié la répression et a soutenu à plusieurs reprises les forces de sécurité.

Pendant ce temps, au Congrès

Sous la pression de la rue, le Congrès a approuvé en décembre, par 93 voix, l’avancement à avril 2024 des élections qui étaient prévues en 2026. La décision devait encore être ratifiée lors d’un second vote en février. Mais cela n’a pas calmé les rues, qui réclament des élections, un nouveau gouvernement et un nouveau Congrès cette année. Les protestations se sont intensifiées en raison de la réaction répressive du gouvernement. Dans ce contexte, le Congrès a rouvert le débat pour une nouvelle élection anticipée. Mais au lieu d’avancer, il a reculé. Il y a une semaine, il a rejeté d’avancer les élections au mois d’octobre. Cette proposition a reçu 45 voix. Il lui fallait 87 voix, ou 71 voix pour la ratification par référendum.

Cette semaine, trois autres propositions visant à avancer les élections ont également été rejetées. L’un d’eux consiste à les tenir en décembre et à ne changer le gouvernement qu’en mai de l’année prochaine. Soutenu par un secteur de la droite et rejeté par la gauche, qui l’a qualifié d’une «plaisanterie faite au pays» car elle revenait à garder l’exécutif et le Congrès pendant plus d’un an alors que les mobilisations massives exigeaient que le changement ait lieu cette année,. Cette motion a obtenu 54 voix. Une autre proposition avancée par le Perú Libre (PL), le parti qui a porté Pedro Castillo au gouvernement, pour des élections en juillet de cette année avec un référendum pour une Assemblée Constituante, a échoué avec 48 voix. Elle a été soutenue par la gauche et combattu par la droite.

Les élections anticipées étant bloquées au Congrès, le gouvernement, cherchant une issue moins traumatisante face à la pression croissante pour la démission de Boluarte, a présenté une proposition d’élections en octobre et un changement de régime le 1er janvier 2024. Pratiquement une répétition de l’une des options déjà rejetées. Il devait d’abord être approuvé par la commission de la Constitution, ce qui nécessitait 14 voix. Lors d’un vote vendredi, elle n’a obtenu que 10 voix. Comme cela s’était produit lors de la séance plénière du Congrès – avec une proposition antérieure visant à avancer les élections à la même date – les sont unis pour s’opposer les partis de droite, d’extrême-droite, la gauche du PL , ainsi que des groupes dissidents de l’ancien parti de Castillo, se sont une fois de plus joints à l’opposition. La gauche progressiste de Cambio Democrático – Juntos por el Perú (CD-JP), la Fuerza Popular pro-Fujimori et quelques autres élu·e·s ont voté pour. Lorsque le vote pour avancer les élections a été remis sur le tapis, l’approbation en première instance des élections en avril 2024 a été annulée. Tout est revenu à zéro. Et les élections sont de nouveau fixées à 2026.

Tactiques de paralysie

Dans des déclarations qui nous ont été faites, l’avocat et analyste politique Juan de la Puente a souligné que «la rue a pris la parole, et face à cela, l’élite est stupéfaite et essaie seulement de rester en place». Directeur du site d’analyse politique Pata Amarilla, Juan de la Puente a indiqué qu’une majorité d’élus au Congrès bloquent une élection anticipée afin de prolonger le plus longtemps possible leur mandat au Congrès. «Il y a un accord tacite entre les fractions parlementaires de droite et de gauche pour ne pas avancer les élections en utilisant des arguties car ils pensent pouvoir calmer les mobilisations et donc rester en place jusqu’en 2026. Ils savent qu’ils sont discrédités et que de nouvelles élections se passeront mal pour eux. Une partie du pouvoir exécutif est également favorable à cette idée. Dans le cas de Perú Libre (PL), lier l’avancement des élections à un vote pour une Assemblée Constituante, comme il l’a fait, est fondamentalement une tactique paralysante qui n’aide pas à résoudre quoi que ce soit. Mon impression est que c’est un prétexte pour rester en place. Or, maintenant, le facteur le plus important réside dans la tenue d’élections anticipées. Non pas parce qu’il s’agit d’une sortie de crise, mais parce que cette anticipation permettra d’apaiser les tensions. Les seuls groupes qui souhaitent des élections anticipées sont le CD-JP de gauche, qui dispose d’une petite fraction parlementaire et qui cherche à répondre aux revendications populaires et à se justifier après l’échec de son alliance avec Pedro Castillo. S’y adjoint le «Fujimorismo» parce qu’il pense qu’il a maintenant la force d’atteindre le second tour lors d’élections anticipées car il est en meilleure position que les autres partis de droite. Efin, il y a le Parto Morado (violet) (du centre) qui a deux élues.»

Réponse absurde

Concernant l’ampleur des protestations et la direction qu’elles pourraient prendre, l’analyste (Juan de la Puente) a souligné que «la décision du Parlement de ne pas avancer les élections révolte beaucoup de gens». Il a souligné que, par leur intensité et leur durée, ces manifestations sont les plus importantes depuis au moins 20 ans. «J’ai l’impression que cette revendication, étant politique et la réponse de l’Etat étant si absurde, va conduire à un cycle intermittent de violence, qui pourrait descendre, monter, descendre. Plutôt qu’une spirale de violence, j’imagine une sorte de montagnes russes.»

Juan de la Puente estime que le Congrès peut encore faire marche arrière et rouvrir le débat sur une élection anticipée. «Ces dernières années, la volonté politique du Parlement a été influencée par la pression populaire. Si l’intensité de la pression est très forte, le Congrès pourrait faire marche arrière». Si cela ne se produit pas, il a déclaré qu’il n’est pas viable que le régime actuel se poursuive jusqu’en 2026. «Ni le Congrès ni le gouvernement ne sont viables sans une élection anticipée. La seule alternative du système est d’entrer dans une transition électorale». (Article publié dans le quotidien argentin Pagina/12 le 5 février 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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