Nicaragua. Répression et négociation

Par Oscar René Vargas

Avec la répression généralisée de ces dernières semaines, ce à quoi vise le régime Daniel Ortega-Rosario Murillo consiste à créer un climat de terreur afin d’empêcher que tout candidat à la présidence puisse accroître ses chances de le battre et, en même temps, sous l’effet de la terreur, à susciter une passivité parmi la population.

La répression généralisée, avec un nombre accru d’arrestations arbitraires, vise aussi à engager une négociation étant donné la crainte d’une augmentation potentielle des sanctions internationale suite à l’approbation de la Ley de Reforzamiento de la Adherencia de Nicaragua a las Condiciones para la Reforma Electoral, dite Loi Renacer.

L’objectif de la Loi Renacer est d’imposer des sanctions spécifiques si le dictateur Ortega n’adopte pas des règles adéquates pour des élections «libres, équitables, transparentes et observées», et s’il refuse de rétablir les libertés citoyennes et de respecter les droits humains du peuple nicaraguayen.

Un aspect essentiel de cette loi est qu’elle exige des rapports classifiés portant sur la corruption de la famille Ortega-Murillo et de ses proches collaborateurs. En outre, elle augmente et durcit les sanctions contre des responsables du régime, notamment les membres de haut rang de l’armée, de la police et du Conseil électoral suprême [1].

Dans une possible négociation, Ortega-Murillo tentera de gagner du temps, de concéder le minimum afin de conserver le pouvoir et d’obtenir l’élimination des sanctions internationales qui touchent, individuellement, sa famille et le cercle restreint du pouvoir. Cela en échange de quelques concessions, en obtenant l’impunité et la confirmation de parts de pouvoir.

La répression a atteint de tels extrêmes, avec des accusations frauduleuses [2], qu’il semble que le gouvernement doive procéder à une dédramatisation de la situation politique, en la réduisant à son expression minimale. Soyons sceptiques, comme le bon sens le conseille, la négociation ne va pas constituer une menace pour la dictature Ortega-Murillo. En outre, la négociation ne semble pas pouvoir faire grand-chose pour apporter une improbable solution aux constituants effectifs du différend sociopolitique.

Jusqu’à présent, les sanctions se sont révélées futiles et inoffensives, car elles n’ont eu aucun effet pratique sur le système politique de la dictature et ne menacent pas non plus de détruire le pouvoir hégémonique du dictateur. Elles ont cependant isolé davantage la dictature.

Nous sommes face à une nouvelle application fallacieuse de la thèse des prétendus effets pervers de la politique d’«apaisement». Elle a permis à Ortega de survivre à la crise d’avril 2018, d’exercer sa politique du fait accompli, de construire le système dictatorial et de rester au pouvoir.

Si les partisans de sanctions accrues se trompent en croyant qu’avec plus de sanctions le régime tombera, les partisans de la négociation font preuve de naïveté en croyant que la levée des sanctions peut ouvrir une voie de sortie du bourbier sociopolitique actuel et nous conduire à la démocratie.

D’autres pensent que les négociations peuvent initier un cercle vertueux de concessions mutuelles; cependant rien ne l’indique, car cela nécessiterait un pacte préalable d’engagement réciproque, dans le style «sanctions à cause de tous les prisonniers politiques et plus de démocratie». Il faudrait qu’Ortega-Murillo s’engage au moins à respecter l’Etat de droit, condition sans laquelle il n’y a pas de démocratie et pas de sortie possible de la crise actuelle.

La stratégie des éventuels médiateurs (Mexique et Argentine) est d’obtenir l’«apaisement» de la répression par la dictature en échange de la levée des sanctions et que la dictature s’engage à accorder les libertés politiques, le respect des droits de l’homme. Autrement dit la levée des sanctions en échange de l’«Etat de droit» (rule of law). Sans ce minimalisme démocratique (sanctions pour tous les prisonniers politiques et plus de démocratie), il ne pourra jamais y avoir de véritable négociation avec la dictature.

Dans une éventuelle négociation, Ortega pourrait accorder quelques concessions et se voir accorder du temps; puis, finalement, ne pas respecter ce qui a été convenu. C’est son modus operandi: il frappe, il réprime, pousse les choses à bout et se déclare ensuite prêt à négocier. C’est une tactique pour gagner du temps: serrer puis desserrer la corde et négocier, ce qui lui permet de rester au pouvoir. Il faut avoir en tête le non-respect de ses engagements de 2018 jusqu’à ce jour, pour saisir quelle est sa stratégie: «Signer ne me fera jamais respecter ma signature.» (Article paru sur le site 100% Noticias en date du 17 juin 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Ce projet de loi bipartisane sera débattu au Sénat des Etats-Unis le 22 juin 2021. La Loi Renacer précise que sont concernées «les personnes qui font directement ou indirectement obstacle à la mise en place des conditions nécessaires à la tenue d’élections libres, équitables et transparentes et observées au Nicaragua». Elle énumère les détenteurs de fonctions du régime Ortega-Murillo qui peuvent être visés: «[… ] les personnes potentiellement sanctionnées comprennent des responsables gouvernementaux et des membres de la famille Ortega, des membres de la police nationale, de l’armée nationale et du Conseil suprême électoral (CSE)», ainsi que «les membres du parti et les élus du Front sandiniste de libération nationale et les membres de leur famille». (Réd.)

[2] Début juin 2021, en moins d’une semaine, ont été arrêtés, sous diverses inculpations fantaisistes, trois candidats aux élections présidentielles de novembre: Cristiana Chamorro, Arturo Cruz et Félix Maradiaga Blandon. En fin de la seconde semaine de juin, la police a arrêté six dirigeants du mouvement d’opposition Unamos – anciennement connu sous le nom de Mouvement sandiniste de rénovation (MRS) – dont Victor Hugo Tinoco (négociateur du processus de paix durant le premier gouvernement sandiniste) et des anciens guérilleros sandinistes de relief comme Dora María Téllez et Hugo Torres, ainsi que trois dirigeantes d’Unamos. La police a indiqué qu’ils faisaient l’objet d’une enquête pour avoir prétendument «mené des actes portant atteinte à l’indépendance, à la souveraineté et à l’autodétermination, pour avoir incité à l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures et appelé à des interventions militaires»! Ils sont également accusés de «s’organiser grâce au financement de puissances étrangères afin de mener des actes de terrorisme et de déstabilisation, de proposer et de gérer des sanctions économiques et commerciales et des opérations financières contre le pays et ses institutions»!

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