Nicaragua. «Les déclarations d’Humberto Ortega: bis repetita»

Par Oscar René Vargas

Les déclarations d’Humberto Ortega [1] sur CNN en langue espagnole, le dimanche 19 février, nous donnent une idée de la stratégie que le régime Ortega-Murillo entend développer. Ce qu’Humberto Ortega a déclaré dans l’entretien avec Andrés Oppenheimer est très similaire à la stratégie mise en œuvre à partir du Pacte de mars 2019.

Le Pacte de mars 2019 entre le régime, l’élite économique et les dirigeants politiques de l’époque a été soutenu et approuvé par les Etats-Unis, l’OEA (Organisation des Etats américains), l’Union européenne, le Vatican, la Conférence épiscopale du Nicaragua (CEN) et d’autres forces internes et externes.

Le Pacte consistait en la promesse du régime de libérer tous les prisonniers politiques en juin 2019 (tous n’ont pas été libérés), de tenir des élections libres et transparentes en novembre 2021 (ce qui n’a pas été fait) et probablement l’engagement de la Conférence épiscopale nicaraguayenne d’accepter l’expulsion de Monseigneur Silvio Báez [2], ainsi que de mettre en œuvre une politique d’apaisement social visant à freiner les mobilisations politiques et sociales afin que le processus électoral soit effectué dans une atmosphère de faibles tensions politiques.

Toutefois, le régime n’a jamais réduit sa politique répressive contre l’exercice des libertés fondamentales. Par conséquent, le régime a avant tout gagné du temps et est parvenu à réduire les mobilisations sociales. Il a de même récupéré l’initiative politique interne qu’il avait perdue en avril 2018, ce qui a permis de limiter les sanctions internationales à une rhétorique sans effets politiques et économiques réels.

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Aujourd’hui, Humberto Ortega propose des élections en 2026, ce qui permettrait au régime: de légitimer les élections frauduleuses de 2021 et 2022; de retrouver une certaine crédibilité internationale; de neutraliser le discrédit politique interne et de gagner du temps pour rester au pouvoir jusqu’en 2026. De son côté, l’opposition se voit promettre des élections libres dans trois ans. Le pacte de 2019 a permis à Ortega-Murillo de gagner du temps pour atteindre 2021. Désormais, l’objectif consiste à atteindre 2026 pour finir de créer les conditions de la succession dynastique.

En 2019, l’objectif était de neutraliser les mouvements sociaux qui ont émergé en 2018 grâce à la promesse que les milieux d’affaires ne soutiendraient pas financièrement les protestations sociales. Maintenant, le pacte proposé par Humberto Ortega vise à contrecarrer le processus d’implosion sociale interne que connaissent les institutions du pays, le clan Ortega-Murillo et le délitement qui s’exprime également au sein de la population favorable au gouvernement. Une dynamique qui s’est manifestée à partir de novembre 2022 [élections municipales du 6 novembre] et qui va se développer dans les prochains mois en raison de la détérioration de la situation économique, du chômage élevé, des bas salaires, des pertes accentuées de pouvoir d’achat, de la malnutrition et de la dégradation sanitaire, des migrations accélérées [3], de la corruption généralisée au sein du gouvernement. Tout cela se traduit par un rejet de vastes secteurs de la population qui s’exprime dans les enquêtes d’opinion. Un rejet qui a augmenté en raison de la persécution des prêtres, de la condamnation à 26 ans de prison de l’évêque Rolando Álvarez ainsi que de la répression des fidèles des paroisses catholiques.

Humberto Ortega admet que l’emprisonnement de Monseigneur Álvarez est une action qui doit être amendée car elle ne convient pas au régime. Selon ses propres termes, cette condamnation est un caillou dans la chaussure de Daniel Ortega. Cela en raison des répercussions négatives nationales et internationales, puisque le pape François, les conférences épiscopales d’Amérique latine et les gouvernements d’Espagne, du Chili, de Colombie et d’autres pays l’ont condamnée et ont demandé qu’elle soit corrigée. Toutefois, Humberto Ortega s’est abstenu de signaler que le régime maintient la persécution de l’Eglise catholique dans toutes ses expressions: processions religieuses, prêtres harcelés, églises occupées, etc. En outre, il ne mentionne pas «l’exil forcé», le bannissement et la privation de citoyenneté [statut d’apatride] des prisonniers et prisonnières de conscience libérés [voir à ce sujet le dossier publié sur ce site le 10 février 2023].

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Quelles sont les chances que la proposition d’Humberto Ortega devienne l’axe de la politique nationale à court terme? Très peu si l’on tient compte du contexte présent. Les conditions sociales sont beaucoup plus aiguës qu’en 2019. Dans le même temps, la population a fait l’expérience que ses conditions ne se sont pas améliorées ces quatre dernières années, ce qui explique une migration massive. En outre, la répression et la répression religieuse restent généralisées.

Dans le même temps, des fissures commencent à apparaître au sein du parti dynastique d’Ortega et à s’accentuent. Au plan économique, la tendance est à la stagnation en raison du manque d’investissements nationaux et étrangers, y compris les répercussions négatives de la guerre en Ukraine, qui a rendu les intrants agricoles plus chers. Tous ces éléments tendent à accélérer le processus d’implosion interne du régime, ce qu’Humberto Ortega cherche à contrecarrer avec sa proposition d’élections avec comme échéance 2026. (Article reçu le 22 février 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1]  Humberto Ortega (1947), frère de Daniel Ortega (1945), fut ministre de la Défense de juin 1979 à avril 1990. Suite à la défaite électorale du FSLN le 25 février 1990, face à la candidate Violetta Barrios de Chamorro, Humberto Ortega organisa la réduction des rangs de l’armée et sa transformation en Armée du Nicaragua, officiellement selon des critères constitutionnels. (Réd.)

[2] Monseigneur Silvio Báez critiquait ouvertement la violente répression du gouvernement Ortega en 2018. En octobre 2018, Ortega accusa Silvio Báez de planifier un coup d’Etat. Une opération de falsification des services d’Ortega devait «prouver» ces prétendues intentions. Tout s’écroula suite à une enquête journalistique. L’évêque a indiqué que Laura Farnsworth Dogu, l’ambassadrice des Etats-Unis au Nicaragua, lui avait dit en 2018 qu’il était la cible d’un complot d’assassinat. Il a dès lors déménagé à Miami. Or, le 4 avril 2019, Báez fut reçu par le pontife à Rome. Et le 10 du même mois, Báez a annoncé que le pape François lui avait demandé de déménager à Rome pour une durée indéterminée. (Réd.)

[3] Nick Miroff, dans un article du Washington Post du 21 février, souligne l’intérêt politique de l’administration Biden à faire obstacle à l’afflux de migrant·e·s de l’Amérique centrale, en citant explicitement le Nicaragua, auquel s’ajoutent Cuba et le Venezuela. (Réd.)

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