Par Sergio Ramírez
Des procès ont lieu à Managua, capitale du Nicaragua, pour condamner les prisonniers politiques, emprisonnés depuis mai 2021, lorsque le régime a voulu éliminer tout risque contre la fraude électorale qu’il était déjà en train de mettre en place. Une fraude qui a abouti à la quatrième réélection de Daniel Ortega en novembre 2021.
Les procès de Managua rappellent à bien des égards les procès de Moscou, qui ont eu lieu entre 1936 et 1938 contre des personnalités politiques de premier plan qui représentaient une menace quelconque pour le pouvoir de Staline; des procès qui ont également servi à imposer la terreur à ceux qui nourrissaient de «mauvaises pensées» et voulaient d’une certaine manière se rebeller. Mieux vaut le silence qu’un tir dans la nuque [ce qui n’a pas empêché les deux – Réd.].
Les procès sont similaires en termes de catalogue sinistre de crimes. Le célèbre article 58 du code pénal de Staline a été conçu pour éliminer les adversaires, les dissidents et les ennemis potentiels et les mettre hors jeu. Voici le catalogue: trahison de la patrie, trahison de la révolution, atteinte à la souveraineté nationale, collaboration avec les puissances étrangères; un article qui a d’ailleurs été révisé selon les besoins de la répression.
Des crimes similaires sont contenus dans les lois qui ont été adoptées au Nicaragua expressément avant le début des rafles visant les prisonniers; seulement maintenant, en plus de la «trahison» et de «l’atteinte à la souveraineté», ces lois incluent les cybercrimes, et punissent les chats (sur le Net) contenant des mots offensants contre la famille régnante [Ortega-Murillo] et même des mèmes, [éléments repris sur le Net], sans parler de la diffusion de nouvelles «qui encouragent la haine et la dissidence sociale».
Lors des procès de Moscou, les prisonniers ont comparu devant le tribunal le moral brisé par de longues séances de torture, la lumière toujours allumée dans leurs cellules, constamment sortis à minuit pour être interrogés. Dans les procès de Managua, il y a des prisonniers qui, après des mois sans voir la lumière du soleil et sans savoir s’il fait jour ou nuit, ont commencé à perdre la mémoire et à oublier le nom de leurs enfants. D’autres perdent leurs dents ou sont devenus des squelettes parce qu’ils ont perdu beaucoup de poids. Ils sont également emmenés à toute heure du matin pour être interrogés et on leur pose toujours les mêmes questions.
Mais ils n’ont pas réussi à en briser un seul. Ana Margarita Vijil, qui a été empêchée de s’exprimer pendant le procès, n’a eu le droit que d’apposer sa signature au bas du dossier de condamnation. Et sous sa signature, elle a écrit: «Prisonnière politique». Elle a été condamnée à dix ans de prison pour «conspiration visant à porter atteinte à l’intégrité nationale».
Alors que les procès de Moscou se sont déroulés dans une salle dorée et drapée de la Cour suprême, les procès de Managua se déroulent en secret, à l’intérieur de la prison elle-même, sans accès à la presse. Les condamnés n’ont pas le droit de s’exprimer, et leurs avocats n’ont que peu ou pas d’occasions de le faire.
Mais dans les deux cas, les peines ont été prononcées à l’avance. Les juges et les procureurs ne sont que des figurants dans une mise en scène. Aors que les procès de Moscou pouvaient durer des semaines, avec un défilé de témoins et des aveux publics de l’accusé, les procès de Managua ne durent pas plus de deux ou trois heures. Il n’y a pas d’autres témoins que la police elle-même. Ce ne sont pas les juges qui décident des peines. C’est déjà décidé au-dessus de leurs têtes.
Les prisonniers et prisonnières souffrant de maladies graves, ou les personnes âgées, qui sont nombreuses, ne sont pas non plus épargnés par les rigueurs du régime carcéral, qui comporte beaucoup de cruauté haineuse. Le Comandante Hugo Torres, héros de la guérilla contre Somoza, vient de mourir à l’âge de 73 ans, victime d’une maladie incurable à laquelle ses geôliers n’ont guère prêté attention [voir sur ce site le communiqué, publié le 16 février, à propos de la mort d’Hugo Torres]. Même dans la mort, les réseaux pro-gouvernementaux continuent de le traiter de traître. En décembre 1974, il avait fait partie du commando armé qui s’était emparé de la maison d’un haut fonctionnaire de Somoza à Managua alors qu’une fête y était organisée. Le commando avait réussi à échanger les invités contre les prisonniers politiques, qui avaient pu s’envoler pour Cuba, parmi lesquels se trouvait Daniel Ortega. Triste et terrible! Après avoir libéré Daniel Ortega de la prison, voilà que Hugo Torres est mort dans une prison d’Ortega.
Au moment même où se déroulent les procès de Managua, des dizaines d’organisations non gouvernementales sont mises hors la loi, y compris des universités privées qui sont privées de leurs installations, et des milliers d’étudiants sont laissés à la dérive. Des universités obéissantes, ou rien!
Lorsque les procès de Moscou ont eu lieu, il y avait relativement peu d’écho dans le monde de ces montages barbares [encensés certes dans la presse des PC, entre autres – Réd.]. L’opinion publique et les journaux avaient alors d’autres sujets de préoccupation: la menace du nazisme, le siège de Madrid.
Aujourd’hui encore, alors que se déroulent les procès de Managua, le monde a d’autres chats à fouetter: le déni impassible de Vladimir Poutine, qui nie vouloir envahir l’Ukraine, et l’insistance du président Joe Biden sur l’imminence de l’invasion.
Pendant ce temps, on n’entend pas les coups portés par les cohortes d’Ortega déguisées en juges, qui martèlent sentence après sentence entre les murs de la prison transformée en salle d’audience. Personne ne les entend. (Article publié dans El País, le 15 février 2022, diffusé par Correspondencia de Prensa; traduction A l’Encontre)
Sergio Ramírez, écrivain et lauréat du prix Miguel de Cervantes (2013), a été vice-président du Nicaragua de 1984 à 1990 dans le gouvernement sandiniste dirigé par Daniel Ortega. Il est actuellement en exil en Espagne. (Rédaction)
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SOS Nicaragua France