Nicaragua. La stratégie d’Ortega-Murillo et la mise en détention domiciliaire de Cristiana Chamorro

Par Oscar René Vargas

1.- Depuis 2007, le régime Ortega-Murillo, le grand capital et les militaires agissent de concert, conjointement à des opérations financières et immobilières. A ce jour, persiste une alliance militaro-policière avec la dictature. Face aux élections de novembre 2021, le problème central d’Ortega consiste à garantir la continuité de l’orteguisme avec ou sans Ortega.

2.- L’orteguisme est l’expression d’un phénomène plus large de dégradation politique. Ce phénomène cherche à se maintenir sur la base d’une violence ouverte, d’un modèle de dépossession des propriétés communales, de la violation des droits de l’homme, de la déshumanisation de l’adversaire politique, ainsi que du mépris des conséquences dramatiques de la destruction de l’environnement.

3.– L’orteguisme a satisfait tous les désirs des classes dirigeantes (l’ancienne et la nouvelle oligarchie). Avec une rhétorique néolibérale complètement déplacée, il maintient un modèle régressif d’exploitation des salarié·e·s et d’extractivisme, soutenu par la recherche de gains par l’ancienne oligarchie et la grande bourgeoisie terrienne traditionnelle.

4.- Ce qui se passe actuellement au Nicaragua est un scénario qui était usuel pendant la dictature de Somoza (1936-1979). Il n’y a pas de liberté d’expression, pas de respect des lois, pas de respect des droits de l’homme, pas de possibilité d’élire librement les gouvernants. Etre en dissidence implique un grand risque face à un régime qui ne tolère pas la critique et donc «penser et exprimer une opinion est un crime».

5.- Lorsque le pouvoir autoritaire d’Ortega-Murillo pense que ses intérêts à rester au pouvoir pourraient être affectés, le pouvoir commence à se déchaîner. Il suffit que vous lui fassiez peur. Même si vous ne pouvez pas le blesser. Si, en plus, vous abîmez ses fortifications, comptez sur le binôme Ortega-Murillo pour sortir tous leurs canons, légaux et illégaux.

6.- Au Nicaragua, les droits constitutionnels n’existent plus; il n’y a pas de loi pour protéger les citoyens et les citoyennes; il n’y a pas de système judiciaire vers lequel se tourner; il n’y a pas de légalité et aucune possibilité d’élections libres et transparentes. Tous les Nicaraguayens sont menacés par le régime, avec des droits confisqués et sous un état de siège permanent. Le pays est devenu une immense prison.

7.- La dictature n’a pas pu relever effectivement la tête depuis les manifestations populaires d’avril 2018, aucune des cinq crises n’a été résolue (économique, sociale, politique, sanitaire et internationale). Elle tente de s’en sortir en s’enfonçant, terrifiée par l’éventualité d’une défaite aux élections.

8.- Eliminer les opposant·e·s des élections est la nouvelle modalité répressive de la dictature Ortega-Murillo. Depuis novembre 2020, le régime a approuvé une série de lois punitives afin d’empêcher toute candidature critique qui pourrait le battre aux élections de novembre 2021.

9.- L’assignation à résidence et le dossier ouvert pour le crime présumé de blanchiment d’argent contre Cristiana Chamorro [fille de Pedro Joaquin Chamorro assassiné par Somoza en 1978 et de Violetta Barrios de Chamorro, présidente de 1990 à janvier 1997] font partie de la stratégie visant à empêcher toute candidature de l’opposition. Le régime veut «nettoyer» le scrutin électoral en éliminant les opposants ainsi que le journalisme indépendant, car il veut rester au pouvoir à tout prix.

10.- Selon la stratégie du régime Ortega-Murillo – qui est mise en œuvre jusqu’à aujourd’hui – après la mise à l’écart de Cristiana Chamorro, la candidate ayant le plus de sympathie selon les sondages, des mesures identiques s’appliqueront à autres candidats: Arturo Cruz, Felix Maradiaga, Medardo Mairena, Juan Sebastian Chamorro et d’autres, si nécessaire, de peur que la population ne vote, en novembre, massivement contre la dictature.

11.- Le régime a adopté un ensemble de lois pénales en vue du processus électoral qui, de facto, étayent un «état de siège». La loi sur l’emprisonnement à vie, la loi sur les cybercrimes, la loi sur les agents étrangers et la loi sur la défense des droits du peuple à l’indépendance, à la souveraineté et à l’autodétermination pour la paix, constituent un cocktail législatif qui permet la répression de tout opposant et celle de la constitution d’une alternative unitaire de l’opposition.

12.- Cependant, de nombreux membres de «l’élite» économique et de la droite politique, réunis au sein du parti Citoyens pour la liberté (CxL), affirment que leur objectif premier est de supprimer la dictature par le biais d’une «cohabitation» afin d’éviter tout débordement sociopolitique. En d’autres termes, ils sont en faveur d’un «Orteguisme sans Ortega».

13.- D’autres membres de «l’élite» sont sceptiques et ne croient pas que la dictature reconnaîtra une défaite électorale et renoncera à la présidence, même si sont offertes des garanties à la famille Ortega-Murillo et à ses biens. Par conséquent, ils veulent seulement participer aux élections pour obtenir quelques sièges dans la prochaine Assemblée nationale, légitimant ainsi le régime aux yeux de la communauté internationale. Ce serait l’alternative de «l’orteguisme avec Ortega»; elle est la plus souhaitée par des pouvoirs économiques et politiques en place.

14.-Dans les deux scénarios mentionnés, après l’élection de novembre 2021, la sécurité physique de l’opposition ne serait pas garantie. Dans le contexte d’une élection acceptée et légitimée par les «partis soumis» [«partis moustiques», comme Citoyens pour la liberté, CxL] et avalisée par la communauté internationale, le binôme Ortega-Murillo aurait les mains libres pour faire disparaître des personnes ou les éliminer, par le biais d’escadrons de la mort, formés par des paramilitaires.

15.- Le problème avec les grands hommes d’affaires, surtout les banquiers, c’est qu’ils n’ont de préoccupations que pour l’argent et les profits. Ils ne se soucient pas de la détérioration des conditions de vie du peuple; ils ne voient pas au-delà de leurs intérêts, et de ce point de vue, Ortega est fonctionnel pour eux; ils parient que tout est «normalisé» si le parti CxL accepte de participer à la farce électorale d’Ortega.

16.- Nous ne devons pas perdre de vue qu’il existe des secteurs politiques, économiques et militaires qui pensent pouvoir encore maintenir une coexistence avec la dictature, à travers les modèles fondés sur l’«Orteguisme avec ou sans Ortega», modèles qui leur permettent de maintenir leurs quotas de pouvoir.

17.- La direction politique de CxL et les grands capitalistes ont cette intention. Toutefois, leurs bases sont partisanes d’une autre logique, c’est-à-dire qu’elles sont au même diapason que la majorité de la population qui souhaite un réel changement: c’est-à-dire le départ d’Ortega-Murillo du pouvoir.

18.- La peur de perdre le pouvoir a poussé la dictature à commettre des erreurs tactiques et stratégiques, ce qui a permis à la population de visualiser la fragilité du régime en raison de son isolement international croissant et de son incapacité à résoudre l’une des cinq crises.

19.- Ce qu’il faut, c’est profiter de cette conjoncture pour articuler l’unité politique des résistants à la dictature et avancer dans le travail d’organisation qui nous permettra d’être prêts lorsque les crises s’aggraveront encore plus en raison de la pression internationale et/ou de la deuxième vague de protestation sociale qui s’annonce, ou d’une combinaison des deux facteurs. Il doit être clair que la pression internationale ne suffira pas à provoquer la chute de la dictature.

20.- Le régime Ortega-Murillo est faible mais pas vaincu. Sa force réside dans le soutien des forces armées (armée et police), des paramilitaires, dans l’affaiblissement des bases des partis, dans les oscillations du grand capital et dans l’absence d’une dynamique de contre-pouvoir qui pourrait mettre en échec la dictature. (Article reçu le 7 juin 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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