Brésil. Une politique budgétaire et fiscale répondant plus aux intérêts du capital qu’aux besoins de la population paupérisée

Haddad, Alckmin, Lula

Par Plínio de Arruda Sampaio Junior

L’administration Lula/Alckmin a présenté au Congrès national le projet de loi budgétaire destiné à remplacer le fameux Plafond aux dépenses publiques [imposé dès 2016 sous la présidence de Michel Temer, qui accède à la présidence après le renversement de Dilma Rousseff en août 2016]. Au-delà des détails techniques de ses mécanismes opérationnels et de ses paramètres institutionnels, dont la version définitive subira encore des altérations, l’esprit de la politique budgétaire proposée est sans équivoque. Il ne s’agit pas de modifier le contenu de l’amendement constitutionnel n° 95 [gel des dépenses sociales], dont l’essence était de promouvoir une réduction draconienne de la présence de l’Etat dans l’économie. Il s’agit seulement d’introduire des changements dans la manière d’atteindre cet objectif.

Par rapport au plafond de dépenses sommaire [Teto de Gastos] de Henrique Meirelles [ancien président de la banque centrale de 2003 à 2011, puis ministre des Finances sous Temer 2016-2018 et secrétaire des Finances de l’Etat de São Paulo de 2019 au 1er avril 2022], dont la viabilité pratique s’est avérée insoutenable, le cadre budgétaire de Fernando Haddad [membre du PT, ministre de l’Economie et des Finances depuis janvier 2023] est beaucoup plus intelligent et prudent. Il s’agit d’un plafond de dépenses 2.0. L’idée est de subordonner le rythme et l’intensité des restrictions concernant les dépenses du secteur public à l’évolution de la situation économique nationale – donc une manière plus flexible et réaliste de poursuivre l’objectif de l’Etat minimal.

L’espoir que la défaite de Jair Bolsonaro puisse représenter la fin de l’étranglement exécrable des dépenses publiques a à peine duré trois mois. Mêmes politiques, mêmes effets. Le nouveau cadre budgétaire perpétue l’état permanent de pénurie qui bloque la capacité de dépense du gouvernement fédéral. Au lieu de répondre aux besoins de la population et à l’intérêt national, l’évolution des politiques sociales et des investissements publics continuera à être entravée. Elles ne peuvent excéder en rien l’augmentation des recettes fiscales et sont institutionnellement liées au respect des objectifs d’excédent primaire – c’est-à-dire les ressources budgétaires consacrées au paiement d’une partie des charges d’intérêt de la dette publique [qui constituent une source assurée de revenus pour les placements financiers des riches].

Pendant la campagne électorale, Lula a promis de reprendre les politiques sociales de ses deux premiers mandats. Il est ironique de constater que si la législation budgétaire proposée avait été alors appliquée, ses réalisations passées auraient été beaucoup plus modestes. Une simulation montre que l’application des nouvelles règles pour la période 2011-2022 aurait impliqué une réduction de 775,3 milliards de reais des dépenses fédérales – une réduction de 64 milliards de reais par an, soit une diminution de 40% du taux de croissance réel effectivement observé [1]. Si l’on faisait le même calcul pour les années 2003-2010 [Lula prend est président de janvier 2003 à janvier 2011], période du cycle de croissance tiré par le boom des matières premières qui a conditionné le «néo-développement» de Lula, la contraction des dépenses primaires de l’Union serait encore plus sévère et la politique de récupération du pouvoir d’achat du salaire minimum, l’un des principaux thèmes de son gouvernement, n’aurait tout simplement pas pu se concrétiser.

La politique économique de l’administration Lula/Alckmin, dont le cadre budgétaire constitue la pièce maîtresse, ne s’attaque à aucune des causes responsables de la fragilité budgétaire chronique de l’Etat brésilien. La continuité du modèle d’accumulation libéral-périphérique, dont l’architecture stratégique repose sur des objectifs inflationnistes, perpétue la stagnation de la croissance et la désindustrialisation de l’économie. La complaisance de la réforme budgétaire avec le grand capital et la ploutocratie bloque toute possibilité d’augmenter significativement la charge fiscale [impôts] et de corriger les injustices fiscales séculaires. Enfin, l’absence de toute mesure visant à limiter les charges financières résultant du paiement des intérêts de la dette publique et des coûts de la politique monétaire et de change [real-dollar] qui soutiennent la course aux profits –principal poste de dépenses du gouvernement fédéral – interdit inéluctablement toute possibilité de donner une place dans le budget public aux besoins et exigences des pauvres. La saignée que représentent ces dépenses [charges financières citées ci-dessus] devient évidente quand on sait que leur montant équivaut depuis des décennies à plus de trois fois les dépenses cumulées du gouvernement central en matière de santé et d’éducation [2].

Elaboré sans consulter les syndicats, en ignorant les mouvements sociaux et en négligeant l’importance d’ouvrir un débat public sur l’orientation générale de la politique économique, le cadre budgétaire des technocrates de Fernando Haddad est un musée de vieilleries. Il s’agit d’un stratagème pour rafistoler le malheureux amendement constitutionnel n° 95. La bonne volonté du ministre de l’Economie et la plus grande sophistication technique de la loi proposée camouflent à peine l’objectif stratégique de subordonner la politique budgétaire à l’intention de faire de la place à la marchandisation des services sociaux et de garantir la viabilité intertemporelle du ratio dette publique/PIB: des critères sacro-saints qui président au régime d’austérité budgétaire inauguré avec Joaquim Levy dans le gouvernement de Dilma Rousseff [ministre des Finances de Janvier à décembre 2015] et porté à son paroxysme après l’arrivée frauduleuse de Michel Temer au Planalto [Palais de la présidence].

Par manque absolu de courage face aux intérêts économiques et sociaux qui profitent de la misère des travailleurs et travailleuses ainsi que de la désintégration de l’Etat national, le gouvernement Lula/Alckmin marche rapidement vers la répétition de la tromperie électorale [au sens de promesses électorales] de Dilma Rousseff, qui a ouvert la boîte de Pandore qui alimente les hordes réactionnaires qui luttent pour transformer la restauration néocoloniale en raison d’Etat [repositionnement dépendantiste du Brésil dans le cadre de la mondialisation capitaliste, thème développé entre autres par Plínio de Arruda Sampaio Jr.].

En cherchant à concilier l’inconciliable, Lula a été victime de ses propres manœuvres. Loin de pouvoir surmonter la grave crise de civilisation qui menace la société brésilienne, son gouvernement a été condamné à jouer le triste rôle de consolider l’offensive du capital contre le travail, de légitimer et d’institutionnaliser les coups portés au contenu démocratique et républicain que la lutte populaire a imprimé à la Constitution de 1988. (Article publié sur le site Contrapoder, le 18 avril 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Plínio de Arruda Sampaio Junior est professeur retraité de l’Institut d’économie de l’Unicamp. Auteur du livre Crônica de uma Crise Anunciada : críticas à economia política de Lula e Dilma, ? SG-Amarante Editorial; 1ª edição (25 agosto 2017).

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[1] Voir l’article «Nova regra fiscal teria economizado R$ 64 bi ao ano, estimam analistas», in https://www1.folha.uol.com.br/mercado/2023/04/nova-regra-fiscal-teria-economizado-r-64-bi-ao-ano-estimam-analistas.shtml

[2] Sur l’importance des dépenses financières dans le budget du gouvernement fédéral, voir l’intéressant travail de Luís Carlos G. de Magalhães et Carla Rodrigues Costa, «Arranjos institucionais, custo da dívida pública e equilíbrio fiscal: a despesa ‘ausente’ e os limites do ajuste estrutural», in: IPEA, Texto para Discussão, Nº 2403, Rio de Janeiro, agosto de 2018. https://repositorio.ipea.gov.br/bitstream/11058/8594/2/TD_2403_sumex.pdf

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