Brésil. Dix notes sur les élections municipales de 2020

Par Valério Arcary

1.- Jair Bolsonaro n’a pas pu mobiliser l’Alliance pour le Brésil [parti lancé par lui en novembre 2019, suite à son départ du Parti social-libéral] lors des élections municipales. Dès lors, ses partisans ont utilisé plusieurs partis de substitution. Bolsonaro ne s’est manifesté que dans la dernière ligne droite et il est sorti affaibli des élections municipales. Il n’a pas été écrasé, mais il a été blessé. Même avec le renforcement du Centrão associé au gouvernement – Centrão qui, lui, a connu une croissance moyenne de 30%, il n’a gagné aucune grande ville. Les élections ont confirmé que, tout au long de cette année, malgré les fluctuations dans le contexte de la pandémie [avec un regain momentané de popularité grâce la distribution d’une aide d’urgence], prévaut une usure lente mais ininterrompue du gouvernement Bolsonaro.

2.- Le bloc libéral de droite PSDB/MDB/DEM a perdu un tiers des voix par rapport à 2016. Le MDB (Mouvement démocratique brésilien) a perdu 4 millions de voix; le PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne) en a perdu 7 millions. Le DEM (Démocrates) en a gagné 3 millions. Mais ce recul du bloc libéral est en partie compensé par des victoires à Salvador (Bahia), Curitiba (Paraná) et Florianopolis (Santa Catarina). Il s’est hissé au second tour à São Paulo [avec la victoire de Bruno Covas – 59,38% – PSDB] et à Rio de Janeiro [avec Eduardo Paes – 64,07% – DEM] En outre, pour les présidentielles de 2022, Bolsonaro va se retrouver en lice face à des potentiels candidats comme João Doria [PSDB, gouverneur de l’Etat de São Paulo], Sergio Moro [ancien ministre de la Justice], Luciano Huck [présentateur vedette de la chaîne de TV Rede Globo, décoré de l’Ordre du mérite militaire], ou encore Alexandre Kalil (PSDB), maire de Belo Horizonte [réélu au 1er tour].

3.- Pour le Parti des travailleurs (PT) le fait capital n’est autre que de n’avoir pas pu participer pour la première fois – cela depuis 1992 – au deuxième tour à São Paulo. Si l’on considère que 2016 a été une année terrible avec la destitution de Dilma Rousseff et que, par la suite, le PT a présenté Fernando Haddad au second tour en 2018 et fut sanctionné par une défaite – avec 44,87% des suffrages –, en examinant la situation actuelle à l’échelle nationale, il a toutefois maintenu des positions, même avec des signes d’une potentielle récupération. Certes, il a été battu à Recife [Marília Arraes a obtenu néanmoins 43,79% face João Campos – PSB – avec 56,21%] et à Vitória [João Coser a réuni 41% des suffrages face à Delegado Pazolini – Republicanos – avec 58%]. Le PT a présenté 15 candidats à la mairie au deuxième tour sur les 57 villes où se déroulait cette bataille électorale. Il s’est imposé dans quatre villes: Contagem (Minais Gerais), Diadema (São Paulo), Juiz de Fora (Minais Gerais) et Mauá (SP). Il reste toutefois sans aucune capitale d’Etat.

Le PCdoB a perdu 40% de ses voix. Il n’a pas élu de conseillers communaux (vereadores) à São Paulo, Rio et Belo Horizonte. Mais, il a réussi à présenter Manuela D’Ávila au second tour des élections à Porto Alegre, un exploit. Le PSOL a connu la plus grande victoire politique et électorale de son histoire, avec un résultat spectaculaire [40,23% des voix] avec Guilherme Boulos dans la ville clé du triangle stratégique du sud-est. Il a assuré la réélection [avec 52% des voix] Edmilson Rodrigues à Belém do Pará. Le PSOL est passé de 53 à 75 conseillers communaux (vereadores), surtout dans les grandes capitales, devenant ainsi la force la plus dynamique de la gauche dans le pays.

4.- Les élections de 2020 n’étaient que des élections locales et cela peut conduire à une erreur de perspective. Les résultats nationaux sont intéressants pour comparer la dynamique de l’évolution au fil des ans. Mais ils introduisent toujours une illusion d’optique. Par exemple, cela se produit lorsque l’on compare le nombre total de maires (prefeitos) de chaque parti qui ont été élus, ou de conseillers communaux cette année, à celui de 2016. En effet, l’angle de vue d’une telle analyse ne prend pas en compte que l’extrême droite a «dévoré», avec Bolsonaro, le bloc PSDB/MDB/DEM.

L’exercice le plus productif est de comparer ces élections avec celles de 2018 [législatives et présidentielles]. Certes, il se trouve que ce sont des élections différentes, dès lors de nombreuses médiations sont nécessaires. Mais le résultat de Guilherme Boulos au deuxième tour à São Paulo ne vaut-il pas à lui seul un nombre important de maires d’un village qui, lui, représente un «lieu» dans l’immensité continentale du pays? Ou bien l’élection d’un conseiller communal à Rio ou à São Paulo vaut-elle combien de conseillers municipaux perdus dans cette immensité du Brésil? Ce sont là des interrogations qui illustrent le problème d’une mise en perspective et de comparaisons en termes électoraux.

5.- Le Brésil est un pays gigantesque. Il faut avoir à l’esprit que le pays compte vingt villes d’un million d’habitants ou bien plus, et près de cent villes de plus de deux cent mille habitants. Il y a deux cents villes de plus de cinquante mille habitants. La capillarité de la représentation politique des partis de la classe dirigeante est incomparablement plus grande que celle de la gauche. Les organisations civiles qui défendent les intérêts du capitalisme sont présentes à l’échelle nationale. La gauche n’est pas présente dans les réseaux commerciaux des radios et des télévisions. Il y a un Brésil profond. Dans ce Brésil profond, les libertés démocratiques sont très limitées. Il est très dangereux d’être de gauche et politiquement actif dans l’immense majorité du Brésil rural.

6.- Si l’on compare 2016 à 2020, et que l’on considère le bolsonarisme comme le noyau dur de la coalition d’extrême droite qui offre un soutien au gouvernement de Bolsonaro (Républicains, PSL, Patriotes, PRTB-Parti rénovateur travailliste brésilien, PSC-Parti social-chrétien), leur nombre de municipalités a doublé, mais il reste très faible, passant de 244 à 467. Par contre, si nous incorporons au bolsonarisme le centrão gouvernemental (PSD/de Gilberto Kassab, PP-Parti progressiste/de Ricardo Barros, PTB-Part travailliste brésilien/Roberto Jefferson, PL-Parti libéral, Avante, Solidariedade/Paulinho da Força et PROS-Parti républicain de l’ordre social), il s’est renforcé: le nombre de maires a passé de 1710 à 2095 maires. Néanmoins, surévaluer cette progression serait une erreur. Car le bolsonarisme en tant que tel est un phénomène qui a surgi et explosé en 2018 et, dès lors, la dislocation du centrão reste donc toujours incertaine. Plus important encore, la défaite à la mairie de São Paulo de Celso Russomano [Parti républicain brésilien, appuyé directement par Jair Bolsonaro] est d’ordre qualitatif: il n’a réuni 10,50% des voix [Celso Russomano s’était déjà présenté en 2012 et 2016, sans succès]. Le bolsonarisme a disputé le deuxième tour, mais sans succès à Rio de Janeiro [Eduardo Paes, DEM gagne avec 64,07% contre le Republicanos Marcelo Crivella, maire sortant: 35,93%], à Fortaleza [José Sarto – PDT – obtient 51,69% des suffrages contre Capitão Wagner – PROS – avec 48,31%], à Belém [où s’est imposé Edmilson Rodrigues face à Federal Eguchi, Patriotas]. Par contre, à Vitória, Delegado Pazolini – Republicanos – a rassemblé 58% des suffrages.

7.- La grande surprise de ces élections a été la présence spectaculaire du ticket Guilherme Boulos/ Luiza Erundina au second tour à São Paulo ainsi que la consolidation du PSOL en tant que parti visant le leadership de la gauche brésilienne, avec le PT. Mais cette conclusion légitime peut alimenter de dangereuses illusions. Le vote pour le PSOL n’a plus le même sens radical que lorsque le PT était au gouvernement. En d’autres termes, il ne permet pas de conclure que s’est produite une expérience de rupture ou même de désillusion irréversible avec le PT.

A São Paulo, le vote pour Boulos/Erundina est plus du double de celui recueilli au premier tour. Et le PSOL gagne 6 conseillers communaux [8 pour le PT], ce qui est spectaculaire. Par conséquent, il faut introduire une nuance dans l’analyse: celui qui a voté PSOL pour le maire aurait pu voter un candidat PT, dans l’hypothèse de candidatures différentes au second tour. Le vote pour Guilherme Boulos n’impliquait pas un vote de prise de distance avec le PT. Il s’agissait d’un vote en faveur de la meilleure candidature pour la résistance contre Bolsonaro. Les électeurs et les électrices ont choisi les candidats qui pouvaient remplir ce rôle. Cela dépend donc beaucoup de l’identité même du candidat. Toutefois, en tenant compte de cette nuance dans l’analyse, il faut constater que le PSOL s’est nettement renforcé. Bien que plus petit que le PT, le PSOL, le parti de Marielle Franco [assassinée le 14 mars 2018 à Rio] et du «Fora Bolsonaro» (Dehors Bolsonaro) a conquis une position de force beaucoup plus grande. Car le PSOL a également convergé avec l’expression politique de leaders féministes, noir·e·s, LGBTI, écologistes et de la jeunesse, en plus des candidatures prolétariennes, conjuguant ainsi les luttes contre les oppressions à celles contre l’exploitation, ce qui implique une robuste dynamique de renouvellement des cadres.

8.- Les conditions de la pandémie ont eu un impact plus faible que prévu sur l’abstention, bien que cela ne soit pas sans importance. Le taux d’abstention au premier tour – 15 novembre – des élections municipales était de 23,14%. C’est-à-dire un taux de participation de plus de 76%. Ce taux est très élevé par rapport à d’autres pays [au Brésil le vote est obligatoire]. Lors des deux précédentes élections municipales, l’abstention au premier tour était de 17,58% en 2016 et de 16,41% en 2012. Lors de la dernière élection, l’élection présidentielle de 2018, l’abstention au premier tour était de 20,33%. Une faible variation quantitative, donc, de moins de 5%. Les gens sont donc allés voter. Seuls 9,66% ont voté nul ou blanc. Mais dans certaines villes, l’abstention était plus élevée, comme à Rio de Janeiro, 32,79%, avec les votes blancs et nuls qui ont totalisé 19,23%, le total est supérieur à 50%. Ce phénomène s’est également produit dans d’autres villes, comme São Paulo, en fonction de la gravité du moment de la pandémie.

9.- Bolsonaro a subi une défaite électorale. L’extrême droite n’a pas dépassé les 10% en moyenne dans les grandes villes, à quelques exceptions près. Mais il est symbolique qu’à São Paulo, Celso Russomano se soit effondré et qu’à Rio de Janeiro, le fils de Bolsonaro, Carlos Bolsonaro, sous l’étiquette Republicanos, ait perdu quelque 35’000 voix (il en a acquis 71’000) par rapport à celle obtenues en 2016 (106’657). Il a dû céder le poste de conseiller communal le mieux élu à Tarcísio Motta du PSOL (86’243 voix). Dans les grandes villes, en comparaison avec 2018, les votes se sont déplacés de l’extrême droite vers les trois partis traditionnels de la classe dirigeante, le DEM, le PSDB et le MDB.

Mais Bolsonaro était un caudillo sans parti et, bien qu’il n’ait pas eu la capacité de construire une organisation, ni même d’obtenir l’hégémonie dans le parti pour lequel il a été élu (PSL), il conserve une influence de masse qui n’est pas petite à l’échelle nationale (en tenant compte de la situation interne du pays), car se situant à environ 30%.

10.- La tentative de cyberattaque contre le système du Tribunal supérieur électoral (TSE) – dénoncée le 16 novembre 2020 par le TSE lui-même – est une surprise inquiétante qu’entourent d’obscures explications. Qui serait intéressé à susciter la méfiance face au système de votes électroniques? Uniquement les secteurs d’extrême droite qui se focalisent sur les théories conspirationnistes pour dénoncer une supposée fraude. Plus important, Jair Bolsonaro s’est associé à la remise en question de la régularité des élections faisant écho à Trump. De ce fait, il donne une indication de ce qu’il pourrait entreprendre en 2022. (Texte envoyé par l’auteur; traduction rédaction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*