Argentine. Les classes populaires engagent une première mobilisation nationale face aux macro-diktats du gouvernement Milei

Par Fabián Kovacic (Buenos Aires)

Lorsque les centaines de milliers de personnes – selon les estimations des organisateurs de la grève – sont arrivées en colonne sur la Plaza de los Dos Congresos (Buenos Aires) mercredi 24 janvier à midi pour protester contre la loi dite Omnibus, les député·e·s pro-gouvernement Milei avaient déjà obtenu, aux premières heures de la matinée, un feu vert pour traiter le projet de méga-décret [intégrant plus de 600 mesures dans tous les secteurs].

Appelée par la CGT (Confederación General del Trabajo de la República Argentina), la Central de Trabajadores de la Argentina (CTA) et l’Unión de Trabajadores de la Economía Popular, et soutenue par des organisations sociales, culturelles et de défense des droits de l’homme, des partis de gauche et le parti péroniste Unión por la Patria (UP), la grève nationale a rassemblé 400 000 personnes dans les rues de la seule ville de Buenos Aires. La mobilisation s’est développée dans toutes les capitales provinciales et a même été soutenue et répercutée par des organisations sociales et syndicales d’autres pays, qui ont manifesté devant les ambassades argentines contre le projet de loi «Omnibus».

La décision majoritaire obtenue aux premières heures de la matinée de mercredi, lors de la session plénière, conjointe, des trois commissions de l’assemblée: Legislación General, Asuntos Constitucionales et Presupuesto (budget), obtenait 55 voix, dont 21 en désaccord partiel. Ont levé la main en faveur de l’examen de la loi «Omnibus» 18 élu·e·s de La Libertad Avanza (Milei), 17 du PRO-Propuesta Republicana (Mauricio Macri), huit de l’Union Civique Radicale-UCR, sept de Innovación Federal et Hacemos Coalición Federal – deux groupes parlementaires qui comprennent des Macristas dissidents, des péronistes dissidents et la Coalición Cívica d’Elisa Carrió [députée depuis 1995, d’abord sous la bannière de l’UCR et depuis 2009 de la Coalition civique, après avoir été liée à divers partis] –, et une voix du député Agustín Fernández, de l’UP-Union por la Patria. Après le vote, Agustín Fernández a annoncé que lui et deux autres députés UP [Gladys del Valle Medina et Elia Fernández de Mansilla] de la provice de Tucumán [située dans le nord-ouest] quittaient le banc de la majorité péroniste pour créer le bloc Independencia, à la demande du gouverneur de Tucumán, Osvaldo Jaldo. Une perte importante pour le péronisme, qui vient de perdre le gouvernement.

Il reste maintenant à débattre en séance plénière de la Chambre des députés à partir de mardi 30 janvier. A la Casa Rosada [présidence], on spécule sur le fait que deux séances marathon, jusqu’aux petites heures du matin, suffiront à transformer en loi le nouveau credo libertarien composé de 664 articles. A priori, les votes semblent favorables au parti au pouvoir, qui vient de former une sorte de coalition parlementaire sur laquelle il peut s’appuyer [Libertad Avanza dispose de 35 députés sur 257 et de 7 sénateurs sur 72, ce qui exige des accords pour coalition].

Aux 400 000 personnes mobilisées dans la capitale, la CGT estime en ajouter un million dans des villes comme Córdoba, Santa Fe, Rosario, La Rioja, Mendoza, San Juan, San Miguel de Tucumán, Paraná, Viedma, Bariloche, Río Gallegos, Neuquén, Salta, Posadas et Resistencia, entre autres. Bien que les chiffres soient difficiles à vérifier, les images de la télévision et des médias sociaux ont révélé la dimension du mécontentement à l’égard du projet de loi «Omnibus» dans ces villes du pays. [1]

Alors que le porte-parole du gouvernement, Manuel Adorni, et la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich [qui avait réuni 23,81% des suffrages à l’élection présidentielle sur la liste Juntos por el Cambio et qui a rallié Milei pour le 2etour], ont minimisé l’ampleur de la grève nationale, les principaux dirigeants syndicaux, tels que Pablo Moyano et Héctor Daer, tous deux de la CGT, ont considéré la mobilisation comme «un triomphe» et ont demandé aux élus nationaux «de ne pas se laisser influencer lors du vote à l’Assemblée» et de «respecter la volonté du peuple qui a voté pour eux».

Depuis le retour de la démocratie [en 1983], 43 grèves nationales ont eu lieu, mais celle du mercredi 24 janvier est devenue l’épreuve de force la plus rapidement engagée pour un gouvernement élu, puisqu’elle n’a eu lieu que 44 jours après son entrée en fonction. Il est également vrai qu’aucun des présidents précédents n’a osé proposer des changements aussi radicaux aux deux Chambres, au point que des juges fédéraux [l’instance compte 28 juges] ont déjà accepté des requêtes contre la possible inconstitutionnalité d’une douzaine d’articles du projet de loi. Même les Nations unies ont demandé à participer au débat sur la loi «Omnibus» par l’intermédiaire du représentant régional du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Jan Jarab. L’organisme international est particulièrement préoccupé par les articles relatifs à la Sécurité [initialement, Bullrich a cherché à interdire tout rassemblement de plus de trois personnes, pour l’heure c’est un échec], qui, selon Jan Jarab, restreignent le droit à la dissidence et à la protestation.

La marche de mercredi 24 janvier a rassemblé des acteurs syndicaux et sociaux, qui ont déjà commencé à travailler sur de nouveaux articles de loi et des projets alternatifs à proposer au Parlement. Cependant, la balle est maintenant dans le camp des députés. Ils subissent une pression de la part des gouverneurs provinciaux, qui négocient dans l’urgence avec le ministre de l’Economie [Luis Caputo] pour obtenir de nouveaux fonds pour leurs administrations [Milei a menacé de couper tous les fonds fédéraux aux administrations des provinces]. Il y a là un test décisif pour le péronisme dans l’opposition. (Article publié par l’hebdomadaire uruguayen Brecha le 26 janvier 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Selon le compte rendu du site La Izquierda Diario, lié au PTS, le 24 janvier a été marqué par des grèves et des débrayages, d’une part, dans le secteur de la santé, préparés par de nombreux débats en assemblée, et, d’autre part, dans des aéroports, des fabriques automobiles (Toyota, Ford), dans des fabriques de pneus (Pirelli, Bridgestone), des raffineries, des complexes sidérurgiques (Campana, Villa Constitución), des compagnies de transport liées à l’exportation de la production agricole.

Le mardi 30 janvier, quand commencera le débat sur la loi «Omnibus», va se poser l’exigence d’une mobilisation pour prolonger le signal du 24. Il y a là un test pour les appareils de la CGT et de la CTA, parmi d’autres. (Réd.)

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