Argentine. La première année d’Alberto Fernández: la faille sociale structurelle

Par Pablo Anino

Le 10 décembre 2019, Alberto Fernández quitte Puerto Madero [quartier réaménagé ultra-luxueux, avec lacs de réserve «écologiques»] au volant de sa voiture. Il était en route pour le Congrès afin de recevoir les attributs qui feraient de lui le président. La Toyota Corolla qu’il conduisait a traversé l’un des ponts qui séparent le quartier le plus cher du reste des personnes qui vivent et travaillent dans la ville de Buenos Aires.

Ainsi, on était loin des ballons jaunes, de l’ambiance disco et des célébrations des élections dorées des changements 2015 [élection de Mauricio Macri en novembre] et 2017 [élections législatives d’octobre]. Ce parcours, avec Alberto Fernandez au volant, était peut-être une tentative d’étaler un geste d’austérité, d’empathie avec ceux qui étaient lésés par le «modèle» d’ajustement permanent qui avait été mis en accusation dans les urnes.

Une fois devenu président, dans son discours inaugural, Alberto Fernandez a déclaré qu’il souhaitait que l’on se souvienne de son gouvernement pour avoir «réuni la table familiale» (c’est-à-dire pour avoir mis fin à la déchirure sociale), pour avoir «surmonté la blessure de la faim», pour avoir vaincu la cupidité et la spéculation et pour avoir reconstruit un grand accord stratégique pour le développement. Ce 10 décembre 2020 montre une réalité qui ne correspond en aucune mesure à ces affirmations.

Le traumatisme

La plaie de la faim a été illustrée par le rapport présenté la semaine dernière par l’Observatoire de la dette sociale de l’UCA (Université catholique argentine): à la fin du troisième trimestre de l’année (juillet-septembre), 44,2% de la population se trouvait sous le seuil de pauvreté (il y a un an, ce taux était de 40,8%). Et 10,1% de la population se trouvait sous le seuil d’indigence (il y a un an, c’était 8,9%). Plus grave encore, 64,1% des enfants et des adolescents vivent dans des ménages dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté.

Le directeur de l’Observatoire, Agustín Salvia, a expliqué que ce n’est pas que «le Covid ait produit une rupture dans une évolution progressive [favorable] de la société». Au contraire, a-t-il souligné, depuis 2013, la pauvreté a augmenté. Néanmoins, Agustín Salvia a expliqué que «sans l’AUH [Asignación Universal por Hijo: aide pour enfant à hauteur de 30 euros], l’IFE [Ingreso Familiar de Emergencia: revenu familial d’urgence distribué à 9 millions de précaires], la Tarjeta Alimentar [carte alimentaire attribuant pour une famille ayant un enfant âgé jusqu’à six ans: 40 euros, et avec plus d’un enfant: 60 euros] et le reste des subventions, l’indigence aurait été double et la pauvreté aurait grimpé à 53%.

En suivant cette logique, mais non pas pour contrer l’explication d’Augustin Salvia, mais pour évaluer la politique du gouvernement d’Alberto Fernández, on peut également souligner que les taux de pauvreté et d’indigence auraient pu être plus bas si l’aide de l’État avait été plus élevée.

Au moment même où la pauvreté s’est étendue, l’ONG Oxfam a estimé qu’en Argentine, la fortune des milliardaires est passée de 8,8 à 11,2 milliards de dollars pendant la pandémie. Il y a une cassure qui continue à s’étendre. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une cassure politique, mais d’une faille structurelle: une faille entre les classes sociales fondamentales de la société, entre la classe ouvrière appauvrie et les capitalistes. (Article publié sur le site La Izquierda Diario, en date du 9 décembre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*