Algérie. 49e marche des étudiants: «Notre Sahara n’est pas à vendre»

Par Mustapha Benfodil

Alger, 28 janvier 2020. 49e acte du hirak étudiant. 10h. La place des Martyrs se remplit progressivement de monde en prévision de la marche hebdomadaire du milieu de semaine.

Parmi les présents, deux manifestants arrêtés vendredi dernier et placés sous contrôle judiciaire après 48 heures de garde à vue. L’un d’eux, El Hadi, a pris le soin de glisser quelques affaires personnelles dans sa mallette.

Il doit prendre la route dès la fin de la marche. «Je dois aller jusqu’à Tébessa. Je suis obligé de faire acte de présence tous les 15 jours, le mercredi, au tribunal de Bir El Ater», confie-t-il, son lieu de résidence officiel étant à Bir El Ater [situé dans la wilaya de Tébessa, à l’extrême est de l’Algérie].

Mais cette mesure si contraignante ne semble pas avoir raison de son moral. «Ce n’est pas ça qui va me dissuader de poursuivre la lutte. On se bat pour une noble cause, et ces petits sacrifices ne sont rien devant la justesse de notre combat. Le principal est de maintenir le cap, toujours de façon pacifique et civilisée», insiste-t-il.

Et de lancer, déterminé: «Vendredi, je serai là!» El Hadi n’entend pas rater un seul épisode du hirak, lui qui a fait quasiment toutes les manifs du vendredi et du mardi. C’est également le cas de ammi Boudjemaâ. Le vaillant marcheur a plusieurs pancartes à la main. L’une d’elles exige la libération s de Karim Tabbou [porte-parole de l’Union démocratique et sociale, arrêté et incarcéré plusieurs fois depuis février 2019].

Sur une autre, il a écrit : «Je marche tous les mardis et les vendredis, jugez-moi aussi!» Voilà une autre battante qui rejoint l’assemblée, drapée de l’emblème national. C’est Baya. Elle est atteinte d’un cancer et suit des séances de chimiothérapie à l’hôpital Mustapha. Baya doit subir, en outre, plusieurs interventions chirurgicales. Malgré la maladie, elle est d’une assiduité exemplaire.

Nous avons l’habitude de la croiser également aux rassemblements de soutien aux détenus. Son seul souci est l’hébergement. Elle loge seule dans un hôtel à Alger pour pouvoir effectuer ses séances de chimio, et elle ne peut plus assurer le règlement de ses nuitées à l’hôtel. Quelle leçon de courage, Baya!

«Libérez Nour El Houda Oggadi!»

10h40. Hissé sur les épaules de ses camarades, Abdou, l’un des animateurs du mouvement étudiant, invite la foule, qui a pris position sur la rue qui jouxte le marché de la Basse-Casbah, à entonner Qassaman [hymne national]. Le cortège peut maintenant s’ébranler. Les manifestants scandent: «Dawla madania, machi askaria!» (Etat civil, pas militaire).

Ils enchaînent par «Tebboune m’zawar djabouh el askar, makache echar’îya, echaâb et’harrar, houa elli y qarrar, dawla madania!» (Tebboune est un président fantoche ramené par les militaires. Il n’a pas de légitimité. Le peuple s’est libéré, c’est lui qui décide. Gouvernement civil).

La procession traverse la rue Bab Azzoun aux cris de: «Qolna el îssaba t’roh ! Ya h’na ya entouma !» (On a dit que la bande doit partir. C’est ou bien nous, ou bien vous). Comme vendredi dernier, l’un des thèmes dominants ce mardi est la dénonciation de l’exploitation du gaz de schiste. «El ghaz essakhri dirouh fi Paris!» scande la foule (Le gaz de schiste, faites-le à Paris).

On pouvait entendre dans le même registre: «El ghaz essakhri makache kifache, essahra dialna ma n’bi’ouhache!» (Le gaz de schiste y a pas moyen, notre Sahara n’est pas à vendre). Il y avait aussi ce slogan-clé qui reviendra à d’autres moments de la manif: «Siyada chaîbiya, marhala intiqaliya!» (Souveraineté populaire, période de transition). Une forte pensée est exprimée, par ailleurs, pour l’étudiante de Tlemcen Nour El Houda Oggadi, en détention depuis le 17 décembre: «Libérez, libérez, Nour El Houda Oggadi!» clament les étudiant·e·s. Des portraits de la jeune fille sont exhibés par plusieurs marcheurs [1].

«Le Sahara a besoin de développement»

Le cortège suit le parcours habituel: Bab Azzoun, square Port-Saïd, rue Ali Boumendjel, rue Larbi Ben M’hidi… Sur les pancartes brandies, le thème du gaz de schiste, comme nous l’indiquions, domine les messages exprimés. «Non, non, non au gaz de schiste»; «Le gaz de schiste est une colonisation par procuration; les partisans du 5e mandat accèdent aux demandes de la France»; «Le gaz de schiste est un bienfait extérieur et un méfait intérieur»; «Notre Sahara n’a pas besoin de gaz de schiste et de radiations nucléaires [allusion aux essais nucléaires français de février 1960 dans le Sahara], il a besoin de développement»; «Ce n’est pas un problème économique, c’est un problème éthique et humain au sein du système. Non au gaz de schiste».

Une manifestante adresse ces mots au président français: «A Macron, inversons les choses. Commençons par expérimenter les bienfaits du gaz de schiste sur le territoire français!» Une demoiselle a conçu pour sa part une belle liste d’énergies et ressources alternatives: «Energie du tourisme, énergie solaire, énergie éolienne, fruits de l’agriculture, énergie de la jeunesse, alors pourquoi le gaz de schiste qui nuit à l’homme et à l’environnement?»

Un autre hirakiste abonde dans le même sens: «Oui à l’énergie solaire, oui à l’agriculture saharienne, oui à l’investissement dans les eaux profondes, oui au changement pacifique du système, non au gaz de schiste!»

Sur les autres pancartes, un certain nombre de propositions sont émises comme l’illustre cette plateforme hissée par nombre de protestataires: «Libération inconditionnelle et immédiate des détenus d’opinion»; «Ouverture des médias; liberté d’opinion et d’expression et levée des restrictions sur les manifestations populaires»; «Transition démocratique débouchant sur un changement radical du système à travers un processus négocié»; «Consacrer l’Etat de droit par la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et l’activation du pouvoir législatif comme instrument de surveillance des pouvoirs Exécutif et judiciaire»; «Un régime civil garant des libertés qui accepte le pluralisme et s’engage pour la démocratie et l’alternance pacifique au pouvoir!»

«Une seule constitution, celle du peuple»

Un inconditionnel du hirak proclame: «Une seule Constitution, celle du peuple!» Un jeune homme arbore, de son côté, cet écriteau : «Démocratie = Droit à la contestation sans répression; Justice indépendante; presse libre!»

Un autre a une pensée pour les détenus: «Vous pouvez mettre nos représentants à l’isolement mais pas leurs convictions», assène-t-il. Un citoyen a tenu à délivrer ce message: «Pourquoi on continue à sortir? Liberté d’expression sans restrictions répressives ou sentimentales!» On pouvait remarquer aussi cette pancarte parmi la pléthore de messages écrits: «Indépendance à l’ensemble de la Palestine historique!»

La procession traverse l’avenue Pasteur en criant: «Leblded qasmouha, Essahra baouha, wallah ma rana habssine !» (Ils ont divisé le pays, vendu le Sahara, par Dieu on ne s’arrêtera pas). Les manifestants passent devant la Fac centrale avant de s’engager sur la rue Sergent Addoun.

Le cortège pousse vers le boulevard Amirouche, transite par la rue Mustapha Ferroukhi et déferle sur la place Audin. La foule martèle : «Makane la pétrole la ghaz sakhri, goulou l’França edirha fi Paris!» (Il n’y a ni pétrole ni gaz de schiste, dites à la France de le faire à Paris). 13h25. La 49e marche des étudiants prend officiellement fin en scandant Qassaman. (Article publié sur le site de El Watan, en date du 29 janvier 2020)

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[1] Human Rights Watch, dans un rapport diffusé par l’AFP, souligne que depuis la présidentielle du 12 décembre 2019, «boudée par les électeurs et remportée par Abdelmadjid Tebboune les autorités ont arrêté des dizaines de manifestants pacifiques». «Des manifestants restent incarcérés et poursuivis pour ‘‘attroupement non armé’’, passible d’un an de prison, ou ‘‘atteinte à l’intégrité du territoire’’, crime passible de dix années d’emprisonnement.» Selon les responsables de Human Rights Watch, cette attitude des autorités va à l’encontre de leur démarche visant à enclencher un dialogue. «Les offres de dialogue perdent de leur crédibilité quand vous enfermez des gens simplement descendus dans la rue pour exprimer leur désaccord avec vous.» (Réd. A l’Encontre)

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