Israël-Palestine. Le 18 novembre, à l’ONU, qui pourra dire que «l’on ne savait pas tout»?

Par rédaction A l’Encontre

Le 14 novembre, l’organisation Human Rights Watch publiait un rapport de 157 pages intitulé “Hopeless, Starving, and Besieged”. Israel’s Forced Displacement of Palestinians in Gaza (“Sans espoir, affamés et assiégés”. Déplacement par la force des Palestiniens de Gaza par Israël).

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Le 18 juillet 2024, Oxfam, dans un rapport intitulé «Crimes de guerre liés à l’eau», constatait: «l’interruption par Israël de l’approvisionnement externe en eau, la destruction systématique des infrastructures d’eau et l’obstruction délibérée de l’aide ont réduit de 94% la quantité d’eau disponible à Gaza». Le 14 novembre, RFI (Radio France Internationale) citait Theresa Targean, coordinatrice de la réponse humanitaire d’Oxfam dans les territoires occupés. Cette dernière déclarait: «Quand j’étais sur place, j’ai vu beaucoup de frappes d’une précision chirurgicale, en très grand nombre. Et des chercheurs de l’université d’Harvard ont établi que la probabilité pour que ces tirs sur les infrastructures en eau soient accidentels est inférieure à 1%. Il est important de comprendre que lorsque vous coupez les approvisionnements en nourriture, en eau, tout ce dont les gens ont besoin pour survivre… Ceux qui meurent en premier sont les plus vulnérables comme les bébés. Et cette obstruction totale de ce qui permet la vie, représente, je crois, un vrai risque de génocide.»

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Peter Beaumont, spécialiste des «conflits internationaux», présentait des éléments cruciaux du rapport cité ci-dessus de Human Rights Watch dans The Guardian du 14 novembre. Les ordres d’évacuation impliquant des déplacements contraints massifs à l’intérieur de Gaza ont «conduit au déplacement de plus de 90% de la population – 1,9 million de Palestiniens – et à la destruction généralisée d’une grande partie de la bande de Gaza au cours des 13 derniers mois».

Ce rapport d’une ONG états-unienne de renom, HRW, «contredit fortement les conclusions du Département d’Etat américain émises en début de semaine, selon lesquelles Israël n’avait pas enfreint les lois états-uniennes en bloquant les fournitures d’aide après l’expiration d’un délai de 30 jours qu’il avait accordé à Israël pour améliorer l’accès de l’aide humanitaire à Gaza, sous peine de voir une partie de l’aide militaire interrompue».

Peter Beaumont souligne: «Alors que les dirigeants israéliens et les Forces de défense israéliennes ont justifié l’utilisation des ordres d’évacuation, arguant que leur utilisation démontre l’adhésion d’Israël à la protection des civils en temps de guerre, HRW affirme que ces ordres ont au contraire nui aux Palestiniens. En effet, le rapport constate: “Il est évident qu’Israël n’a pas évacué les civils palestiniens de Gaza pour assurer leur sécurité, puisqu’ils n’ont pas été en sécurité pendant les évacuations ou à leur arrivée dans les zones de sécurité désignées. Israël n’a pas non plus affirmé de manière convaincante qu’il avait un impératif militaire pour forcer la plupart des civils palestiniens à quitter leurs maisons.”»

Peter Beaumont conclut: «En vertu du droit international, Israël – en tant que puissance occupante à Gaza – est légalement tenu de faciliter le retour des personnes déplacées dans leurs foyers dans les zones où les hostilités ont cessé. Au lieu de cela, HRW indique qu’Israël a “rendu de vastes zones de Gaza inhabitables” en procédant à des démolitions, en détruisant intentionnellement ou en endommageant gravement des infrastructures civiles, y compris des écoles et des institutions religieuses et culturelles, y compris après que les hostilités ont cessé dans une large mesure dans une zone donnée.»

Le journaliste du Guardian cite Nadia Hardman, chercheuse sur les droits des réfugiés et des migrants à Human Rights Watch, qui a déclaré: «Le gouvernement israélien ne peut pas prétendre assurer la sécurité des Palestiniens lorsqu’il les tue le long des voies d’évacuation, qu’il bombarde les zones dites sûres et qu’il les prive de nourriture, d’eau et d’installations sanitaires. Israël a violé de manière flagrante son obligation de veiller à ce que les Palestiniens puissent rentrer chez eux, en rasant pratiquement tout dans de vastes zones.»

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Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, dans un communiqué du 14 novembre, fait référence au rapport qui sera présenté le 18 novembre devant l’Assemblée générale de l’ONU et qui affirme que la guerre menée par Israël à Gaza présente les caractéristiques d’un génocide, avec des pertes civiles massives et des conditions de vie menaçantes imposées intentionnellement aux Palestiniens qui s’y trouvent.

Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme cite et résume ainsi des éléments du rapport: «Par son siège de Gaza, l’obstruction de l’aide humanitaire, les attaques ciblées et le meurtre de civils et de travailleurs humanitaires, malgré les appels répétés de l’ONU, les ordonnances contraignantes de la Cour internationale de justice et les résolutions du Conseil de sécurité, Israël cause intentionnellement la mort, la famine et des blessures graves, en utilisant la famine comme méthode de guerre et en infligeant une punition collective à la population palestinienne.»

Le rapport met aussi en relief le rôle de l’intelligence artificielle dans le ciblage de la population palestinienne (voir à ce sujet l’article publié sur le site alencontre le 8 avril 2024). Il souligne la politique de censure des médias par le gouvernement israélien, le non-accès de journalistes internationaux à Gaza et l’assassinat de très nombreux journalistes palestiniens, présents à Gaza et en Cisjordanie.

Le communiqué du Haut-Commissariat aux droits de l’homme insiste sur la condamnation par le Comité «de la campagne de diffamation en cours et les autres attaques contre l’UNRWA et l’ONU en général».

Ces différents constats d’organismes internationaux et d’ONG reconnues, soigneusement documentés, dépeignent les traits saillants d’une guerre génocidaire. L’offensive d’Israël contre l’UNRWA – relayée aux Etats-Unis et en Suisse – est un élément constitutif de cet «effacement d’une population».  C’est plongé dans cette tragédie que Philippe Lazzarini, Commissaire général de l’UNRWA, est intervenu le 13 novembre devant la Quatrième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies. Son plaidoyer doit être lu. Nous considérons de notre devoir, comme site d’information, de l’avoir traduit et diffusé en français.

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Philippe Lazzarini, 13 novembre 2024.

New York, le 13 novembre 2024

Madame la présidente [Mathu Joyini, Afrique du Sud],

Nous vivons un moment critique pour l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), pour nos 33 000 membres du personnel et pour les millions de réfugié·e·s palestiniens que nous assistons.

Le risque d’effondrement de l’Office menace la vie et l’avenir d’individus et de communautés, la stabilité de la région et l’intégrité de notre système multilatéral.

Au mépris de la Charte des Nations unies, des résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, ainsi que des décisions contraignantes de la Cour internationale de justice, l’Etat d’Israël s’efforce de modifier unilatéralement les principes établis de longue date pour résoudre le conflit israélo-palestinien.

Le mois dernier, le parlement israélien a adopté une loi qui pourrait mettre fin aux opérations de l’UNRWA dans le territoire palestinien occupé dans moins de trois mois [voir sur le site alencontre.org l’article publié le 29 octobre].

Cela permettrait d’atteindre un objectif explicitement déclaré de la guerre à Gaza [voir à propos de cet objectif l’article publié le 12 novembre sur le site alencontre.org].

Madame la présidente,

Unique parmi les agences des Nations unies, l’UNRWA est mandaté pour fournir directement des services de type gouvernemental, y compris l’éducation pour plus d’un demi-million d’enfants et les soins de santé primaires.

L’Office fournit des services de développement humain aux réfugiés palestiniens en l’absence d’un Etat palestinien.

Pendant les conflits, l’UNRWA fournit également une assistance humanitaire à tous ceux qui en ont besoin.

Pourtant, aujourd’hui, l’UNRWA est une victime de la guerre à Gaza.

Au moins 243 membres du personnel de l’UNRWA ont été tués. D’autres ont été détenus et rapportent avoir été torturés.

Plus des deux tiers des locaux de l’UNRWA ont été endommagés ou détruits.

Des groupes armés palestiniens, dont le Hamas, et les forces israéliennes auraient utilisé nos locaux à des fins militaires.

J’ai condamné fermement, à plusieurs reprises et publiquement cette utilisation présumée de nos locaux.

Je continue à demander que les responsables des attaques contre le personnel, les locaux et les opérations de l’ONU rendent compte de leurs actes par le biais d’une enquête indépendante sur ces violations.

Mesdames et Messieurs,

Outre les attaques perpétrées dans le territoire palestinien occupé, l’Office a également fait l’objet d’une campagne de désinformation acharnée à l’échelle mondiale.

Un lobbying intense du gouvernement israélien et de ses organisations affiliées a mené une campagne en direction des parlements et des gouvernements des principaux pays donateurs.

Les attaques contre l’UNRWA sont justifiées par des allégations selon lesquelles l’Office serait de connivence avec le Hamas ou infiltré par lui.

L’UNRWA prend très au sérieux les allégations de violation de la règle de neutralité.

Bien que nous n’opérions pas dans un environnement à risque zéro, nous adoptons une approche de tolérance zéro à l’égard de toute violation avérée.

L’examen indépendant de la neutralité de l’UNRWA a révélé que l’Office disposait d’un cadre de neutralité plus solide que toute autre entité comparable.

Nous mettons tout en œuvre pour appliquer les recommandations de l’étude [rapport dirigé par Catherine Colonna et rendu public le 22 avril 2024].

Je dois souligner que l’UNRWA – comme les organismes comparables des Nations unies – ne dispose pas de capacités policières, militaires ou de renseignement.

Nous comptons sur les Etats membres lorsque de telles compétences sont nécessaires.

Depuis plus de 15 ans, l’UNRWA transmet chaque année les noms de son personnel avec le gouvernement israélien.

Nous transmettons désormais ces noms sur une base trimestrielle.

Cela inclut les noms des membres du personnel au sujet desquels le gouvernement n’avait jamais exprimé d’inquiétudes auparavant, mais qu’il inclut désormais dans des listes alléguant un activisme armé.

Nous avons demandé à plusieurs reprises au gouvernement israélien de nous fournir des preuves et nous lui avons proposé de nous indiquer comment des preuves confidentielles pourraient être partagées.

Nous n’avons reçu aucune réponse.

L’UNRWA ne peut pas répondre à des allégations à propos desquelles il ne dispose pas de preuves.

Pourtant, ces accusations continuent d’être utilisées pour saper l’Office.

Madame la présidente,

L’UNRWA est une cible facile pour les belligérants qui considèrent sa présence et ses activités comme une menace.

Le Hamas a accusé publiquement et à plusieurs reprises l’UNRWA, en particulier ses cadres supérieurs, d’être de connivence avec l’occupation israélienne.

Depuis de nombreuses années, le Hamas s’oppose fermement au programme d’éducation de l’UNRWA, remettant en cause notre engagement en faveur de l’égalité des sexes et de la stricte neutralité.

Le Hamas a même désapprouvé le programme «Summer Fun Weeks» de l’Office, qui réunit filles et garçons autour de l’art, des jeux, de la musique et du sport.

Permettez-moi de rappeler une évidence: l’UNRWA n’est pas partie prenante à ce conflit.

C’est une agence des Nations unies.

C’est le mécanisme par lequel les Nations unies sont chargées – par l’Assemblée générale – d’aider les réfugiés palestiniens.

Toutes les parties au conflit doivent permettre à l’UNRWA de remplir son mandat.

Si l’Office ne peut pas fonctionner dans le territoire palestinien occupé, la responsabilité de fournir des services aux Palestiniens – et d’en supporter le coût – incombera non pas aux Nations unies, mais à Israël en tant que puissance occupante.

Mesdames, Messieurs,

Il y a un an, je vous ai décrit l’horreur dont j’ai été personnellement témoin à Gaza un mois après le début de la guerre.

Je ne savais pas alors à quel point la situation allait empirer. Un an plus tard, plus de 43 000 personnes auraient été tuées. Près de 70% sont des femmes et des enfants. Des milliers d’autres sont portées disparues sous les décombres ou ont succombé à la maladie. La quasi-totalité de la population a été déplacée à plusieurs reprises.

Les otages israéliens sont toujours en captivité, dans des conditions terrifiantes, et je continue à demander leur libération immédiate et inconditionnelle.

Le nord de Gaza est assiégé et les Palestiniens sont brûlés et enterrés vivants par les frappes aériennes. La faim est généralisée et la famine s’est probablement déjà installée.

Les autorités israéliennes déclarent que les gens ne seront pas autorisés à y retourner [dans le nord].

Dans toute la bande de Gaza, 660 000 enfants qui devraient être scolarisés n’apprennent rien d’autre qu’à survivre.

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Les enjeux sont également importants en Cisjordanie occupée.

La violence des colons et les incursions militaires des forces de sécurité israéliennes sont une réalité quotidienne.

Les infrastructures publiques sont systématiquement détruites lors des opérations militaires, infligeant une punition collective aux Palestiniens.

Les colonies illégales se développent de manière intensive, en toute impunité.

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Entre-temps, la guerre s’est étendue au Liban.

Près d’un million de personnes ont été déplacées.

Et comme à Gaza, l’UNRWA apporte son soutien à la mobilisation humanitaire.

Nous avons ouvert des abris qui accueillent des milliers de personnes déplacées.

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Près d’un demi-million de personnes – dont 5000 réfugiés palestiniens – ont fui le Liban pour se réfugier en Syrie, qui se remet difficilement de la guerre, d’une crise économique et de tremblements de terre dévastateurs.

Les fonds destinés à la Syrie se sont taris.

L’UNRWA a dû réduire son aide financière et alimentaire.

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La Jordanie n’est pas à l’abri de l’instabilité régionale croissante.

De nombreux réfugiés palestiniens y sont très vulnérables aux chocs sociaux et économiques.

En cette période de crise profonde et d’incertitude, les réfugiés palestiniens de toute la région se tournent vers l’UNRWA.

Et l’Office n’a jamais été autant en danger.

Madame la présidente,

La mise en œuvre de la législation de la Knesset aura des conséquences catastrophiques.

A Gaza, le démantèlement de l’UNRWA entraînera l’effondrement de la réponse humanitaire des Nations unies, qui dépend fortement de l’infrastructure de l’Office.

L’éducation est manifestement absente des questions relatives à l’absence de l’UNRWA dans la bande de Gaza.

Les Palestiniens accordent une grande importance à l’éducation – c’est le seul bien dont ils n’ont pas été dépossédés jusqu’à présent.

En l’absence d’une administration publique ou d’un Etat performant, seul l’UNRWA peut assurer l’éducation de plus de 660 000 filles et garçons dans la bande de Gaza.

En l’absence de l’UNRWA, une génération entière sera privée du droit à l’éducation.

Leur avenir sera sacrifié, semant les graines de la marginalisation et de l’extrémisme.

Avant la guerre, l’UNRWA répondait à environ 70 à 80% des besoins en soins de santé primaires à Gaza.

Nous assurons encore 16 000 consultations médicales par jour.

En Cisjordanie, l’effondrement de l’UNRWA priverait au moins 50 000 enfants d’éducation et un demi-million de réfugiés palestiniens de soins de santé primaires.

Le démantèlement de l’UNRWA ne mettra pas fin au statut de réfugié des Palestiniens – ce statut existe indépendamment de l’Agence – mais il portera gravement atteinte à leur vie et à leur avenir.

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La décision de la Knesset porte un coup terrible à notre personnel.

17 000 personnes travaillant dans les territoires palestiniens occupés craignent de perdre leur emploi. Ils craignent également de nouvelles attaques, légitimées par ces dispositions législatives.

Cette crainte est justifiée.

La semaine dernière encore, une employée de Cisjordanie a été arrêtée, intimidée et harcelée par les forces de sécurité israéliennes. Elles l’ont accusée de travailler pour une organisation terroriste, ont saisi son ordinateur portable appartenant à l’UNRWA et l’ont utilisé pour accéder à des informations internes.

Il s’agit d’une violation totale des droits et des garanties accordés aux Nations unies.

Malgré tout ce qu’elle a vécu, mes collaborateurs craignent que le pire ne soit encore à venir.

Mesdames et Messieurs,

Je conclurai en réitérant trois requêtes que j’ai adressées aux Etats membres la semaine dernière, et en en formulant une supplémentaire:

Premièrement, je demande aux Etats membres d’agir pour empêcher la mise en œuvre de la nouvelle loi [adoptée par Knesset] contre l’UNRWA.

Les modifications du mandat de l’UNRWA relèvent de la prérogative de l’Assemblée générale et non de celle des Etats membres.

Deuxièmement, je demande aux Etats membres de veiller à ce que tout plan de transition politique définisse le rôle de l’UNRWA.

L’Office doit progressivement achever son mandat dans le cadre d’une solution politique et, dans le territoire palestinien occupé, transférer ses services à une administration palestinienne habilitée.

Troisièmement, je demande aux Etats membres de maintenir le financement de l’UNRWA et de ne pas retenir ou détourner des fonds en partant du principe que l’Office ne peut plus fonctionner.

Le coût de la fourniture de services essentiels, y compris l’éducation et les soins de santé, au cours d’une transition [politique en direction d’un Etat palestinien] sera immense.

Ma dernière requête concerne l’avenir de notre système multilatéral et des Nations unies, dont l’UNRWA fait partie intégrante.

Je demande aux Etats membres d’utiliser tous les outils juridiques et politiques à leur disposition pour garantir le maintien de l’ordre international fondé sur des règles.

Les Nations unies et leur personnel se trouvent dans une position de plus en plus intenable: si le cadre juridique et politique dans lequel nous opérons ne résiste pas, nous ne pourrons pas rester et agir.

Je vous invite à réfléchir sérieusement à ce que cela signifierait pour notre avenir collectif.

Je vous remercie de votre attention. (Traduction de l’anglais par la rédaction d’A l’Encontre)

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