Par rédaction A l’Encontre
Cette COP29, réunie à Bakou, est, comme les précédentes, l’occasion pour certains «acteurs» des industries fossiles, comme de leurs financiers, de répéter une fois de plus «qu’il faut prendre conscience de la situation» et pour les affabulateurs les plus hypocrites de diffuser l’idéologie «de la transition écologique». Une «transition» que Jean-Baptiste Fressoz, dans son ouvrage Sans transition, une nouvelle histoire de l’énergie (Le Seuil, janvier 2024), qualifie «d’idéologie du capital au XXIe siècle. Grâce à elle, le mal devient le remède, les industries polluantes des industries vertes en devenir, et l’innovation, notre bouée de sauvetage. Grâce à la transition, le capital se retrouve du bon côté de la lutte climatique. Grâce à la transition, on parle de trajectoire à 2100, de voitures électriques [1] et d’avions à hydrogène plutôt que de niveau de consommation matérielle et de répartition [de la richesse produite].» Autrement dit est évité tout pas de travers qui permettrait de déceler la logique vampiriste du capital [2].
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Au deuxième jour de la COP29, Ilham Aliyev, président de l’Azerbaïdjan marchant dans les pas de son père autocrate Heydar Aliyev, déclamait au sujet du pétrole et du gaz: «Je veux le répéter ici devant cette audience: c’est un don de Dieu.» La figure divine est aujourd’hui d’actualité: Trump a été sauvé par Dieu à l’occasion d’une tentative d’assassinat le 13 juillet et incarne la présence de Dieu dans le champ politique selon les courants catholiques intégristes et évangélistes qui furent les anges gardiens de son élection à la présidence des Etats-Unis. Ici, la «providence divine» guide les forages et l’augmentation de l’extraction de fossile.
Au moment où António Guterres, à Bakou, indique qu’il faut réduire de 30% la production d’hydrocarbures d’ici 2030, l’hôte de la COP29, l’Azerbaïdjan, selon le rapport de l’ONG Oil Change International, a pour objectif d’augmenter sa production d’hydrocarbures de 14% d’ici 2035. Et le futur hôte de la COP30, le Brésil, table sur une croissance de 36%.
Quant à Giorgia Meloni, selon Il Fatto Quotidiano du 13 novembre, elle joue dans son intervention la carte de la «transition écologique» (décarbonation, biocarburants, fusion nucléaire) tout en insistant sur un fait d’évidence: «Il n’y a pas d’alternative aux combustibles fossiles.» Il est vrai que l’Italie importe 57% de son pétrole et 20% de son gaz d’Azerbaïdjan.
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Les COP ont au moins un effet stimulant: des ONG, des instituts et y compris la presse économique publient des données qui pointent les périls à venir. Ainsi, les études concernant, par exemple, les émissions de méthane sont diffusées dans les mois précédant la COP.
Ian Angus, sur son site Climate & Capitalism, le 10 septembre, rapportait les résultats établis par le Earth System Science Data sur le budget mondial du méthane pour 2024.
Ce dernier «montre une augmentation de 20% des émissions de méthane dues aux activités humaines au cours des deux dernières décennies.
»Le méthane est l’un des trois principaux gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique. Il ne reste dans l’atmosphère que quelques décennies, moins longtemps que le dioxyde de carbone et l’oxyde nitreux, mais son potentiel de réchauffement global à court terme est le plus élevé, car il retient davantage de chaleur dans l’atmosphère.
»Le bilan, établi par le Global Carbon Project, couvre 17 sources naturelles et anthropiques (induites par l’homme). Il montre que le méthane a augmenté de 61 millions de tonnes métriques par an.
“Nous avons observé des taux de croissance plus élevés pour le méthane au cours des trois dernières années, de 2020 à 2022, avec un record en 2021”, explique Pep Canadell, directeur du Global Carbon Project. “Cette augmentation signifie que les concentrations de méthane dans l’atmosphère sont 2,6 fois plus élevées que les niveaux préindustriels (1750).” “Les activités humaines sont responsables d’au moins deux tiers des émissions mondiales de méthane, ajoutant environ 0,5°C au réchauffement climatique qui s’est produit jusqu’à présent.”
»Le rapport conclut que l’agriculture est à l’origine de 40% des émissions mondiales de méthane d’origine anthropique. Le secteur des combustibles fossiles en produit 34%, les déchets solides et les eaux usées 19%, et la combustion de la biomasse et des biocarburants 7%.
»Les cinq principaux pays émetteurs en 2020 étaient la Chine (16%), l’Inde (9%), les Etats-Unis (7%), le Brésil (6%) et la Russie (5%).
»L’Union européenne et l’Australasie ont réduit leurs émissions anthropiques de méthane au cours des deux dernières décennies. Toutefois, les tendances mondiales mettent clairement en péril les engagements internationaux visant à réduire les émissions de méthane de 30% d’ici à 2030.
»Pour des trajectoires d’émissions nettes nulles compatibles avec l’objectif de l’Accord de Paris d’une augmentation maximale de la température de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, les émissions anthropiques de méthane doivent diminuer de 45% d’ici à 2050, par rapport aux niveaux de 2019.»
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Dans le Financial Times du 12 novembre, Attracta Mooney (Bakou) et Jana Tauschinski (Londres) rassemblent un cumul de données démontrant «comment les compagnies pétrolières et gazières dissimulent leurs émissions de méthane […], comment elles dissimulent régulièrement des fuites de ce gaz à effet de serre mortel, bien qu’il s’agisse de l’une des solutions les plus faciles à mettre en œuvre pour lutter contre le changement climatique.»
»Sur les rives de la mer Caspienne, à moins de 30 miles de l’endroit où les dirigeants, ministres et négociateurs du monde entier se réunissent cette semaine à Bakou dans le cadre du sommet sur le climat COP29, un puissant gaz à effet de serre s’est échappé dans l’atmosphère.
»Un capteur installé sur la Station spatiale internationale a détecté six panaches distincts de méthane entre avril et juin. Selon l’organisation californienne à but non lucratif Carbon Mapper, qui a analysé les données et les a communiquées au Financial Times, tous ces panaches proviennent de sites pétroliers et gaziers situés à la périphérie de la capitale de l’Azerbaïdjan.
»Cinq autres panaches ont été détectés sur d’autres sites du pays, notamment près du terminal pétrolier et gazier géant de Sangachal [vaste complexe industriel qui comprend un point de collecte, de traitement, de stockage et d’exportation du gaz du champ de Shah Deniz, ainsi que du pétrole d’Azeri-Chirag-Guneshli]. Bien que d’intensité variable, ces panaches étaient à la fois polluants et profondément toxiques, contenant des substances cancérigènes et d’autres gaz dangereux, ainsi que du méthane.
»Selon les militants et les analystes qui suivent la pollution par le méthane, une situation similaire se produit dans les installations pétrolières et gazières du monde entier. Dans certains cas, des fuites accidentelles sont à blâmer. Mais ailleurs, les producteurs rejettent le gaz de manière flagrante et délibérée.
»Le méthane est le principal responsable de la formation de l’ozone troposphérique [c’est-à-dire présent près du sol], un polluant atmosphérique dangereux qui cause chaque année la mort d’un million de personnes dans le monde à la suite de maladies respiratoires. Mais une menace encore plus grande pèse sur le climat.
»Même s’il ne persiste pas aussi longtemps dans l’atmosphère que le dioxyde de carbone, sur une période de 20 ans, le méthane est 80 fois plus puissant pour piéger la chaleur. On estime qu’il est responsable de 30% du réchauffement de la planète depuis la révolution industrielle.
»Une partie du méthane provient de sources naturelles telles que les zones humides et les gaz volcaniques. Mais la majeure partie des émissions est due à l’activité humaine: agriculture, déchets de décharge et industrie des combustibles fossiles.
»Le problème a longtemps été occulté en raison du manque d’outils permettant de le détecter et de le mesurer. Inodore et incolore, ce gaz est notoirement difficile à repérer. Jusqu’à récemment, les études sur le méthane s’effectuaient principalement au sol à l’aide d’appareils portatifs ou par des survols aériens qui le détectent grâce à ses interactions avec les ondes lumineuses.
»Selon une analyse du Financial Times, les entreprises du secteur de l’énergie ont trouvé de nombreux moyens de dissimuler l’ampleur de leurs émissions. «Le pétrole et le gaz émettent beaucoup plus de méthane que nous ne le pensons», affirme Eric Kort, professeur de climat, de sciences spatiales et d’ingénierie à l’université du Michigan. […] les émissions provenant de l’industrie pétrolière et gazière ne figurent pas à l’ordre du jour de cette année.
»Pourtant, les émissions du secteur de l’énergie ont atteint un niveau record en 2023 – une irritation pour certains analystes, qui soulignent qu’il s’agit de l’une des possibilités les moins coûteuses et les plus rapides de lutter contre le réchauffement climatique actuellement disponibles.
»“La réduction du méthane à court terme est le moyen le plus rapide dont nous disposons pour éviter les pires effets du changement climatique”, déclare Manfredi Caltagirone, responsable de l’Observatoire international des émissions de méthane du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). “[Et] le secteur qui présente le plus grand potentiel de réduction est l’industrie pétrolière et gazière.”
»Un précédent sommet de la COP tenu en 2021 a lancé le Global Methane Pledge, une initiative soutenue par plus de 150 pays, qui vise à réduire les émissions mondiales de 30% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020. Toutefois, selon des données récentes, les émissions globales de méthane continuent d’augmenter. […]
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Le dogme des politiques néolibérales, l’autorégulation, est invoquée de manière trompeuse car les groupes pétroliers et gaziers disent pouvoir détecter les émissions de méthane – y compris celles liées au torchage et aux accidents – grâce au développement de technologies satellitaires d’imagerie et de mesures.
Or, comme le souligne l’article du Financial Times:
«Josh Eisenfeld, qui suit les émissions de méthane à Earthworks, une organisation américaine à but non lucratif dont l’objectif est de mettre fin à la pollution énergétique, estime que l’un des principaux problèmes réside dans le fait que l’industrie “essaie de s’autosurveiller”. La plupart des équipements utilisés par les compagnies pétrolières et gazières ne parviennent même pas à repérer les petites fuites de méthane, affirme-t-il.
»Une enquête menée par Earthworks et Oil Change International a révélé que les “moniteurs d’émissions en continu”, utilisés par les producteurs pour enregistrer les rejets de polluants en temps réel, n’ont détecté qu’une seule émission au Colorado, alors que leurs propres chercheurs en ont enregistré 23. […]
»L’AIE (Agence internationale de l’énergie) estime également que les émissions mondiales de méthane provenant du secteur de l’énergie sont supérieures d’environ 70% aux quantités déclarées par les pays.
»Selon une étude publiée dans Nature au début de l’année et basée sur un million de mesures aériennes de puits, de pipelines, d’installations de stockage et de transmission dans six régions des Etats-Unis, les émissions étaient presque trois fois plus élevées que les estimations fournies par le gouvernement fédéral.»
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Or, Donald Trump a placé l’un de ses proches à la direction de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), Lee Zeldin. Selon Trump, «Lee Zeldin va s’assurer de prises de décisions rapides et justes de déréglementation qui vont permettre de doper la force des entreprises américaines, tout en conservant les plus hautes normes environnementales.» La transition est assurée.
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[1] Voir à ce propos sur ce site l’article d’Alain Bihr intitulé «La voiture électrique, une alternative illusoire». http://alencontre.org/ecologie/la-voiture-electrique-une-alternative-illusoire.html
[2] Voir l’article publié sur ce site en date du 4 mai 2021 http://alencontre.org/laune/le-vampirisme-du-capital-i.html
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