Par Alain Bihr
Depuis quelques années, dans le but déclaré de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), notamment de dioxyde de carbone (CO2), et de pallier les limites des biocarburants, l’accent a été mis par «nos» gouvernants et les constructeurs automobiles sur la nécessité de développer la voiture électrique. Entendons la voiture personnelle mue par un moteur électrique, lui-même alimenté par une batterie d’accumulateurs. L’Union européenne (UE) a ainsi décrété en juin 2023 l’interdiction, à partir de 2035, de la vente des voitures pourvues d’une motorisation thermique; et, d’ores et déjà, des primes substantielles y sont offertes à qui s’équipe d’une voiture électrique.
Commençons par remarquer que la voiture électrique est, elle aussi, une vieille idée neuve. Dans les premières années de l’industrie automobile, à la toute fin du XIXe siècle et dans les premières années du XXe, la voiture électrique a été une sérieuse concurrente de la voiture thermique. La première voiture à atteindre dès 1899 la vitesse de 100 km/h est une voiture électrique, la Jamais Contente, fabriquée par le Belge Camille Jénatzy, mais sur une distance très courte. Et, dans les années 1900, le moteur électrique équipe tramways, fiacres et taxis, des véhicules postaux dans de nombreuses villes européennes et nord-américaines, en commençant à se substituer à la traction hippomobile. Si la voiture à motorisation thermique l’a rapidement emporté cependant, c’est qu’elle s’est avérée plus autonome, plus légère et plus robuste, sans considération cependant de son bruit et de sa pollution. En grande partie, les termes de l’alternative restent aujourd’hui les mêmes.
Tenir compte de l’ensemble du cycle de vie
Outre que son usage direct (sa circulation) n’émet pas de CO2 et ne contribue pas à l’aggravation de l’effet de serre, on peut se féliciter du meilleur rendement énergétique du moteur électrique relativement au moteur thermique (0,85 contre 0,4) [1]. Signalons aussi la capacité d’utiliser une partie de l’énergie dépensée au freinage du véhicule pour recharger sa batterie (freinage dit régénératif).
Cette appréciation positive de la voiture électrique, à laquelle on s’en tient ordinairement, est cependant trompeuse en tant qu’elle se centre exclusivement sur la phase d’utilisation du véhicule. Une évaluation de son impact écologique global comparé à celui d’un véhicule thermique doit en fait procéder à une analyse du cycle de vie (ACV), en tenant compte l’ensemble des phases de vie du véhicule, depuis l’extraction des matières premières nécessaires à sa fabrication jusqu’à son recyclage (ou non) en fin de vie. Nous disposons de deux analyses de ce type, une première commanditée par l’Agence de la transition écologique-Ademe (Canaguier et alii, 2013), l’autre par l’European Environment Agency (EEA, 2018).
La première compare l’impact écologique, sous différents rapports, de trois types (essence, diesel, électrique) de véhicules capables de transporter jusqu’à quatre à cinq personnes, sur des trajets inférieurs à 80 km par jour, pendant dix ans, pour un total de 150 000 km. La comparaison se fait aux conditions suivantes: tous les véhicules (batteries comprises) sont produits (assemblés) et utilisés en France ou en Europe; les véhicules électriques sont équipés uniquement de batteries Li-Ion (comprenant du lithium, de manganèse et du cobalt) ou Lithium-Fer-Phosphate; la durée de vie la batterie est identique à celle du véhicule; elles ne sont rechargées qu’en mode normal et non pas en mode accéléré. Sous condition de ces hypothèses, favorables au véhicule électrique, la comparaison aboutit aux résultats suivants:
- «(…) la consommation d’énergie primaire du véhicule électrique est inférieure à celle d’un véhicule thermique essence sur l’ensemble de son cycle de vie et légèrement supérieure à celle d’un véhicule thermique diesel» (Canaguier et alii, 2013: 9).
- S’agissant des émissions de GES, le bilan est en principe plus favorable au véhicule électrique qu’au véhicule thermique. Mais l’écart varie sensiblement en fonction du mix électrique qui alimente le premier. Ainsi, un mix faiblement carboné comme l’est le mix français (110g CO2e/kWh en 2012) permet à un véhicule électrique de n’émettre que 9 tonnes de CO2e sur l’ensemble de son cycle de vie, tandis qu’un mix fortement carboné comme le mix allemand (623g CO2e/kWh en 2012) lui fera émettre 20 tonnes de CO2e, soit à peine moins qu’un véhicule diesel (22 tonnes) mais bien moins qu’un véhicule essence (27,5 tonnes) (Id.: 13). Encore faut-il être assuré que, au cours de son cycle de vie, le premier de ces véhicules électriques parcoure au moins 80 000 km pour que son avantage sur les véhicules thermiques puisse se manifester (Id.: 14).
- Par contre, quel que soit le mix électrique, les véhicules électriques ont un potentiel d’acidification de la basse atmosphère (par rejet de d’oxydes de soufre, d’oxydes d’azote, d’ammoniac, d’acide chlorhydrique et d’acide fluorhydrique), responsable des pluies acides, nettement plus élevé que les véhicules thermiques. En sont responsables la production d’électricité et surtout la fabrication des batteries, notamment lors de l’extraction des métaux entrant dans la composition de ces dernières (Id.: 18).
- Le véhicule électrique ne présente un faible avantage du point de vue du potentiel d’eutrophisation des eaux (principalement par émission d’oxydes d’azote) qu’à la condition d’être produit et alimenté par un mix énergétique peu carboné. Dans le cas contraire, il perd cet avantage au profit du véhicule essence (du fait de l’extraction des métaux nécessaires à la fabrication de la batterie) tout en continuant à être moins polluant sous ce rapport que les véhicules diesel (Id.: 20).
- Enfin, le véhicule électrique possède un moindre potentiel de création d’ozone troposphérique (du fait des émissions de composés organiques volatils) que les véhicules thermiques. Mais l’écart est faible relativement au véhicule essence, nettement plus accentué relativement au véhicule diesel (Id.: 22).
Ainsi, envisagé sur l’ensemble du cycle de vie, le bilan écologique de la voiture électrique comparé à celui de véhicules à motorisation thermique apparaît-il beaucoup moins favorable qu’il ne semble a priori. Une conclusion que vient confirmer et même renforcer l’étude publiée par l’Agence européenne de l’énergie [2]. La comparaison entre les deux types de véhicules repose sur les hypothèses d’un parcours total de 150 000 km, d’une durée de vie identique pour le véhicule électrique et sa batterie, celle-ci étant une batterie lithium – nickel – cobalt – manganèse (EEA, 2018: 6). Sur cette base, elle aboutit aux résultats suivants:
- S’agissant de l’émission de GES, le bilan est nettement défavorable aux véhicules électriques relativement aux véhicules thermiques pendant les phases de production des matières premières et des véhicules eux-mêmes, du fait que ces phases consomment plus d’énergie dans le cas des premiers que des seconds, en particulier lors de l’extraction et de la transformation des matières premières et de la production des batteries, notamment lorsque cette dernière a lieu dans des Etats dont le mix énergétique est très carboné, typiquement la Chine, la Corée du Sud et le Japon (Id.: pages 24-25). Cependant, ce surcroît d’émission peut être plus que compensé durant la phase d’usage du véhicule. Mais la proportion dans laquelle cela se produit dépend essentiellement du mix électrique alimentant la batterie. Si l’électricité est produite par le mix électrique qui est en moyenne celui de l’UE, un véhicule électrique «émettra» respectivement 17 à 21 % et 26 à 30 % moins de GES que respectivement un véhicule diesel et un véhicule essence; mais, si elle est produite par des centrales thermiques au charbon, c’est lui qui «émettra» le plus de GES; alors que, si l’électricité n’était que d’origine éolienne, les «émissions» du véhicule électrique pourraient être inférieures de 90 % à celles des véhicules thermiques (Id.: 57-58).
- S’agissant de la pollution atmosphérique dans les centres urbains, la comparaison est évidemment favorable au véhicule électrique, dont la circulation n’est cependant pas exempte d’émissions d’oxydes d’azote et de particules (du fait des frottements entre les pneus et la chaussée, notamment lors des freinages). Mais il faut aussi compter avec l’incidence sous ce double rapport de la plus forte pollution engendrée par le surcroît de consommation d’électricité, tant lors des phases de production du véhicule que lors des recharges des batteries, si le mix électrique est carboné et que les centrales thermiques ne sont pas suffisamment distantes des agglomérations urbaines (Id.: 59).
- La comparaison est également favorable au véhicule électrique s’agissant de la pollution sonore du moins en milieu urbain, où la vitesse de circulation des véhicules est faible. Mais, dès qu’elle dépasse 25 à 30 km/h, comme c’est ordinairement le cas sur route et autoroute, c’est le frottement des pneus avec le revêtement qui devient la source majeure du bruit et l’avantage du véhicule électrique tend à disparaître.
- Par contre, sur tous les autres rapports, le véhicule électrique est nettement plus toxique pour l’être humain que le véhicule thermique. Cela est dû au fait que le premier est nettement plus gourmand en cuivre et en nickel que le second. Les émissions toxiques liées à ces métaux se concentrent dans leur phase d’extraction et de transformation. Là encore, elles peuvent d’autant plus s’aggraver de celles qui se produisent lors de l’extraction de charbon que le mix électrique est carboné (Id.: 58).
- Et ce sont les mêmes facteurs qui dégradent le bilan du véhicule électrique relativement au véhicule thermique sous l’angle de sa toxicité pour l’environnement en général, s’agissant en particulier de la pollution des sols (acidification) et des eaux (acidification et eutrophisation), du fait d’émissions de dioxyde de soufre, d’oxydes d’azote et de particules (Id.: 59-60). Et, à chaque fois, le principal facteur de pollution réside dans le cœur du véhicule électrique, la batterie, qui est encore aggravé par la concentration de la production des batteries en Chine (Id.: 26-27).
En somme:
«Tout se passe donc comme si le pacte implicite de la voiture électrique était le suivant: pour espérer une réduction des émissions de CO2 qui repose elle-même sur une série d’hypothèses fragiles — petites voitures, allongement de la durée de vie des batteries, généralisation des énergies renouvelables —, ainsi qu’une réduction de la pollution et du bruit dans les villes, il faut générer d’autres pollutions, ailleurs» (Izoard, 2020a).
Les deux études précédentes convergent de fait vers la même conclusion: le bilan écologique de la voiture électrique est obéré par sa forte dépendance à l’égard du mix électrique présidant à sa production et à son usage et, plus encore, par sa gourmandise à l’égard des métaux, notamment ceux entrant dans la composition de sa batterie, l’extraction de leurs minerais comptant parmi les activités les plus désastreuses d’un point de vue écologique tandis que leur transformation est très énergivore. Pour améliorer ce bilan, s’agissant du mix électrique, ses partisans comptent essentiellement sur l’essor des énergies «renouvelables» et de l’énergie nucléaire (c’est notamment le cas en France pour cette dernière). Or les limites des premières nous sont connues [3] tandis que les dangers de la seconde ne demandent plus à être présentés.
La face cachée de l’électrique: les métaux
Par contre, il n’existe pas d’alternative véritable s’agissant des métaux. La production des batteries requiert, outre de l’acier ou du plastique pour la coque et du cuivre pour les liaisons entre éléments, soit du plomb, soit du lithium, du nickel, du cobalt et du manganèse (à quoi vient s’ajouter du graphite), en quantités variables selon les types de batteries. Or ces métaux présentent tous plusieurs inconvénients graves. L’extraction de leurs minerais se fait très souvent au détriment des écosystèmes et de leurs populations de vivants, humains et non humains, notamment dans les formations périphériques; elle nécessite de grandes quantités d’eaux [4], dans des régions qui en manquent souvent déjà, et elle est source de graves pollutions des eaux, des sols et de l’atmosphère; des effets mal documentés d’ailleurs et de ce fait mal pris en compte par les ACV. S’y ajoutent les grandes quantités d’eaux que nécessite leur raffinage depuis les minerais, elles aussi polluées par les produits chimiques utilisés pour cette opération, et qui aggravent le stress hydrique auquel sont fréquemment soumises les régions où ces minerais sont extraits.
Par ailleurs, la batterie alourdit considérablement le véhicule: sa masse moyenne est de 177 kg pour une petite cylindrée, de 253 kg pour une cylindrée moyenne, de 393 kg pour une grosse cylindrée et de 553 kg pour une voiture de luxe (EEA, 2018: 20). Pour compenser en partie cet alourdissement, les constructeurs automobiles sont obligés d’incorporer bien plus d’aluminium (mais aussi de composés de carbone et de plastiques) dans les autres éléments du véhicule (moteur, bâti, roues, carrosserie, etc.):
«(…) alors qu’une voiture particulière, dans l’Union européenne, contient déjà aujourd’hui en moyenne 179 kg d’aluminium, l’Audi e-tron, un SUV électrique, en enferme 804 kg! Or la production d’aluminium consomme trois fois plus d’énergie que celle de l’acier, et cette production est très émettrice de gaz à effet de serre (CO2 et perfluorocarbonés)» (Izoard, 2020b).
Elle est de surcroît source de pollutions des sols et des eaux par les résidus que le traitement de la bauxite engendre (les fameuses «boues rouges») qui contiennent de fortes concentrations de soude.
Mais un véhicule électrique est également très gourmand en cuivre qui est le meilleur conducteur électrique: en moyenne, il y en a quatre fois plus dans un véhicule électrique que dans un véhicule thermique (EEA, 2018: 14). Or l’extraction du cuivre est elle-même particulièrement polluante, parce que les minerais de cuivre contiennent ordinairement aussi des éléments toxiques comme l’arsenic, le plomb ou le cadmium. De plus, du fait de leur intense exploitation antérieure, la teneur en cuivre des minerais tend à baisser; ce qui signifie qu’il faut sans cesse augmenter la masse de minerais à extraire pour en obtenir une quantité déterminée de cuivre, avec l’augmentation des pollutions et de la consommation d’énergie (souvent d’origine fossile) afférentes. Tout boom des véhicules électriques ne ferait qu’amplifier (aggraver) l’ensemble de ce processus. D’autant plus qu’il impliquerait l’installation d’un réseau de stations publiques de bornes de recharge le long des routes et autoroutes, impliquant notamment des milliers de kilomètres de fils de cuivre, à enfouir pour une large part, au bilan écologique sans doute très lourd lui aussi. Un facteur dont n’ont pas tenu compte les deux études précédentes.
En définitive, l’usage intensif de tous ces métaux par la motorisation électrique soulève deux autres problèmes que n’abordent pas davantage les études précédentes mais sur lesquels se sont penchées deux études commanditées l’une par la Banque mondiale (World Bank Group et EGPS, 2017) et l’autre par l’Agence internationale de l’énergie (IEA, 2021). En premier lieu, celui la disponibilité de ces métaux en quantité et qualité requises. L’une et l’autre étude ont élaboré des projections donnant une idée du défi que représenterait le développement à grande échelle des véhicules électrique au regard de ces dernières. Ainsi, en se plaçant dans la perspective d’une limitation du réchauffement climatique à 2°C, conforme aux engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris en 2015, l’étude commanditée par la Banque mondiale estime que le développement à l’horizon 2030 d’une flotte mondiale de quelque 140 millions de véhicules électriques ferait, selon un scénario médian, bondir de plus de 1 000 % la demande mondiale d’aluminium, de cobalt, de fer, de lithium, de manganèse, de nickel et de plomb (là encore, le cuivre n’est pas mentionné), requis pour la construction de tels véhicules, par rapport à la poursuite de la croissance actuelle de cette demande (World Bank Group et EGPS, 2017: 16-18). Se plaçant dans la même perspective se conformant à l’Accord de Paris (scénario appelé SDS: Sustainable Development Scenario), l’étude menée par l’Agence internationale de l’énergie prévoit pour sa part que les minerais requis par les véhicules électriques et le stockage sur batterie en multiplieraient la demande au moins par trente d’ici à 2040:
«Le lithium connaît la croissance la plus rapide, la demande augmentant de plus de 40 fois d’ici 2040 dans le SDS, suivie de celle du graphite, du cobalt et du nickel (environ 20 à 25 fois). L’expansion des réseaux électriques implique que la demande de cuivre pour le câblage électrique fait plus que doubler au cours de la même période» (IEA, 2021: 8).
L’offre ne pourrait manifestement pas suivre une pareille explosion de la demande, comme le craint d’ailleurs cette étude: «La perspective d’une augmentation rapide de la demande de minéraux critiques – bien au-dessus de tout ce qui a été observé précédemment dans la plupart des cas – soulève d’énormes questions sur la disponibilité et la fiabilité de l’approvisionnement» (Id.: 11). Elle se heurterait, d’abord, aux limites des capacités de production actuellement installées (de l’extraction au raffinage), que seuls pourraient repousser des investissements colossaux [5], avant d’être rapidement confrontée aux limites des réserves de certains minerais (limites quantitatives [6] et qualitatives: la baisse du pourcentage de métal dans le minerai), que de semblables investissements (en prospection et en ouvertures de nouveaux sites d’extraction) ne suffiraient pas à lever, le tout entraînant nécessairement une augmentation continue du prix de ces métaux [7], qui plus est chaotique (faite de pics suivis d’effondrements, comme sur tous les marchés des matières premières), dissuadant les investissements continus, apposant ainsi une troisième limite à la réalisation du scénario idéal (en fait utopique) précédent.
Et le recyclage des véhicules en fin de vie n’offre que des perspectives modestes d’atténuation de ces contraintes. Il est certes envisagé de faire servir les batteries usagées (mais toujours fonctionnelles) pour lisser les apports intermittents des énergies «renouvelables» dans le cadre du déploiement des smart grids (réseaux «intelligents»), ce qui permettrait de réduire d’autant la demande en métaux nécessaires à cet emploi. Mais, une fois définitivement hors d’usage, le recyclage de leurs composants métalliques (impliquant des procédés eux-mêmes énergivores et polluants) ne pourrait guère couvrir que quelque 10 % de la demande à l’horizon 2040, sauf percée technologique d’ici là (IEA, 2021: 15-16).
En second lieu, les minerais contenant tous ces précieux métaux se localisent surtout dans les formations périphériques ou semi-périphériques. Les principales réserves de minerais d’aluminium se trouvent ainsi, par ordre décroissant d’importance, en Guinée, en Australie, au Brésil, au Vietnam et en Jamaïque; celles de cobalt en République démocratique du Congo (RDC) et en Australie; celles de cuivre au Chili, en Australie et au Pérou; celles de lithium au Chili, en Chine, en Argentine et en Australie; celles de manganèse en Afrique du Sud, en Ukraine et en Australie; et celles de nickel en Australie, en Nouvelle-Calédonie, à Cuba, en Indonésie et en Afrique du Sud (World Bank Group et EGPS, 2017: 31, 35, 37, 43, 45, 48). De plus, leur localisation est bien plus concentrée que ne l’est celle des combustibles fossiles: la RDC, un Etat en proie à des troubles politiques constants depuis des décennies, concentre à elle seule les deux tiers des réserves de cobalt; les trois premiers producteurs de minerais de cuivre en concentrent près de la moitié; les trois premiers producteurs de minerais de lithium plus des quatre cinquièmes; et les trois premiers producteurs de nickel plus de la moitié (IEA, 2021: 13). Et la concentration est encore plus forte au niveau du raffinage de ces métaux, la Chine y occupant une position dominante, en en assurant à elle seule entre le tiers et les deux tiers (Ibid.).
Dans la novlangue qui est la sienne, la Banque mondiale y voit une opportunité de «développement durable» pour ces formations: «Il est important que les pays en développement soient mieux placés pour décider comment tirer parti du futur marché des produits de base répondant aux objectifs climatiques et aux objectifs de développement durable (ODD) connexes» (Id.: xiii). Mais, le plus probable est que, mal placés comme ils le sont pour la plupart d’entre eux dans l’actuelle division internationale du travail et dans le système mondial des Etats (l’Afrique du Sud, l’Australie, le Brésil et la Chine mis à part), ce soient au contraire les Etats centraux qui continuent à décider de leur sort: soucieux de sécuriser leurs approvisionnements en ces précieux métaux, les seconds ne manqueront pas de renforcer leur emprise impérialiste sur les premiers ou les transformeront en champ d’affrontements de leur rivalité interimpérialiste (que ne manquera pas d’attiser la concentration des réserves, de l’extraction et du raffinage), tout en y créant les conditions d’un nouveau round d’affrontement entre les partisans d’un extractivisme repeint en «vert» et les défenseurs d’une préservation des écosystèmes et des populations que celui-ci menacera directement.
Mettre fin à la folie de la circulation automobile
Pour lever les contraintes liées à la gourmandise en métaux des véhicules électriques, notamment ceux compris dans la batterie, certains comptent sur l’alternative que constitue à leurs yeux la motorisation électrique par pile à combustible, par exemple une pile à hydrogène [8]. Mais c’est une alternative en trompe-l’œil. D’une part, puisque le dihydrogène est très rare dans la nature, il faut le produire et ses procédés de production sont très polluants, que l’on opère par reformage d’hydrocarbures (producteur de CO2) ou par électrolyse de l’eau, dépendante quant à son bilan carbone du mix électrique auquel elle fait appel. D’autre part, la pile à hydrogène incorpore elle-même de précieux métaux, tel le platine, au coût très élevé. A quoi viendraient enfin s’ajouter le coût d’installation du réseau de distribution du dihydrogène à mettre en place et tous dangers qu’il présente puisqu’il s’enflamme facilement au contact de l’air: faut-il rappeler ce qu’il est advenu du zeppelin Hindenburg, en 1937?
Le tout, pour finalement permettre la poursuite de cette folie écologique et sociale qu’est la circulation de centaines de millions de véhicules automobiles qui obstruent et polluent les espaces urbains et qui défigurent les paysages ruraux. Car, qu’elle soit thermique ou électrique, une voiture engendre par sa circulation une pollution atmosphérique due aux particules fines et microplastiques engendrée par l’usure des pneus, des freins, de la chaussée, etc., accrue dans le cas de la voiture électrique du fait de sa masse plus importante. Elle défigure le paysage par les routes, autoroutes, parkings, etc., tous très gourmands en matériaux [8]. Elle est source de pollution lumineuse, etc. Alors que l’avenir devrait être à la réduction de la mobilité, bien plus souvent contrainte que volontaire, ce qui suppose des révisions drastiques en matière d’urbanisation et d’aménagement du territoire; et au recours aux mobilités alternatives: marche, bicyclette, partage des véhicules, transports collectifs, etc., ce qui suppose des révisions non moins drastiques en termes d’emploi du temps. (Article reçu le 10 novembre 2024)
Notes
[1] Le rendement est le rapport entre l’énergie consommée par un moteur et l’énergie produite par lui.
[2] Cette étude élargit l’analyse du cycle de vie en se plaçant aussi du point de vue plus large de «l’économie circulaire», en envisageant en particulier la possibilité de recycler (ou non) les composant du véhicule ou de leur offrir une «seconde vie». Mais, sous ce rapport, elle se concentre essentiellement sur les perspectives d’amélioration du bilan du véhicule électrique, en délaissant sa comparaison avec les véhicules thermiques.
[3] Cf. «Le mirage des énergies “renouvelables”« https://alencontre.org/ecologie/le-mirage-des-energies-renouvelables.html
[4] Il faut 2 200 m3 d’eau pour produire une tonne de lithium (Baldeschi, Cohen et Drut, 2023: 56).
[5] «Pour répondre, à l’horizon 2035, à la seule demande de batteries pour les véhicules électriques, 400 nouvelles mines devront entrer en exploitation à travers le monde (dont 97 pour le graphite naturel, 74 pour le lithium et 72 pour le nickel» (Pitron, 2023: 246). Etant donné qu’il faut en moyenne 16,5 années pour démarrer une nouvelle mine, le projet est d’ores et déjà compromis.
[6] «Au niveau mondial, l’Institut géologique des Etats-Unis (USGS) estime en 2024 les réserves de bauxite à 22 milliards de tonnes, à 11 millions pour le cobalt, 28 millions pour le lithium et 110 millions pour les terres rares. Si l’on considère le niveau de consommation actuel, le ratio réserves sur production se situe respectivement à 56 années, 48 années, 156 années et 314 années, des chiffres qui ont peu variés sur le long terme» (Hache et Roche, 2024: 81). Mais c’est sans compter avec le fait que le propre du productivisme capitaliste est d’augmenter constamment le niveau de consommation.
[7] Une étude du FMI est parvenue à la conclusion que «(…) dans un scénario où tout est mis en œuvre pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, les prix du lithium, du cobalt et du nickel seraient multipliés par 2 ou 3 par rapport aux niveaux moyens de 2020, et ils augmenteraient de 60 % pour le cuivre» (Baldeschi, Cohen et Drut, 2023: 49-50).
[8] Dans une pile ordinaire, la tension électrique naît d’une réaction chimique d’oxydoréduction entre des métaux. Dans une pile dite à hydrogène, elle naît de l’oxydation de dihydrogène (qui sert de «combustible») couplée à la réduction du dioxygène contenu dans l’air, l’ensemble générant outre un courant électrique, de la chaleur et de la vapeur d’eau.
[9] «en 2020, 100 m d’autoroute, c’est jusqu’à 20 000 m3 de terre déplacée et 3 000 tonnes de sables et graviers pour une plate-forme de 34 m de large en moyenne et une emprise totale de 100 m, soit une surface de 1 ha» (Magalhães, 2024).
Bibliographie
Baldeschi Laetitia, Cohen Juliette et Drut Bastien (2023), Turbulescences dans l’économie mondiale. Transition énergétique, bouleversements démographiques, raréfaction des ressources, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur.
Canaguier Benjamin et alii (2013), Elaboration selon les principes des ACV des bilans énergétiques, des émissions de gaz à effet de serre et des autres impacts environnementaux induits par l’ensemble des filières de véhicules électriques et de véhicules thermiques, VP de segment B (citadine polyvalente) et VUL à l’horizon 2012 et 2020. Résumé du rapport final, Ademe, Angers.
EEA (European Environment Agency) (2018), Electric vehicles from life cycle and circular economy perspectives. TERM 2018: Transport and Environment Reporting Mechanism (TERM) report, EEA Report n°13/218, Copenhague.
IEA (2021), The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions, Paris, Agence Internationale de l’Energie.
Hache Emmanuel et Roche Candice (2024), «Métaux de la transition: limites planétaires, dépendances géopolitiques», Raison présente, n°230.
Izoard Cecilia (2020a), «Non, la voiture électrique n’est pas écologique», Reporterre, 1er septembre 2020.
Izoard Cecilia (2020b), «La voiture électrique cause une énorme pollution minière», Reporterre, 2 septembre 2020.
Magalhães Nelo (2024), «L’autoroute et le marchand de sable», Le Monde diplomatique, avril 2024.
Pitron Guillaume (2023), La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, 2eédition actualisée et augmentée, Paris, Les liens qui libèrent.
World Bank Group et EGPS (Extractives Global Programmatic Support) (2017), The Growing Role of Minerals and Metals for a Low Carbon Future, Washington, Banque mondiale.
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