Pérou. La troisième vague de protestations est relancée ce 19 juillet 

Par Carlos Noriega (Lima)

 L’impopulaire présidente Dina Boluarte, rejetée par 80% des personnes selon un récent sondage, fait face à une nouvelle vague de protestations exigeant sa démission. Les principaux syndicats et organisations sociales ont appelé à une grève nationale pour le mercredi 19 juillet, qui devrait marquer le début des mobilisations dans tout le pays. Les organisateurs de la manifestation affirment que l’objectif est de faire tomber le gouvernement, qu’ils qualifient d’«illégitime et criminel».

Le mouvement de protestation

Avec cette grève, les protestations qui ont éclaté en décembre 2022 après la destitution et l’emprisonnement de l’ancien président Pedro Castillo et son remplacement par Dina Boluarte reprennent à l’occasion d’une troisième vague. Les habitants de l’intérieur du pays, principalement des paysans, se mobiliseront à Lima venant de différentes provinces, principalement des régions andines, pour se joindre à la protestation dans la capitale. Des mobilisations ont également été appelées dans les provinces du pays. Les manifestations les plus importantes devraient avoir lieu dans le sud des Andes, comme c’est le cas depuis décembre.

Outre la démission de Dina Boluarte, la plateforme de protestation exige la dissolution du Congrès discrédité, dont le taux d’approbation n’est que de 6%, et l’avancement des élections générales prévues pour avril 2026. Dina Boluarte avait annoncé des élections anticipées au milieu des manifestations de masse de décembre et de janvier, mais elle a maintenant changé de position et déclaré qu’elle gouvernerait jusqu’en 2026, dans le cadre d’un accord avec la majorité parlementaire. 82% des électeurs réclament des élections anticipées.

Assassins et putschistes

Les organisations qui appellent à la grève et aux mobilisations qualifient Dina Boluarte d’«meurtrière» et le Congrès de «putschiste et corrompu». Une autre revendication est un référendum pour demander une Assemblée constituante afin de changer la Constitution issue de la dictature d’Alberto Fujimori [1990-2000]. La droite s’accroche à cette Constitution néolibérale et, craignant une défaite dans les urnes, s’oppose fermement à un référendum pour une Assemblée constituante. Cette position de droite est soutenue par Dina Boluarte, qui est entrée dans un gouvernement de gauche en tant que colistière de Pedro Castillo à la présidence [28 juillet 2021-7 décembre 2022], promettant alors l’Assemblée constituante qu’elle rejette aujourd’hui et qu’elle cherche à discréditer en la qualifiant de proposition «extrémiste». Dès son accession à la présidence [7 décembre 2022], Dina Boluarte s’est alliée à la droite et à l’extrême-droite qui contrôlent le Congrès.

La poursuite des responsables des morts survenues lors de la répression des manifestations des mois précédents est une autre revendication centrale de cette nouvelle mobilisation. La libération des personnes détenues à l’occasion de ces manifestations est également demandée. La répression a fait 49 morts suite à des tirs de la police et de l’armée, en grande majorité des paysans. Le pouvoir exécutif et le Congrès justifient ces meurtres et ont soutenu à plusieurs reprises les forces de sécurité accusées d’avoir tiré sur la population.

Le bureau du procureur, dirigé par un procureur allié à la droite au pouvoir, a lancé une enquête sur ces morts, mais il n’avance pas et semble plus soucieux d’assurer la garantie de l’impunité que de faire passer la justice. «Pour l’extrême-droite néo-fasciste et raciste, un paysan ou un indigène mort ne vaut rien», dénoncent les organisateurs de la manifestation dans un communiqué. Défendre la démocratie est un slogan qui marque cette relance de la protestation contre le régime de l’alliance entre Boluarte et  la majorité parlementaire, cela au moment où la droite mène depuis le Congrès une offensive afin de contrôler la justice, les systèmes électoraux et les différentes institutions de la «démocratie», dans un projet de consolidation d’un régime autoritaire.

L’occupation de San Marcos

Les étudiant·e·s de l’Université nationale de San Marcos, la plus ancienne et la plus grande du pays, ont pris le contrôle de l’université vendredi soir 14 juillet pour protester contre la décision du recteur de suspendre son fonctionnement en raison de la grève du 19. Cette décision du recteur n’est pas un soutien à la grève, au contraire, l’objectif est de fermer une université dont les étudiant·e·s soutiennent majoritairement les manifestations anti-gouvernementales et qui avait déjà accueilli des manifestant·e·s des provinces sur le campus [voir à ce propos l’article publié sur ce site le 23 janvier 2023 http://alencontre.org/ameriques/amelat/perou/perou-une-intervention-policiere-dans-luniversite-san-marcos-une-action-plus-vue-depuis-la-dictature-dalberto-fujimori.html].

Dans une démonstration de force répressive, le gouvernement a fait défiler ce week-end du 15 et 16 juillet des milliers de policiers et de chars dans les rues du centre de Lima. Répétant la stratégie utilisée contre les manifestations des mois précédents, le régime criminalise les mobilisations sociales en accusant les manifestants d’être violents et terroristes. Le discours officiel a ressuscité le groupe armé maoïste Sentier lumineux, vaincu il y a trois décennies, pour l’associer aux manifestations, justifier la répression et instiller la peur en exhibant ce spectre.

Le spectre de la terreur

En réponse à cette campagne menée par le régime et les grands médias, la Coordinadora Nacional Unitaria de Lucha, qui regroupe plus d’une douzaine d’organisations appelant à la grève du 19 juillet, a exprimé dans un communiqué son rejet «du discours de haine, de la politique de la peur et du terrorisme médiatique promus par l’extrême-droite mafieuse au moyen de sa presse mercenaire, ainsi que de la coalition dictatoriale du régime civil-militaire et du Congrès, qui tentent de rattacher notre lutte démocratique nationale, et nos dirigeants, à une organisation terroriste qui n’existe plus».

Gerónimo López, membre du comité de coordination et secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs péruviens (CGTP), la principale confédération syndicale du pays, a justifié ainsi la grève: «La voie pour retrouver la paix sociale passe par de nouvelles élections générales, parce qu’il n’y a pas de démocratie aujourd’hui. Il n’y a de démocratie que pour les fascistes qui attaquent et agressent, mais les gens qui veulent sortir et mener la lutte sont réprimés par des balles. S’ils ne veulent pas renoncer, il n’y aura pas de paix sociale. Les gens sortiront pour récupérer la démocratie qui a été détournée par le gouvernement et le Congrès.» (Article publié sur le site du quotidien argentin Pagina/12 le 16 juillet 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*