Par Carlos Noriega (Lima)
Les manifestations de rue contre le gouvernement de Dina Boluarte ont repris. Ce mardi 30 mai, une grève s’est déclenchée dans la région montagneuse de Puno pour exiger la démission de la présidente, la fermeture du Congrès contrôlé par la droite et des élections anticipées. A ces revendications s’ajoute la demande de justice pour les morts causées par la répression des mois précédents. Les manifestations qui ont éclaté en décembre, lorsque Dina Boluarte a succédé à Pedro Castillo, évincé et emprisonné, se sont essoufflées après trois mois de répression brutale. Mais le rejet généralisé du gouvernement n’a pas faibli. Un sondage de l’Institut d’études péruviennes (IEP), publié dimanche 28 mai, révèle que 79% des personnes interrogées rejettent l’administration de DIna Boluarte et que 15% seulement la soutiennent. Le Congrès est désavoué par 90% des personnes interrogées et accepté par un maigre 6% d’entre elles. Avec le retour de ce rejet dans les rues, à Puno, les gens ont à nouveau scandé «cette démocratie n’est plus une démocratie, Dina assassine, le peuple te répudie, combien de morts veux-tu pour te faire démissionner…».
Quatre mille policiers
Le gouvernement national a envoyé quatre mille policiers à Puno [ville et région] pour rejoindre les forces de sécurité de la région. A l’heure où nous mettons sous presse, aucun affrontement n’a été signalé. Puno a été le théâtre des plus grandes manifestations antigouvernementales et de la répression la plus sévère au cours des derniers mois. Le 9 janvier, un massacre a eu lieu à Juliaca, la ville la plus peuplée de la région de Puno, lorsque les forces de sécurité ont tiré sur la population, tuant 18 personnes et en blessant des dizaines d’autres. Le bilan de la répression dans cette région andine s’élève désormais à 22 morts. Dans l’ensemble du pays, les manifestations ont fait 67 morts, dont 49 ont été abattus par la police et l’armée.
La grève de 24 heures à Puno, appelée «paro seco» [route bloquée, paralysation de la région], a été convoquée par diverses organisations sociales et paysannes de la région et par les proches des victimes de la répression, regroupés au sein de l’«Association des martyrs et victimes du 9 janvier – Juliaca». Une autre grève régionale est annoncée pour le mois de juin. Depuis différentes régions, une marche des provinces vers Lima est convoquée pour le mois de juillet afin d’exiger la démission du gouvernement de la capitale.
Dans une région durement touchée par la répression et par l’impact économique des manifestations massives des mois précédents sur une population majoritairement pauvre et déjà durement touchée par la crise, la grève de mardi a été partiellement observée. Des routes et des autoroutes ont été bloquées, y compris le pont international reliant Puno à la Bolivie. A Juliaca, les transports publics fonctionnaient, les institutions publiques étaient soumises à des restrictions, les activités économiques privées étaient partiellement fermées et les écoles suspendaient les cours. Dans d’autres provinces de la région, la grève a été plus vigoureuse. Des manifestations et des protestations ont eu lieu devant le bureau du procureur général de Juliaca pour demander justice pour les morts.
Les victimes
«La grève a été observée à 50 %. Les manifestations et les arrêts de travail précédents ont durement touché la population. Lors du sit-in devant le bureau du procureur, nous avons exigé que les enquêtes des procureurs sur les décès survenus lors des manifestations qui ont été transférées à Lima soient renvoyées à Juliaca, car ce transfert affecte leur progression. Nous ne voyons aucune volonté d’enquêter», nous a déclaré Raúl Samillán, président de l’Association des martyrs et victimes du 9 janvier – Juliaca. Son frère, Marco Antonio, médecin récemment diplômé, a été abattu par la police alors qu’il soignait l’un des blessés dans la rue lors des manifestations du 9 janvier.
Nous nous sommes entretenus avec l’un des avocats des victimes, Wilmer Quiroz, au sujet de la remise en question du transfert dans la capitale de l’enquête du procureur sur le massacre de Juliaca. «Ce transfert viole la procédure régulière, car la règle exige qu’une enquête soit menée là où les événements ont eu lieu, et crée une inégalité des moyens, car les victimes n’ont pas les moyens de se rendre dans la capitale. La conséquence est qu’il n’y a pas d’enquête, c’est la volonté du bureau du procureur. Cela fait presque cinq mois, il y a des preuves que la police a causé les décès, mais jusqu’à présent il n’y a pas un seul accusé.» Dans son évaluation de la grève régionale, Quiroz, qui vit à Juliaca, reconnaît qu’elle a été observée à 50%.
Plaintes pour violation des droits de l’homme
La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) et des organisations internationales et nationales de défense des droits de l’homme, telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch, le coordinateur national des droits de l’homme et d’autres, ont dénoncé l’usage excessif et abusif de la force contre les mobilisations populaires, les exécutions extrajudiciaires, les détentions arbitraires, les mauvais traitements infligés aux blessés et aux familles des victimes, ainsi que les préjugés racistes visant les populations andines dans le cadre de la répression. Le gouvernement, ses alliés de droite au Congrès et les médias hégémoniques ont soutenu et même félicité les forces de sécurité accusées d’avoir tiré sur la population, et ont stigmatisé et criminalisé les manifestants. Face à la grève de Puno et à l’annonce de la reprise des manifestations, ils ont repris leur discours menaçant.
Dans les prochains jours, Dina Boluarte devra témoigner concernant la répression devant le ministère public. Mais la procureure Patricia Benavides, chargée de l’enquête sur la présidente, est proche de la coalition autoritaire au pouvoir, et ses actions visent à étouffer l’affaire plutôt qu’à enquêter. Dans ce scénario, la comparution de Boluarte devant le bureau du procureur est présentée comme une mise en scène. (Article publié dans le quotidien argentin Página/12 le 31 mai 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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