Par Yassamine Mather
Au début de la nouvelle année iranienne et après des mois de protestations contre le «hijab obligatoire», qui oblige les femmes à porter le voile en public, le régime islamique a décidé de mettre en œuvre une nouvelle législation et de nouvelles pratiques sur cette question épineuse.
Ces derniers mois, un grand nombre de femmes ont commencé à défier les tentatives visant à s’assurer qu’elles portaient le hijab «correctement». Cela signifie que les cheveux, y compris les franges, ainsi que le front et le menton doivent être entièrement couverts. Dans la plupart des villes iraniennes, certaines femmes ne portent plus du tout le foulard. Cette nouvelle répression, en plein mois de Ramadan, reflète donc la tentative du régime de restaurer son autorité.
Le 9 avril, la télévision d’Etat iranienne a diffusé une vidéo montrant des agents de sécurité contrôlant l’entrée d’un certain nombre de stations de métro de Téhéran, empêchant celles qui ne portaient pas le hijab d’entrer. En outre, Ahmad-Reza Radan, commandant en chef du commandement de l’application de la loi de la République islamique d’Iran depuis janvier 2023, a averti les citoyens qu’à partir du 15 avril, les personnes qui ne respectent pas les règles relatives au port du hijab seront identifiées et soumises au système judiciaire. Il a ajouté: «La police utilisera des systèmes informatiques pour prévenir toute tension et tout conflit avec les citoyens dans le cadre de l’application de la loi sur le hijab.»
Mohammad Hossein Hamidi, commandant de la police de la circulation du Grand Téhéran, a également prévenu les habitant·e·s de la capitale que les institutions gouvernementales utiliseraient des «caméras de surveillance dans toute la ville» pour poursuivre les violations du hijab obligatoire.
Toutefois, bien que la police ait confirmé que les femmes ne portant pas le hijab seraient poursuivies, de nombreux députés doutent de l’efficacité de ces nouvelles restrictions. Au Majles (parlement), Morteza Hosseini a déclaré qu’une telle démarche n’était «ni pratique ni sage». Il a ajouté: «Toute action dans ce domaine devrait se fonder sur la loi approuvée par le Majles islamique.» Plutôt que de mettre en œuvre les mesures proposées, il a appelé le chef de la police à «consacrer sa force et son énergie à la lutte contre les hommes qui enfreignent la loi – extorqueurs et trafiquants de drogue – ainsi qu’à la sécurité routière».
En outre, jusqu’à présent, les menaces n’ont pas eu beaucoup d’effet sur les opposant·e·s au hijab obligatoire, et l’on peut encore voir des femmes se promener dans les rues sans se couvrir la tête – du moins dans les grandes villes, en particulier à Téhéran. La semaine dernière, deux actrices relativement célèbres ont assisté aux funérailles publiques d’un réalisateur, sans porter de foulard.
Au cours des six derniers mois, dans le cadre des manifestations nationales qui ont débuté après l’assassinat de Mahsa (Jina) Amini, détenue par le Gasht-e Ershad (police des mœurs) en septembre 2022, certaines femmes ont brûlé publiquement leur foulard pour protester contre le hijab obligatoire. Beaucoup d’autres ont simplement refusé de porter le foulard, s’attirant souvent le soutien de l’opinion publique pour leur bravoure.
Sur les campus universitaires, le gouvernement a averti les étudiantes et le personnel de la nécessité de respecter les règles relatives au hijab: les ministères de l’Education et des Sciences ont tous deux déclaré, le premier jour de la réouverture des écoles et des universités après les vacances de Nowruz (nouvel an iranien), qui viennent de s’achever, que les étudiantes qui ne respecteraient pas les règles relatives au hijab seraient privées d’éducation. Toutefois, sur la plupart des campus, un nombre important d’étudiantes refusent encore de se couvrir les cheveux et mènent des actions de protestation.
Empoisonnement
Cette semaine, l’actualité a été dominée par la poursuite de ce qui est devenu la «vague d’empoisonnement» des étudiantes à travers l’Iran. Selon des vidéos et d’autres images diffusées sur les médias sociaux, des étudiantes ont été empoisonnées dans les villes de Chahriar, Bandar Ganaveh, Ashnoye, Amol, Shahin Shahr et Tabriz.
Une vidéo envoyée de Chahriar, près de Téhéran, montre des personnes se plaignant du fait que la police est arrivée sur les lieux à la suite d’un empoisonnement, mais qu’il n’y avait aucun signe d’ambulance. Une autre vidéo envoyée de Shahin Shahr, dans la province d’Ispahan, montre des parents désespérés se précipitant autour de l’école pour essayer de trouver un moyen d’aider leurs filles, qui ont également été victimes d’un empoisonnement.
Le 11 avril, l’université de Téhéran a signalé que les étudiant·e·s et le personnel se plaignaient d’avoir «inhalé une odeur semblable à celle de la peinture utilisée pour des démarcations dans la rue». Cela a entraîné «des symptômes de détresse respiratoire, y compris des brûlures dans la gorge, chez les étudiantes du dortoir».
Tout cela se poursuit malgré la condamnation par le Guide suprême de cette vague d’empoisonnement et ses «instructions» pour trouver et punir les coupables. Mais la question demeure: qui sont les forces qui se cachent derrière tout cela? Il est clair que, la République islamique étant confrontée à la crise la plus grave de ses 44 années d’existence, il existe au sein même du régime des factions qui se situent à la droite même des éléments les plus conservateurs actuellement au pouvoir – factions qui s’opposent vraisemblablement aux politiques des gouvernements successifs autorisant l’enseignement secondaire pour les filles, sans parler de l’enseignement universitaire. Et ce, dans un pays où le nombre de candidates à l’université est, selon les chiffres officiels, supérieur à celui des hommes, et où le pourcentage de femmes dans les départements de sciences et d’ingénierie est bien plus élevé que dans les universités européennes et nord-américaines.
Différences
En ce qui concerne l’opposition, outre la confusion qui règne au sein de la gauche en exil, il y a une bonne nouvelle: les partisans de Reza Pahlavi, le fils de l’ancien shah, ont manifestement des divergences importantes. Le dernier conflit en date concerne l’ajout de nouveaux noms (ceux de personnalités connues) à la Charte de solidarité des opposants au gouvernement iranien, promue par Reza Pahlavi.
Il y a deux semaines, une controverse a éclaté après que les royalistes ont mis en place un certain nombre de crowdfunding. Dans un premier temps, ils ont affirmé qu’une partie des fonds collectés serait utilisée pour aider les Iraniens confrontés à des difficultés financières (ce qui est ironique, car ces difficultés sont en partie causées par les sanctions réclamées par cette même opposition qui réclame un «changement de régime par le haut»). Cependant, ils ont rapidement nié avoir envoyé des fonds à l’Iran. Tout ce qui sera collecté sera utilisé pour financer la publicité, les voyages [1], les apparitions dans les médias, etc.
Une page de crowdfunding que j’ai vue (bien que je doive souligner qu’il s’agit peut-être d’un faux) visait à collecter des fonds pour acheter une tiare pour l’épouse de Reza Pahlavi! Bien sûr, il est de notoriété publique que le fils de l’ex-shah a réussi à dilapider la plus grande partie de la fortune volée par sa famille lorsqu’elle s’est enfuie après la révolution de 1979. Mais Pahlavi accuse un «ami proche» anonyme de l’avoir poussé à transférer de l’argent sur un compte douteux.
Quelle que soit la réalité, les efforts actuels de collecte de fonds provoquent des divisions parmi ses plus proches alliés – il est clair qu’ils veulent une «part équitable» de tout ce qui est collecté aux Etats-Unis et ailleurs. (Article publié dans Weekly Worker, le 13 avril 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
_______
[1] Haaretz du 16 avril 2023 annonce la visite de Reza Pahlavi en Israël. Le ministre des Renseignements a déclaré: «Nous sommes heureux d’accueillir le prince héritier d’Iran et nous admirons le courage dont il a fait preuve en visitant Israël pour la première fois.» Quant à Reza Pahlavi, il a tweeté: «Je me rends en Israël pour transmettre un message d’amitié de la part du peuple iranien, pour discuter avec des experts en eau israéliens des moyens de remédier à l’utilisation abusive des ressources naturelles de l’Iran par le régime.» (Réd.)
Soyez le premier à commenter