Par Oren Ziv
Quelques jours seulement après que le Premier ministre Benyamin Netanyahou a annoncé qu’il mettait son coup d’Etat judiciaire «en attente» jusqu’à la fin de la fête de l’indépendance d’Israël (26 avril 2023), les leaders de la contestation ne semblent pas avoir l’intention de faire marche arrière. Lors d’un grand rassemblement lundi 27 mars devant la Knesset à Jérusalem, les orateurs ont déclaré les uns après les autres qu’ils ne se contenteraient pas d’une simple pause dans la procédure de réforme judiciaire, mais qu’ils avaient l’intention d’en obtenir l’annulation complète.
En effet, la bataille entre les manifestant·e·s et le gouvernement, qui fait rage depuis maintenant trois mois, n’est pas près de s’apaiser. Mercredi, malgré la «pause» annoncée le 27 mars, l’un des textes législatifs les plus controversés de la coalition – accordant au gouvernement un contrôle quasi total sur la nomination des juges – a été présenté à la Knesset. Les députés ont affirmé qu’il ne s’agissait que d’une «procédure technique» et qu’ils n’avaient pas l’intention de la soumettre au vote avant la fin de la session parlementaire actuelle, la semaine prochaine.
Les leaders de la contestation rejettent cette interprétation. «Contrairement à ce que pensent Netanyahou, Simcha Rothman [président du Comité de la Knesset pour la Constitution, la loi et la justice, membre du Parti sioniste religieux] et Itamar Ben Gvir [ministre de la Sécurité nationale], les personnes qui sont descendues dans les rues ne sont pas naïves», ont-ils écrit dans un message. «Nous ne laisserons pas passer des lois dictatoriales.» Ils ont également appelé les partis d’opposition de la Knesset à reconnaître que toute négociation avec le Premier ministre sur la réforme judiciaire faisait simplement partie d’un «spectacle théâtral du dictateur Netanyahou».
Le gouvernement, quant à lui, se prépare à affronter les manifestants de manière encore plus agressive. Des membres de la coalition, dont le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, ont menacé de démissionner si Netanyahou cédait aux exigences des manifestant·e·s. Pour apaiser son partenaire kahaniste [qui se réclame de Meir Kahane, qui fut interdit par la Cour suprême d’Israël, en 1988, de se présenter aux élections pour «racisme et antidémocratisme»] et gagner du temps, Netanyahou a signé un accord selon lequel il s’engage à créer une «garde nationale» qui sera supervisée directement par le bureau d’Itamar Ben Gvir. «La garde nationale défendra nos agriculteurs contre le terrorisme agricole, les incendies de matériel, les vols et les destructions… Et elle arrivera à chaque endroit qui, au cours des années précédentes, a été considéré comme hors de la juridiction de l’Etat d’Israël», a déclaré Itamar Ben Gvir.
L’objectif réel de cette «garde nationale» ne fait cependant aucun doute. Quelques minutes après l’annonce de l’accord, Kobi Shabtai – Inspecteur général de la police israélienne depuis janvier 2021 – a été entendu en train de crier dans son téléphone portable: «Il [Netanyahou] a donné une milice à Ben Gvir!» Les dirigeants de la manifestation ne se faisaient pas non plus d’illusions: «Les terroristes de Ben Gvir et Bezalel Smotrich [ministre des Finances et ministre délégué à la Défense] seront rebaptisés et recevront de nouvelles armes de la part de l’Etat. Ils nous entraînent dans une guerre civile.»
Les manifestations nationales hebdomadaires devraient donc se poursuivre samedi 1er avril [1]. Mais le scepticisme quant aux prochaines actions du gouvernement n’a pas entamé le sentiment de victoire des manifestant·e·s.
Ce qui a temporairement stoppé l’assaut de la coalition, ce sont avant tout les centaines de milliers de personnes qui sont descendues dans les rues de Tel-Aviv, Jérusalem, Haïfa, Be’er Sheva et des dizaines d’autres localités au cours des trois derniers mois. Cette semaine, ces manifestants ont bloqué l’autoroute Ayalon à Tel-Aviv, érigé des barricades auxquelles le feu a été mis et n’ont pas eu peur de tenir tête à la police. Sans leurs confrontations et leur insistance à perturber la routine quotidienne, la protestation n’aurait pas pris l’ampleur locale et l’audience internationale qu’elle connaît aujourd’hui. Actuellement, une nouvelle revendication, bien que floue, a commencé à émerger des manifestations. Elle est encore plus ambitieuse que la simple annulation de la réforme ou la destitution du gouvernement: la revendication d’une «Constitution [Israël ne dispose pas d’une Constitution] et de l’égalité».
Pour tenter de saper le nouveau rapport de force dans la rue, la droite dure israélienne commence à descendre dans la rue par dizaines de milliers, en particulier à Jérusalem, où la plupart des partisans du gouvernement sont des colons et des sionistes religieux. Certains d’entre eux se sont déjà montrés violents: Yossi Eli, journaliste de Channel 13, a déclaré que des membres de La Familia, les supporters racistes «ultra» du club de football Beitar Jerusalem, l’ont agressé lors de la manifestation de Jérusalem, lui brisant les côtes et le blessant à la rate. Ont également été violemment attaqués le reporter Tamer Alkilani et le caméraman Avi Kashman, tous deux de la chaîne en langue arabe Kan 33 [fondée en 2017], de la société de radiodiffusion publique israélienne.
A Tel-Aviv, quelques centaines de militants de droite ont participé à une contre-manifestation du mouvement antigouvernemental à la jonction des trois gratte-ciel de l’Azrieli Center. Ils ont brandi des pancartes portant l’inscription «64» – en référence aux 64 membres de la Knesset faisant partie de la coalition – et des drapeaux israéliens sur lesquels ils ont écrit le mot «transfert» en hébreu [terme faisant référence à l’expulsion de Palestiniens], tentant apparemment de récupérer le drapeau israélien qu’ils considèrent comme «coopté» par les manifestants.
De l’autre côté, à Tel-Aviv, des centaines de manifestants anti-gouvernementaux se sont rassemblés en scandant «Ben Gvir est un terroriste». Ils ont tenté de repousser les militants de droite agressifs, mais la police, dont certains étaient montés sur des chevaux, est intervenue. Certains des militants d’ultra-droite se sont ensuite dirigés vers le quartier de Sarona [quartier branché], attaquant d’autres manifestants anti-gouvernementaux à l’aide de gaz poivré et leur jetant des objets.
La violence n’est pas seulement le fait des militants de droite. Indépendamment du ressentiment de l’Inspecteur général de la police Kobi Shabtai à l’égard des politiciens au pouvoir, la police a clairement voulu empêcher les manifestants de s’engager sur l’autoroute Ayalon. Des officiers en civil attaquant la manifestation avec des canons à eau, des chevaux et des grenades assourdissantes. Agissant dans l’esprit de Ben Gvir, la police et la droite sont déterminées à arrêter le mouvement de protestation à tout prix. Les manifestants ont clairement fait savoir qu’ils ne se rendraient pas si facilement. (Newsletter du site +972, en date du 31 mars; traduction rédaction A l’Encontre)
Oren Ziv, reporter pour le site en hébreu Local Call et membre du collectif de photographes Activestills
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[1] Selon le quotidien Haaretz du 2 avril: «Des centaines de milliers d’Israéliens ont manifesté contre le projet de réforme judiciaire du gouvernement dans des dizaines de localités samedi 1er avril, signe que l’annonce faite cette semaine par le Premier ministre Benyamin Netanyahou de suspendre temporairement la procédure de réforme du statut de la Cour suprême n’a pas calmé l’opposition. Il s’agissait de la treizième semaine de manifestations contre la décision du gouvernement d’étendre les pouvoirs exécutif et législatif au détriment du pouvoir judiciaire. Les villes de Jérusalem, Tel-Aviv, Haïfa, Netanya et Ashdod ont été le théâtre de manifestations importantes.
Les forces de l’ordre ont utilisé des canons à eau, la police montée et, pour la première fois, un «canon à son» – un puissant haut-parleur qui émet des bruits à très haute fréquence – pour disperser les manifestant·e·s qui bloquaient l’autoroute Ayalon à Tel-Aviv. Dix-neuf personnes ont été arrêtées et des images vidéo ont montré un policier à cheval en train de fouetter l’un des manifestants.
A Haïfa, la police a empêché les manifestants anti-occupation, dont certains arboraient le drapeau palestinien, de marcher pour rejoindre la manifestation centrale de la ville. «Les officiers de police ont dit qu’ils ne pouvaient laisser passer les personnes portant des drapeaux palestiniens parce que c’est une provocation», a déclaré un manifestant. Un manifestant tenant un drapeau palestinien a été arrêté, la police affirmant qu’il avait tenté de forcer le passage et bousculé les agents.» (Réd.)
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