Par Valério Arcary
L’épisode de mercredi 26 octobre 2022 [voir le paragraphe ci-dessous] était d’une extrême gravité. Bolsonaro a voulu créer ainsi un scandale en prônant le report des élections. Il a commencé à fabriquer des prétextes pour contester le résultat avec une tonalité golpiste, prévoyant la perspective d’une victoire de Lula. Il se repositionne pour un «troisième tour» au cours de deux prochains mois durant lesquels il résidera encore au palais du Planalto, c’est-à-dire pour la phase qui s’ouvre après le dimanche 30 octobre, une fois la défaite confirmée.
Jair Bolsonaro s’inquiète de son sort car il sait que, hors du pouvoir, il fera l’objet d’une enquête et pourrait être condamné et emprisonné.
Le faux communiqué ayant trait à une présumée fraude concernant les insertions radiophoniques en défaveur de Bolsonaro était une tentative de préparer le terrain pour une nouvelle campagne golpiste. Bolsonaro n’est pas en mesure d’articuler un putsch: il conserve une énorme influence politique sur un large secteur de la bourgeoisie, mais la classe dirigeante est divisée et sur le plan international une telle initiative serait intenable. Le plan résidait dans une attaque frontale contre Alexandre de Moraes [1], président du Tribunal supérieur électoral (TSE), pour acte de partialité à propos des insertions radiophoniques. Cette «opération» devait déboucher sur une demande de report des élections en vue de forger un récit pour sa base sociale. Il a été contraint, à son grand dam, de reculer dans sa provocation golpiste. Le Centrão [le conglomérat des partis vivant des liens financiers avec les institutions] a ses propres intérêts.
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A trois jours des élections Bolsonaro a convoqué les commandants de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air [2] et a consulté des dirigeants de la coalition qui soutient son gouvernement. L’objectif était de rechercher un soutien à l’accusation d’alignement du TSE (Tribunal suprême électoral) sur le PT. La vérité est qu’Alexandre de Moraes est devenu une référence internationale pour l’importance de son rôle dans la lutte contre les fake news [la désinformation a pris un essor au-delà de toutes les spéculations].
Le Centrão a fait valoir que cette tactique équivaudrait à reconnaître la défaite, arguant qu’il y aurait encore une possibilité de gagner. Jouer la carte de l’ajournement des élections mettrait en danger les avantages électoraux de Tarcísio Gomes de Freitas [ministre de l’Information et candidat bien placé pour le poste de gouverneur de l’Etat de São Paulo] et d’Onyx Lorenzoni [candidat en bonne position pour gagner le poste de gouverneur de Rio Grande do Sul].
Le virage tactique de la radicalisation a également cherché à changer l’ordre du jour du débat en faveur de la discussion sur la fraude présumée. Jusqu’au mercredi 26, Bolsonaro était sur la défensive. La campagne a tourné – après la sortie de Bolsonaro sur sa rencontre avec de jeunes prostituées en 2021 – autour du «bang-bang» de Jefferson [3] et du gel du salaire minimum [le gouvernement vient de décider le déconnecter l’évolution du salaire minimum de celle de l’inflation – réd.].
Comme on pouvait s’y attendre, Bolsonaro n’acceptera pas le résultat issu des urnes. A partir de dimanche soir, le 30 octobre, le bolsonarisme risque de déclencher une campagne politique golpiste remettant en cause les résultats. La crédibilité de cette campagne dépendra de plusieurs facteurs, pour l’instant imprévisibles. Cela dépendra de la différence des suffrages, du degré de démoralisation de sa base sociale, de sa capacité à susciter des mobilisations de masse. Ils le testent déjà en appelant, le 29 octobre, à des mobilisations pour des élections propres. Ils veulent répandre la peur. Le plus grand danger qui menace la victoire de Lula est une augmentation de l’abstention due à la peur.
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Bien que les sondages confirment le maintien du petit avantage de Lula, le résultat à proprement parler reste indéterminé. L’incertitude demeure. Les erreurs de la campagne de Bolsonaro ont nourri un sentiment de relâchement au sein de la gauche. Le danger est de se cantonner dans une zone de confort. Le dernier sondage DataFolha, publié jeudi 27 octobre, confirme que l’élection présidentielle est stable en termes de votes valides [donc sans les votes blancs et nuls]: avec 53% pour Lula et 47% pour Bolsonaro, et une marge d’erreur de deux points. Donc existe un petit écart en faveur de Lula. L’avantage de Lula parmi les plus pauvres a augmenté; et celui de Bolsonaro parmi ceux qui gagnent plus de dix salaires minimums [3000 euros].
Lula a progressé chez les évangéliques, passant de 28% à 32%. Ce segment de l’électorat est évalué à 27% des votants. Le sondage à São Paulo est favorable à Bolsonaro, avec une avance de 6%. Il maintient un avantage de 10% à Rio de Janeiro. La préférence pour Lula dans l’Etat de Minas Gerais était de 48% contre 43%, ce qui signifie que Bolsonaro n’a pas réussi à accroître son avance dans le sud-est. Le Nord-Est compense cette différence par une énorme différence. Au premier tour, il y avait un avantage de 16 millions de voix.
Dans la région métropolitaine de São Paulo, l’avantage de Lula est de 49% à 41% et la gratuité des transports pourrait réduire l’abstention [les couches paupérisées s’abstiennent car le coût du transport est élevé pour elles]. A São Paulo, 9% pourraient changer leur vote, contre 6% dans le Minas Gerais et 7% à Rio de Janeiro, tandis que parmi les plus jeunes, le 15% est atteint. Un tiers des électeurs de Simone Tebet (PMDB) et Ciro Gomes (PDT) pourraient encore changer leur vote. Trois jours nous séparent des élections et nous aurons des décisions de dernière minute, ainsi que l’impact du débat organisé par la chaîne Globo le 28 octobre au soir [4].
Dans les rues, dans les rues… Le combat n’est terminé que lorsqu’il est terminé. Il est temps de mobiliser au maximum la campagne de rue. Chaque effort fait la différence. L’ampleur de la campagne encourage le militantisme. Samedi 29 octobre, des marches de clôture de la campagne auront lieu. La lutte contre l’abstention sera décisive. Une ligne directrice importante pour le comptage de dimanche sera de rassembler le militantisme dans des lieux sûrs. Personne ne devrait se promener seul dans les rues, et encore moins dans les bars et autres lieux fréquentés par les bolsonaristes. Une fois la victoire de Lula garantie, l’orientation immédiate devrait être de descendre en masse dans les rues pour la célébrer. La célébration de masse sert à démontrer la force, à accroître le moral de la base sociale de la gauche, à étouffer et à décourager le bolsonarisme. (Article reçu le 28 octobre; publié sur Esquerda online le 28 octobre; traduction par la rédaction de A l’Encontre)
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Notes
[1] La réponse a été faite, le 25 octobre 2022, par le juge Alexandre de Moraes, président du Tribunal supérieur électoral (TSE). Ce dernier a déclaré clairement que la «campagne le Bolsonaro» avait lancé une accusation «sans aucune preuve documentée». Il a ordonné que soient présentés, dans les 24 heures, «des preuves ou des documents sérieux». Alexandre de Moraes s’était dressé contre Bolsonaro, depuis des mois, à propos de sa mise en question de la sécurité et de la fiabilité du système de vote électronique. (Réd. A l’Encontre)
[2] Selon la Folha de São Paulo du 26 octobre au soir: «Le président Jair Bolsonaro a convoqué les trois commandants des forces armées pour une réunion mercredi soir (26 octobre), au cours de laquelle a été discuté le rapport de sa campagne électorale sur un boycott présumé de la publicité radio et télévisée du chef de l’exécutif (Bolsonaro).
Après la réunion, le président a fait une déclaration à la presse dans laquelle il a annoncé qu’il fera appel «jusqu’aux ultimes conséquences» de la décision du juge Alexandre de Moraes de rejeter la procédure concernant la suppression présumée d’insertions radio dans le Nord et le Nord-Est. Bolsonaro a déclaré que Moraes avait «tué dans l’œuf» sa dénonciation.
Les trois commandants militaires étaient présents : le général Marco Antônio Freire Gomes (armée de terre), le lieutenant de l’air Brigadier Carlos Baptista Júnior (armée de l’air) et l’amiral Almir Garnier Santos (marine). Le ministre de la Défense, le général Paulo Sérgio Nogueira, était également présent. Des ministres d’Etat étaient également présents, comme Anderson Torres (Justice), Célio Faria (Secrétariat du gouvernement) et Carlos França (Affaires étrangères).
Au moment où Bolsonaro a fait cette déclaration, portant à nouveau des accusations sans preuves, se trouvaient aux côtés du président uniquement Torres et le chef du GSI (Cabinet de sécurité institutionnelle), Augusto Heleno. Les événements de la nuit de mercredi (26 octobre) ont suscité des rumeurs d’une action plus drastique du président, qui a même complètement changé son itinéraire pour rentrer à Brasilia. Bolsonaro se trouvait dans le Minas Gerais et devait passer directement la nuit à Rio de Janeiro, mais il a décidé de retourner dans la capitale fédérale “compte tenu de la gravité des faits”». (Réd. A l’Encontre)
[3] Le député Roberto Jefferson, un allié de Bolsonaro – bien que Bolsonaro l’ait nié au début puis dû se rendre à l’évidence suite à la publication de clichés le montrant avec Jefferson – a résisté à une arrestation en jetant une grenade et en tirant sur des policiers venus l’arrêter, cela au nom «de la liberté, de la démocratie et de la famille». Il en a blessé deux. Le Tribunal suprême fédérale (STF) avait ordonné la remise en détention de Roberto Jefferson après qu’il eut enfreint les conditions de son assignation à résidence en publiant des attaques en ligne contre la juge de la Cour suprême Carmen Lucia, la traitant de «sorcière» et de «prostituée». Bolsonaro a condamné les déclarations faites par Roberto Jefferson contre la juge de la Cour suprême. Bolsonaro a toutefois réprouvé les enquêtes menées par le STF contre Roberto Jefferson. Selon lui, elles étaient menées «sans aucun fondement constitutionnel». (Réd. A l’Encontre)
[4] Lors du débat télévisé sur la chaîne Globo du vendredi 28 octobre: «L’ancien président Lula et le président Jair Bolsonaro ont échangé des provocations, des accusations et ont tenté d’exploiter les faiblesses de leur rival. Dans un scénario de compétition stable, selon les sondages, les deux candidats à la présidence ont ciblé une petite tranche d’électeurs encore indécis [2% selon les sondages] ou peu convaincus – ce qui peut être décisif pour déterminer le vainqueur du scrutin du dimanche 30», selon la Folha de S. Paulo du 29 octobre. Selon ce quotidien: «Dans le débat, sans profondeur, les discussions entre Lula et Bolsonaro se sont perdues au milieu des attaques et des contestations mutuelles. Le pétiste a réclamé 19 droits de réponse et en a obtenu deux [de la part des journalistes arbitres], tandis que le président Bolsonaro en a demandé cinq et n’en a obtenu aucun.»
Lors du débat, Lula était accompagné par des alliés «tels que la sénatrice Simone Tebet (MDB) et la députée fédérale élue Marina Silva [Rede-SP – ex-ministre de l’Environnement du gouvernement Lula et membre de l’Eglise pentecôtise l’Assemblée de Dieu], ainsi que par le candidat à la vice-présidence, Geraldo Alckmin [membre du PSB après avoir été membre du PSDB et gouverneur de l’Etat de São Paulo]. Sa femme, la sociologue Rosângela da Silva, alias Janja, faisait également partie de l’entourage. Bolsonaro était accompagné de l’ancien juge Sergio Moro [União Brasil], sénateur élu du Paraná et qui avait également accompagné le président lors du débat du 16, scellant ainsi le rapprochement entre les deux. Moro a condamné Lula dans l’affaire Lava Jato, ce qui l’a empêché de se présenter en 2018, lorsque Bolsonaro a été élu. Outre l’ancien juge, le ministre des communications, Fábio Faria, et l’ancien secrétaire Fabio Wajngarten, l’un des coordinateurs de la communication de la campagne, faisaient partie du cercle.» (Folha de S. Paulo, 29 octobre) (Réd. A l’Encontre)
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