Par Robert Reich
Mercredi 21 septembre, les responsables politiques de la Réserve fédérale (FED) – la banque centrale américaine – ont poursuivi leur lutte contre l’inflation en procédant à une troisième augmentation massive consécutive des taux d’intérêt (+0,75). Et ils ont prévenu qu’ils n’avaient pas fini. Ils continueront à augmenter le coût des emprunts jusqu’à ce que l’inflation soit maîtrisée.
Ils partent du principe que le problème économique sous-jacent est un marché du travail tendu qui entraîne une hausse des salaires et, par conséquent, une hausse des prix. Et ils pensent que les hausses de taux d’intérêt sont nécessaires pour ralentir cette inflation liée à ladite «spirale salaires-prix».
C’est tout à fait erroné.
Les augmentations de salaires n’ont même pas suivi l’inflation. Le pouvoir d’achat réel de la plupart des travailleurs diminue. En fait, au lieu de provoquer l’inflation, les salaires réduisent les pressions inflationnistes.
Le problème économique sous-jacent est la spirale prix-profits. Elle est provoquée par les firmes qui augmentent leurs prix au-delà de leurs hausses de coûts.
Les firmes utilisent ces coûts croissants – des matériaux, des composants et, parfois, de la main-d’œuvre – comme des excuses pour augmenter leurs prix encore plus, ce qui se traduit par des profits plus importants. C’est pourquoi les bénéfices des entreprises sont proches de niveaux jamais connus depuis plus d’un demi-siècle.
Les entreprises ont le pouvoir d’augmenter les prix sans perdre de clients, car elles font face à très peu de concurrence. Depuis les années 1980, deux tiers de tous les secteurs industriels des Etats-Unis ont passé par un degré plus élevé de concentration.
Pourquoi les prix des produits d’épicerie ont-ils atteint des sommets? Parce que quatre sociétés seulement contrôlent 85% de la transformation de la viande et de la volaille [1]. Une seule société fixe le prix de la plupart des semences de maïs du pays [Monsanto]. Et deux sociétés géantes [dont Walmart] dominent les produits courants de consommation.
Toutes augmentent les prix et les profits parce qu’elles le peuvent.
Les grandes firmes pharmaceutiques [aux Etats-Unis], qui comprennent cinq géants [Johnson&Johnson, Pfizer Inc., Merck&Co., Abbvie Inc., Bristol Myers Squibb], font monter en flèche les prix des médicaments [2].
L’industrie aérienne est passée de 12 compagnies en 1980 à seulement quatre aujourd’hui, toutes augmentant rapidement le prix des billets.
Wall Street s’est consolidée en cinq banques géantes [JPMorgan Chase, Bank of America, Citibank, Wells Fargo, US Bancorp], engrangeant des bénéfices records sur les écarts entre les intérêts qu’elles versent sur les dépôts et ceux qu’elles facturent sur les prêts.
Le haut débit est dominé par trois sociétés géantes du câble [dont AT&T Internet Services], qui augmentent toutes leurs prix.
Les concessionnaires automobiles réalisent des bénéfices records en augmentant les prix de détail des voitures.
Les prix de l’essence ont commencé à baisser, mais les grandes compagnies pétrolières ont toujours le pouvoir d’augmenter les prix à la pompe bien plus que les coûts du brut… Et ainsi de suite.
C’est pourquoi le Congrès et l’administration Biden doivent prendre des mesures directes contre la spirale inflationniste prix-profits, plutôt que de compter uniquement sur la Fed pour augmenter les taux d’intérêt et faire peser la charge de la lutte contre l’inflation sur les travailleurs et travailleuses moyens qui n’en sont pas responsables.
Une application audacieuse de la législation antitrust [qui s’est développée en trois phases historiques: la plus accentuée entre les années 1930 et début 1970] est essentielle. Même la menace crédible d’une application de la loi antitrust peut dissuader les firmes d’augmenter leurs prix au-delà de leurs coûts.
Un impôt sur les bénéfices exceptionnels pourrait également être utile. Il s’agirait d’une taxe temporaire sur les augmentations de prix dépassant les coûts de production des biens de consommation selon l’indice des prix à la production.
Le contrôle des prix devrait être un dispositif de soutien. L’inflation actuelle, qui suit la pandémie, est analogue à l’inflation qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, lorsque les économistes ont préconisé un contrôle temporaire des prix afin de gagner du temps pour surmonter les goulets d’étranglement de l’offre [ce qui existe dans divers secteurs actuellement] et empêcher les entreprises d’en profiter. Un contrôle limité des prix devrait être envisagé aujourd’hui, pour les mêmes raisons.
L’inflation que nous connaissons actuellement n’est pas due à des gains salariaux résultant d’un pouvoir excessif des travailleurs et travailleuse. Elle est due à des hausses de profits provenant du pouvoir excessif des entreprises. Ce sont les profits, et non les salaires, qui doivent être contrôlés. (Article publié sur le site du Guardian, le 26 septembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
Robert Reich a été secrétaire au Travail de 1993 à 1997 sous la présidence Clinton. Il est professeur de politique publique à l’Université de Californie, à Berkeley. En langue française, on peut trouver l’ouvrage de 2008 Supercapitalisme. Le choc entre le système économique émergent et la démocratie, Vuibert, Le jour d’après… : sans réduction des inégalités, pas de sortie de crise, Vuibert, 2011
_________
[1] Les quatre grands de la pruction-transformation du bœuf et de la volaille au Etats-Unis sont: Cargill; Tyson Foods Inc (volaille); la société brésilienne JBS SA (le plus grand conditionneur de viande du monde); National Beef Packing Co, qui est contrôlée par le producteur de bœuf brésilien Marfrig Global Foods SA. (Réd. A l’Encontre)
[2] Parmi les leaders, il faut aussi mentionner: Abbot, Amgen, Gilead, Eli Lilly, Biogen, sans oublier Novartis. (Réd. A l’Encontre)
Soyez le premier à commenter