Suède. Quel score les Démocrates suédois obtiendront-ils le 11 septembre? Le centre droit va-t-il les inclure dans une coalition gouvernementale?


Affiche des Démocrates suédois: «La future politique migratoire de la Suède: une immigration la plus faible d’Europe»

Par Linda Mannheim

Stockholm – Les Démocrates suédois, parti d’extrême droite, n’ont aucune chance d’obtenir la majorité aux prochaines élections du 11 septembre, mais leur présence est visible partout. En ces jours d’août où les affiches électorales ont été placardées sur des palissades et les lampadaires, le soleil a soufflé avec une intensité inhabituelle dans cette partie du monde et les partis de centre gauche et de centre droit ont promis un niveau plus élevé de maintien de l’ordre et une répression de la «ségrégation» – formule servant à stigmatiser les quartiers où la majorité des résidents sont des migrant·e·s.

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la Suède se caractérisait par un niveau de vie élevé, un système de protection sociale complet et une politique généreuse à l’égard des réfugié·e·s. Les Démocrates suédois [DS, créé en 1988] ont longtemps été un parti paria, une anomalie. Alors comment en sont-ils arrivés à jouer un rôle de premier plan lors des élections du 11 septembre?

Gellert Tamas [journaliste auprès du quotidien Dagens Nyheter et de TV4], qui écrit sur les Démocrates suédois depuis leur création en 1988, se penche sur cette question dans son dernier livre, Den Avgörande Striden (La bataille décisive). Les premiers rassemblements des Démocrates suédois, se souvient-il, impliquaient «peut-être 500 personnes faisant le salut nazi, criant “Tuez les Juifs”, ce genre d’attitude. C’était très radical. Ils ne se qualifiaient pas de parti néonazi, mais étaient fortement influencés par leurs références nazies. Et puis ça a lentement changé… Au milieu des années 1990, ils ont réussi à attirer une nouvelle génération d’étudiants de droite. Et parmi eux, il y avait quatre jeunes étudiants qui ont ensuite rejoint la direction du parti, appelés le Gang des Quatre. Ils sont toujours à la direction aujourd’hui.»

Gellert Tamas est-il surpris de les voir là où ils sont maintenant? «Je ne m’étais jamais attendu à ce que ce parti – un parti aussi radical, ouvertement nazi – soit accepté comme un parti traditionnel et […] qu’il puisse même être inclus dans le gouvernement.»

Les sociaux-démocrates suédois de centre gauche, qui ont remporté le plus grand nombre de voix à chaque élection depuis 1917, sont à nouveau en tête, avec 27,8% d’intention de vote dans un récent sondage. Mais les Démocrates suédois se situent en deuxième position, avec 21,5%. Il n’y a aucun risque que les sociaux-démocrates forment une coalition avec des partis d’extrême droite, mais le Parti modéré de rassemblement [depuis 2017, son leader est Ulf Kristersson], de centre droit, et les Chrétiens-démocrates (KD) pourraient le faire.

S’ils le font, cela briserait un tabou vieux de plusieurs décennies auquel les partis politiques suédois traditionnels ont adhéré – refusant de travailler en coalition avec les Démocrates suédois. La barrière entre les partis traditionnels et les partis d’extrême droite a cependant commencé à tomber en 2019, lorsque Ebba Busch Thor, présidente des Chrétiens-démocrates [depuis 2015], a rencontré Jimmy Akesson, leader des Démocrates suédois.

Le Parti modéré, qui se décrit comme un parti de «liberté, d’individualisme et d’esprit d’entreprise», obtient un appui plus important que n’importe quel autre parti de centre droit. Pourtant, il ne recueille que 18% dans les sondages. «Il serait impossible de former un gouvernement de droite sans» les Démocrates de Suède, note Nidia Hagström, ancienne directrice de l’information de la radio publique Sveriges Radio (Radio Suède). «Et des partis comme les Modérés et les Chrétiens-démocrates qui, il y a encore deux ans, refusaient de coopérer avec eux, leur ouvrent maintenant les bras.»

Un parti de centre droit comme les Modérés, cependant, pourrait également passer de «l’autre côté» afin de travailler avec le centre gauche [les sociaux-démocrates], fait remarquer Nidia Hagström. Si une telle alliance peut sembler étrange pour les habitants des pays où les partis politiques d’opposition se considèrent comme des ennemis, les coalitions qui rapprochent différentes orientations politiques ne sont pas inhabituelles dans les pays où le système de représentation proportionnelle est appliqué (comme en Allemagne). Si la Suède n’a pas connu de coalition gauche-droite auparavant, les électeurs de centre droit interrogés en 2018 ont déclaré qu’ils préféreraient une coalition centre gauche/centre droit à une coalition composée du centre droit et de l’extrême droite.

Chaque changement d’orientation politique a son propre récit. Celui accompagnant la montée des Démocrates suédois déroulé par les politiciens de droite en Suède (et au-delà) prétend que l’arrivée de 163 000 demandeurs d’asile en Suède en 2015 a provoqué des bouleversements sociaux et une hausse des crimes violents, ce qui a accru le soutien aux Démocrates suédois.

Les faits, cependant, ne soutiennent pas ce récit. Les Démocrates de Suède sont entrés au Parlement pour la première fois en 2010 avec 5,7% des voix. La plus forte croissance électorale dont ils ont bénéficié a eu lieu des années avant la dite crise des réfugiés de 2015, soit entre 2010 et 2014, lorsqu’ils sont passés respectivement d’un scrutin de 339 610 suffrages à 801 178 voix.

Et la criminalité? «La Suède a en général un niveau de criminalité se situant dans la moyenne européenne», a déclaré Jerzy Sarnecki, président du département de criminologie de l’Université de Stockholm. «Mais les fusillades sont un problème. Quelle est l’ampleur de ce problème? Eh bien, ces dernières années, nous avons eu environ 45 personnes tuées par balle… par an. Encore une fois, en tenant compte d’une population de 10 millions d’habitants, ce n’est pas très important.»

Alors pourquoi la criminalité est-elle le problème le plus important cité par les électeurs et électrices de Suède? Les décès par arme à feu, dit Jerzy Sarnecki, sont «quelque chose de très nouveau pour notre société. Nous n’avions pas ce genre de problèmes il y a dix ans. Pour être très précis, nous avons commencé à observer cette augmentation en 2013.» [1]

Et les récentes fusillades concernent-elles des personnes arrivées comme réfugiés en 2015? Non, répond Jerzy Sarnecki. Elles sont le résultat de la violence des gangs exercée par les enfants d’une vague antérieure d’immigrants, nés et élevés en Suède, et «ce qui se passe n’est pas lié à l’origine ethnique mais à la position de classe». La violence des gangs, a-t-il expliqué, implique des personnes qui (après avoir émigré) se sont retrouvées dans la position socio-économique la plus basse en Suède [1].

Mais la présentation et l’interprétation des événements par l’extrême droite sont celles que de nombreux autres partis adoptent. «Les ministres sociaux-démocrates – par exemple, le ministre de l’Immigration [Anders Ygeman] ici, malheureusement mon ancien étudiant – diraient que nous devons réduire la surreprésentation des immigrants extra-européens dans certains quartiers de nos villes parce qu’ils sont trop nombreux.» [2]

Ce que les politiques et les affiches des partis montrent à l’approche des élections en Suède, c’est ce qui se passe lorsque les partis adoptent le langage et les politiques de l’extrême droite. Nous avons déjà vu ce qui se passe dans d’autres pays lorsque «le centre droit dit: nous devons parler à l’extrême droite… ils seront plus faciles à contrôler et ils seront plus comme n’importe quel autre parti», souligne Gellert Tamas. «[Au lieu de cela], nous voyons le contraire. Plus ils les embrassent… plus le parti [d’extrême droite] se radicalise.»

La Suède est un pays qui, historiquement, a donné la priorité à l’égalitarisme et à l’inclusion. «Ce que nous avons connu, dit Nidia Hagström, c’est un régime social fort qui veut égaliser les chances des gens dans la vie.» [3] La majorité des Suédois, note-t-elle, sont fiers que leur pays ait offert un refuge aux demandeurs d’asile qui sont arrivés en 2015 (la Suède a accueilli le plus grand nombre de personnes par habitant de tous les pays européens).

Si les politiques des Démocrates suédois bouleversent la société civile suédoise, ce ne sera pas parce que la Suède est troublée par la migration, ou la criminalité, ou la «ségrégation». Ce sera parce que les autres partis politiques suédois ont donné aux Démocrates suédois l’espace nécessaire pour se développer, parce qu’ils ont adopté leurs perspectives et leurs politiques par opportunisme et accommodement politique.

«Si vous examinez la Suède d’aujourd’hui et l’Allemagne, les Démocrates suédois oscillent encore autour de… 20% dans les sondages.» Mais en Allemagne, souligne Gellert Tamas, l’AfD (Alternative für Deutschland) d’extrême droite a été boycotté par tous les partis traditionnels. «Je ne suis pas sûr que les Démocrates suédois auraient obtenu un score aussi élevé que [celui qu’ils obtiennent aujourd’hui si] une politique officielle de non-coopération avait été maintenue en Suède également.»

Les autres partis politiques suédois – en particulier le centre droit – ont toujours le pouvoir de mettre en quarantaine l’extrême droite en Suède. La question, lors de cette élection, est de savoir s’ils choisiront de le faire. (Article publié dans The Nation, le 8 septembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

Linda Mannheim est chercheuse et doctorante à l’Université de Westminster.

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[1] Selon Le Monde du 1er septembre: «A Malmö, bastion social-démocrate, la maire, Katrin Stjernfeldt Jammeh, âgée de 48 ans, fait campagne pour un quatrième mandat. Lors d’un meeting, le 23 août, elle s’adressait à la centaine de personnes réunies dans la grande salle de la folkets hus (« maison du peuple ») du quartier de Rosengard, longtemps considérée comme le repaire des gangs. Neuf habitants sur dix y sont nés à l’étranger. Le taux de chômage y est de 38 %. Sur un tableau, l’édile présentait des statistiques : depuis 2018, les fusillades ont baissé de 70 %, la dépendance aux aides sociales a reculé, le nombre de collégiens entrés au lycée a augmenté… «Nous allons dans le bon sens, affirme-t-elle, mais nous sommes encore loin du but.»

A propos de l’insécurité, rappelle-t-elle, Malmö avait tiré le signal d’alarme très tôt, sans être entendue: «On nous disait que c’était un problème local, on voit bien aujourd’hui que ce n’est pas le cas.» Ces dernières années, le gouvernement social-démocrate a multiplié les initiatives pour tenter d’inverser la tendance : les peines ont été durcies pour une cinquantaine de crimes et délits, deux nouvelles écoles de police ont été ouvertes, 26 200 nouveaux policiers doivent être formés d’ici à 2025.» (Réd. A l’Encontre)

[2] A propos des déclarations d’Anders Ygeman, Anne-Françoise Hivert rapporte: «Les dirigeants du Parti social-démocrate osent désormais parler de l’échec de l’intégration dans certains quartiers où le ministre de l’immigration, Anders Ygeman, a suggéré récemment de limiter à 50% la proportion de résidents d’origine «non nordique». «Nous ne voulons pas de Chinatown, Somalitown ou Little Italy», a précisé la première ministre Magdalena Andersson [depuis novembre 2021, sociale-démocrate], suscitant des critiques à gauche.» (Le Monde, 1er septembre)

[3] Depuis les années 1990, une privatisation à bon marché du secteur public s’est développée, entre autres dans l’éducation, la santé, les établissements médico-sociaux, avec des financements publics. Un secteur très rentable, socialement clivé et clivant, n’a cessé de se développer. (Réd. A l’Encontre)

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