Par Valerio Arcary
1. Optimisme réaliste. Lula conserve, de manière très stable, 47% des voix contre 32% pour Bolsonaro, qui remonte d’un point, en dehors de la marge d’erreur. Lula reste favori avec une avance de 15%, mais en mai, l’écart était de 21 points et en juillet, de 18. Bolsonaro a progressé et, bien que la lutte pour la victoire au premier tour reste possible, le second tour est devenu plus probable. Bolsonaro progresse parmi les personnes gagnant entre deux et cinq salaires minimums [le salaire minimum mensuel est l’équivalent de 233,5 euros] et parmi les évangéliques. Il gagne dans le Centre-Ouest [Matto Grosso, Matto Grosso do Sul, Goias, Distrito Federal]. Mais Lula conserve un avantage énorme dans le Nord-Este, gagne dans le Sud-Est [São Paulo, Rio de Janeiro, Espírito Santo] et fait face à incomparablement moins de rejet. Les autres variations se situent dans la marge d’erreur de 2%, en plus ou en moins. Ciro Gomes [candidat du Parti démocratique travailliste], par exemple, a perdu un point, mais la majorité de ses électeurs admettent qu’ils peuvent changer leur vote et, alors, ils choisiraient Lula. En bref, les variations indiquent qu’il y a une lutte en cours pour quelque chose qui comprend entre 5% et 10% de l’électorat.
2. Avertissement préventif. La tactique de Bolsonaro consiste à mettre en question les élections [attaque contre le système électronique de vote qui «falsifie» les résultats], ainsi qu’à développer le chantage au coup d’Etat pour le 7 septembre [1]. Cette tactique est fonctionnelle afin d’obtenir la possibilité d’atteindre le second tour [qui se tiendrait alors le 30 octobre]. Bolsonaro a gagné 8% chez les personnes gagnant entre deux et cinq salaires minimums, qui représentent 34% de l’électorat. Il a conforté son avance de 10% chez les évangéliques [son épouse, Michelle Bolsonaro, est une oratrice évangélique efficace; durant les rassemblements, elle présente Bolsonaro comme étant le «candidat choisi par Dieu», qui conduit une lutte «entre le Bien et le Mal»]. Il est passé de 56% à 63% chez ceux qui ont voté pour lui en 2018. Il a progressé de 8% chez les bénéficiaires de «l’aide brésilienne» [«auxilio brasil»: aide sociale diversifiée de 600 R$ – qui est versée dès le 9 août, la date a été «électoralement» avancée – jusqu’en décembre; elle devrait s’adresser à environ 20 millions de familles]. Il est encore tôt pour évaluer si les effets de cet «amendement constitutionnel» (PEC), qualifié de «gentillesses», seront plus importants. Mais Bolsonaro fait face à un plafond net: un taux de rejet qui n’a jamais été inférieur à 50% durant plus d’un an. L’augmentation spectaculaire de la misère en 2021 et l’inflation galopante, le déni de la pandémie et des incendies en Amazonie, les allégations de corruption et les menaces golpistes, parmi d’autres catastrophes, ont été une expérience tragique et elles pèsent lourd. Mais il ne s’agit pas d’un «cadavre» politique. Il n’est pas encore enterré. Il doit être vaincu, sans pitié.
3. Trois dangers tactiques. Le «déjà gagné» est un piège, la «romantisation» du passé est une erreur, «se tourner vers le centre» une tactique dangereuse. Le «déjà gagné» est un piège car, d’abord, il est faux et, pire encore, il démobilise. Nous avons besoin d’une mobilisation active portée au plus haut point, pas d’un soutien passif. Rien n’est plus important dans une campagne électorale que de s’adresser directement aux personnes. Le militantisme de gauche n’est pas le seul à occuper le terrain, avec passion. L’extrême droite, également, fait appel à un militantisme engagé. La bataille se déroulera sur tous les terrains, directement de personne à personnes et sur les réseaux. Appeler les proches, dialoguer sur les lieux de travail et d’études, diffuser les messages sur les réseaux seront des initiatives décisives. La motivation et l’engagement feront la différence. Le défi consiste à sortir de l’inertie, à se mettre en mouvement, à montrer nos visages et à nous exposer. Oui, le pays est fracturé et nous allons subir des insultes. Personne ne devrait avoir peur d’un méchant regard. Etre patient, garder son calme et argumenter avec patience et tranquillité sont les clés pour «faire changer le vote». La «romantisation» du passé est également une erreur. Il y a vingt ans, Lula a été élu pour la première fois. Celui qui a vingt-cinq ans aujourd’hui était un enfant. Des dizaines de millions de personnes ne sont pas émues par une discussion centrée sur un bilan comparatif. Les élections sont essentiellement un conflit portant sur des propositions pour l’avenir. Les raisons pour lesquelles les gens votent sont nombreuses, mais le plus important, dans une société aussi inégale et injuste, ce sont les intérêts qui sont en jeu. Le «virage vers le centre» [référence aux accords avec le courant politique représenté par le candidat à la vice-présidence: Geraldo Alckmin] est la pire des erreurs tactiques. La gauche ne gagne en autorité que lorsqu’elle est authentique et se présente avec son propre visage.
4. Honnêteté politique. Le conflit se jouera dans les classes populaires, parmi ceux qui vivent de leur travail. Une sous-estimation de l’audience de l’extrême droite dans les secteurs les plus opprimés sera fatale. Mais la gauche ne doit pas capituler face aux pressions réactionnaires visant la lutte des opprimé·e·s: défendre les services publics pour les femmes noires, l’accès aux services de santé publique en légalisant le droit à l’avortement pour toutes, et pas seulement pour celles qui peuvent l’obtenir dans les cliniques privées [ce thème est mis en sourdine dans la campagne Lula], la fin de la «guerre contre la drogue» qui perpétue le génocide de la jeunesse noire [opérations policières dans les favelas], et les droits irréductibles des homosexuels. Nous avons de bons arguments et nous devons les présenter la tête haute.
5. Courage stratégique. Le chemin de la victoire se construit dans la rue en gagnant la suprématie dans la mobilisation grâce à l’impact de la force sociale de choc de la classe laborieuse, des syndicats, des mouvements féministes, noirs, de la jeunesse, populaires, engagée pour le climat, pour les droits LGBTQIA+, pour ceux des populations indigènes et pour les activités culturelles. La gauche ne gagne pas les élections avec des astuces de marketing. La gauche gagne lorsqu’elle est capable de déclencher un mouvement de masse puissant et robuste. Lula est le plus grand leader populaire de ces quarante-cinq dernières années et il peut entraîner des millions de personnes dans la lutte pour vaincre le fascisme. Osez vous battre, osez gagner. (Opinion publiée sur le site de la revue Forum le 19 août 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Jair Bolsonaro envisage de mobiliser une partie de la base policière qui le soutient à l’occasion de la seconde manifestation, sur la plage de Copacabana, qui sera organisée le jour de l’indépendance, le 7 septembre. En septembre 2021 déjà, face aux oppositions officielles portant sur l’enrôlement de ce genre de milice armée, il avait déclaré: «C’est un crime [d’interdire les manifestations de policiers], digne d’une dictature. Ils veulent que le mouvement soit moins important, alors qu’un policier en civil, en congé, peut justement aider à mener à bien la sécurité de l’événement.» (Réd. A l’Encontre)
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