Par Juan Carlos Ramírez Figueroa, de Santiago
A trois semaines du plébiscite qui ratifiera (ou rejettera) la nouvelle Constitution qui remplacera celle de 1980, fruit de la dictature d’Augusto Pinochet, le climat politique au Chili est intense, polarisé et incertain.
Dans certaines des principales avenues de Santiago – par exemple, à Providencia – une centaine de «volontaires» agitent sans grand enthousiasme des drapeaux «Rechazo» («Rejet de la nouvelle Constitution»), tandis qu’à dix minutes de là, à La Moneda [bâtiment de la présidence], des militants distribuent gratuitement des exemplaires du projet de Constitution soumis à référendum le 4 septembre. S’il y a quelques semaines, le président, Gabriel Boric, le dédicaçait à la demande de la population, ce qui lui valait d’être accusé par la droite d’interventionnisme, aujourd’hui, la forme de l’intervention est plus soignée.
En même temps, durant ce long week-end au Chili, s’est déroulée une multitude de manifestations en faveur de «Apruebo» («J’approuve»), à l’image de celle qui s’est tenu dans la commune de Puente Alto à Santiago avec 5000 personnes, même si les sondages donnent la victoire à l’option du rejet. Une situation contradictoire, mais à laquelle les citoyens chiliens sont habitués depuis le plébiscite de 1988 visant à évincer Pinochet. Cette fois-ci ne fait pas exception, et les médias (historiquement aux mains de la droite économique), les sondages et les leaders d’opinion assurent que le «Rechazo» va gagner. A un petit détail près: de toute façon à l’ordre du jour s’impose la nécessité d’une nouvelle Constitution.
La bataille de la télévision
Cette incertitude se reflète également dans les émissions télévisées concernant le référendum, commencées il y a quelques semaines. Dans ce cadre, divers groupes tentent de convaincre un électorat qui, malgré les études d’audience et les agences de publicité disponibles, est peu défini. Pour le «J’approuve», des voix comme celle de la Plateforme politique mapuche se distinguent. Dans les quelques secondes dont la Plateforme mapuche dispose pour transmettre son message, ses membres soulignent que, si la nouvelle Constitution est approuvée, l’eau deviendra un bien commun au lieu d’être entre les mains d’entreprises privées comme c’est le cas actuellement, ce qui provoque désertification et de graves problèmes environnementaux. Apruebo Dignidad – la coalition gouvernementale – a profité de son espace télévisé pour sensibiliser aux changements sociaux en termes de parité et de vie sans violence de genre, avec la participation de l’actrice populaire Paola Volpato, qui a été l’un des rares visages de la télévision à défendre explicitement cette option.
Du côté du «rejet», avec des émissions à plus gros budget, la stratégie consiste clairement à susciter la peur en dévalorisant ce qui précède, en mettant l’accent sur l’individualisme et en suggérant que, si la Constitution devait être modifiée, le Chili entrerait dans une phase d’incertitude économique. Il est intéressant de noter qu’il n’y a pas de visage politique de droite, mais plutôt des groupes tels que «Amarillos por Chile» (Jaunes pour le Chili). Dirigé par le poète et présentateur de télévision Cristian Warnken, ce groupe prétendument indépendant utilise la couleur jaune à la connotation au mieux «neutre», mais qui, dans le contexte des manifestations, est associée à ceux qui n’osent pas descendre dans la rue [1]. Ce groupe a également choisi le slogan contradictoire de «rejeter avec amour», en référence explicite au hashtag qui a circulé pendant ces mois #AprueboConAmor [et encore très présent entre autres sur le fil Twitter].
Boric la joue à la limite
Bien que le mandat de la Contraloría de la República [instance autonome de type constitutionnel qui exerce un contrôle sur la légalité constitutionnelle des décisions de l’administration publique et des diverses dépenses des entités contrôlées] interdise au gouvernement de se déclarer en faveur d’une option, une stratégie consistant à descendre dans la rue pour «éduquer» sur la nouvelle Constitution a été mise en œuvre. Ce qui est tout à fait logique compte tenu de l’émergence inhabituelle de fake news et de désinformation, allant du changement de drapeau à l’expropriation de maisons [voir à ce propos l’article publié sur ce site le 15 août].
Cela a été l’occasion pour le gouvernement progressiste de Boric d’essayer de renverser la dynamique exprimée dans les sondages [le 15 août, selon Pulso Ciudadano, 44,4% des personnes sondées affirmaient voter contre le projet, 33,9% en faveur, 15,9% étaient encore indécis]. Mais entre des formations politiques, des accords ont été conclus avec la gauche – en particulier le Parti socialiste, qui ne faisait pas partie à l’origine de la coalition au pouvoir composée du Frente Amplio et du Parti communiste – pour modifier immédiatement, après le 4 septembre, au Congrès certains points qui semblent confus dans le nouveau texte constitutionnel, comme ceux concernant le système judiciaire.
Ce jeudi 18 août, le président Boric entame une tournée en train des villes du centre-sud du pays dans le but, formellement, de promouvoir son idée de relance du développement ferroviaire. Bien qu’il soit fort probable que cette tournée fournisse l’occasion de parler de la Constitution tout en évitant de proclamer explicitement le mot d’ordre «J’approuve». Pour ajouter un peu plus de suspense à l’affaire, ce matin 18 août, le président était absent de La Moneda et l’itinéraire initial de cette tournée dans des régions comme O`Higgins, Maule et Ñuble a été modifié.
Tout cela, alors que le gouvernement s’ouvre – après des mois de déni – à la possibilité de stimuler un nouveau processus d’Assemblée constituante en cas de victoire du «rejet». Car au milieu de tant d’instabilité, une chose est claire dans pratiquement tout le spectre politique: la Constitution de Pinochet de 1980 est déjà considérée comme morte. (Article publié sur le site Página/12, le 18 août 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Cristian Warnken déclare que la mobilisation pour la nouvelle Constitution traduit «l’inconscience aboutissant à radicaliser le tout dans une direction maximaliste qui va finalement produire la haine». Le rejet est motivé sous le prétexte de trouver «des accords équilibrés». (Réd. A l’Encontre)
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